Ma famille m’a trahi !

Rachid, 52 ans, est marié et père de 6 enfants. Il est agriculteur mais pas seulement. Il a dû s’improviser vendeur ambulant saisonnier pour faire face à certains déboires dus à la cupidité humaine… Son histoire.

«Je suis né à la campagne et j’aime y vivre même si, par le passé, j’ai eu vraiment envie d’aller voir si l’herbe n’était pas plus verte ailleurs. Mais cela était impossible parce que, dans notre famille, nous avons toujours vécu sur les terres familiales entre oncles, cousins et frères. Chaque parent avait un bout de terrain pour y construire sa maison et y faire vivre sa petite famille.

Les terres héritées relèvent du domaine du sacré; elles sont indivisibles et gérées par les patriarches. Nous, les enfants, nous n’étions que des travailleurs et, plus tard, nous devions nous-mêmes être les garants de la continuité de la tradition.
Nous n’étions pas payés et n’avions pas le droit de contester cela ou même d’aborder ce sujet tabou. C’était justement cette raison qui était démotivante pour certains et il faut reconnaître que nous étions nombreux à vouer une passion secrète à l’argent. Son pouvoir nous paraissait fascinant et son manque désespérant. Nous étions tous piqués au vif lorsque les discussions tournaient autour de ces richissimes fellahs du coin, des agriculteurs respectés et craints. Ils avaient le titre de «hadj» sans avoir jamais été à La Mecque. On disait d’eux qu’ils étaient «m’tartkin flouss» ou bien «kay ômou fel flouss». Moi, j’imaginais ces personnages comme des géants dans leur maison où l’argent éclatait par magie à chaque recoin, ou alors nageant dans des piscines remplies de pièces de monnaie. Je rêvais de devenir un jour, moi aussi, comme eux. Avoir beaucoup d’argent pour un gars de la campagne permettait l’achat de bétail, de grains, de tracteurs, de machines-outils, de pickups, de faire des travaux d’aménagement. Et puis, comment se marier sans avoir d’argent?
Ma première fortune était la possession de quelques poules. J’avais pu, grâce à la vente de mes œufs, acquérir une brebis, puis deux… Et ainsi, petit à petit, sont nés mes moutons. Mais un jour, mon père, qui était dans le besoin, a vendu tout son bétail et le mien avec et je n’avais pas mon mot à dire. J’en ai amèrement pleuré. Pour moi, il aurait mieux valu qu’il me coupe la tête! Je comprenais à ce moment-là pourquoi certains membres de la famille s’en étaient allés vivre dans d’autres contrées et pourquoi d’autres nous ont causé de graves ennuis.
Nos parents se sont toujours acharnés à ne jamais rien changer dans leur façon de faire en perpétuant le même système dont ils avaient hérité. Mais tout cela allait changer, de l’une des manières les plus sordides. Parce que pour nous, qui avons toujours été dociles et craignant l’autorité parentale, le pire est né après le décès d’un de mes oncles et, ensuite, celui de mon père. Certains cousins et même deux de mes frères ont profité de ces circonstances pour vendre, sans le moindre scrupule, des parcelles de nos domaines, de façon illégale, puis se sont évaporés dans la nature sans laisser de traces. Ainsi, nous avons vu arriver des étrangers sur nos terres, soutenant férocement avoir le droit de les exploiter. Une guerre meurtrière a fait éclater notre clan. Il a fallu saisir la justice et faire valoir nos droits. Tout cela nous a plongés dans une misère impitoyable qui a duré de longues années et dure encore. Nous souhaitons tout partager pour ne plus être victimes d’escroquerie. Mais ceux qui ont vendu les parcelles sans en avoir le droit sont décédés. Leurs enfants réclament aujourd’hui leur part et refusent que nous demandions de leur imputer toutes les dépenses que nous avons supportées pour régler les litiges. Nous sommes dans une situation inextricable. Il y a aussi que nous ne sommes pas du tout d’accord sur les partages qui nous ont été imposés. Cet autre problème nous a causé des drames et des disputes sanglantes dont les victimes sont inconsolables aujourd’hui avec des cœurs plein de haine et des désirs de vendetta. J’ai moi-même fondé une famille qu’il me faut nourrir et protéger. Depuis cette sombre histoire familiale, il n’a plus jamais été question pour moi de rêves de richesse… Juste des rêves de survie et aussi des rêves de gain de cause.
En plus, parce qu’il me fallait obligatoirement une autre source de revenus, j’étais dans l’obligation d’aller retrouver un membre de la famille vivant dans la grande ville la plus proche. Une tête brûlée qui, à une époque, avait dérobé et vendu un veau pour aller retrouver une fille rencontrée dans un bar. Il avait longtemps été recherché par les siens qui voulaient lui faire la peau. Avec très peu d’indications, je m’en étais allé à sa recherche, mais je n’ai jamais pu en retrouver la trace. Par contre, j’ai rencontré et connu dans mon exil plusieurs personnes qui m’ont aidé et appris à gagner ma vie en diversifiant mes activités. Quand je ne suis pas sur nos champs avec mes autres frères pour labourer, semer et récolter, je suis vendeur tantôt de maïs grillé, tantôt de dattes, tantôt d’artichauts frais, de fèves ou de petits pois. Je me débrouille pour me déplacer et vendre dans trois villes. Je dors parfois dans la rue, je me nourris de pain et d’olives accompagnés de verres de thé. Je m’en sors difficilement. Tout ce que je gagne me sert à prendre en charge mes enfants qui poursuivent des études, mais aussi ma mère, ma femme, mes autres jeunes enfants restés à la campagne et enfin les frais pour la résolution de notre litige familial.
Ma vie est dure, je ne connais pas de répit et encore moins le repos, mais je ne me plains jamais. Je souhaite seulement que nous puissions partager équitablement nos biens, pour enfin être rassuré sur l’avenir serein de mes enfants.
Je reste profondément attaché à nos terres et à la campagne, tout en étant complètement convaincu qu’il n’y a pas de meilleure richesse pour moi, aujourd’hui, que de me savoir encore en bonne santé. Car c’est ma bonne santé qui peut me permettre de diversifier mes activités pour nourrir ma petite famille et tenir, dans des conditions relativement acceptables, malgré la fourberie des miens».

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Mariem Bennani

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