Mon premier Ramadan en couple…

Nohaila, 26 ans, cadre en entreprise, mariée et sans enfants, nous raconte son premier Ramadan en couple. Beaucoup de bonne volonté… En vain. Et la surprise de sa belle mère… Voici son récit.  

«Pour commencer, je dois vous dire que je suis le genre de fille qui ne s’est jamais intéressée à l’entretien d’une maison ou à faire la popote. Vis-à-vis de ces besognes, je n’avais pas de rejet systématique et obstiné comme vous pourriez le croire. Je dirai plutôt que cela m’a été imposé et que cela m’arrangeait que les choses persistent. Comprenez que d’aussi loin que je me souvienne, personne chez nous ne souhaitait me voir faire mon lit, rincer une fourchette, ou l’aider à éplucher ne serait-ce qu’une tomate. J’étais le plus petit bout de chou de la famille et ma mère avec mes grandes sœurs n’aimaient pas m’avoir entre les pattes pendant qu’elles s’occupaient des gamelles et du ménage. C’est qu’il y avait beaucoup de boulot et aucun retard n’était, ni permis, ni souhaitable, dans notre famille composée de 10 membres. 

D’ailleurs, elles n’avaient pas grand mal à me tenir éloignée. J’ai toujours été une enfant très sage, mais solitaire passant la majeure partie de son temps à jouer avec ses poupées, à dessiner, ou à regarder des émissions télévisées pour enfants. Plus grande, on exigeait de moi d’avoir de bons résultats dans mes études et de m’occuper seulement de mes devoirs scolaires et je m’y appliquais consciencieusement. Je vous assure qu’on n’avait pas besoin de souvent me le répéter. Et puis les grands ne m’invitaient presque jamais à leurs discussions pendaient qu’ils s’activaient à leurs besognes quotidiennes. Dès que je pointais le nez, ils se momifiaient, se lançaient des regards bizarres tout en m’ordonnant du menton que je devais décamper. Je n’insistais jamais parce qu’écouter leurs messes basses ne m’intéressait pas vraiment.  

Ayant été -et ce, depuis ma naissance- la petite princesse adorée de mon père, il n’était permis à personne de me contrarier. Il y veillait avec une exagération qui ne me déplaisait pas du tout. Je le redis, c’est dans cette ambiance que j’ai grandi sans le moindre complexe de ne pas savoir comment passer la serpillère, nettoyer une salle de bain, dépoussiérer les meubles, remettre en ordre un salon, plier et repasser du linge, éplucher des oignons, découper un poulet, mariner et frire du poisson, écailler les œufs et nettoyer des tripes, ou que sais-je de pire encore. Par contre, j’ai excellemment réussi dans mes études et à mes yeux et aux yeux des miens c’est ce qui comptait le plus.

Sans problème, j’ai aussi continué de jouir du privilège d’être logée et blanchie chez papa maman après avoir été embauchée. 

C’est seulement depuis que je me suis mariée que je souffre le martyr de ne pas savoir comment il faut faire pour m’occuper correctement d’une maison et surtout d’une cuisine. Ces satanées corvées domestiques sont ma bête noire et cela n’arrange rien à mon problème. Je me tue à essayer de faire du mieux que je peux, mais les résultats sont tellement navrants. A chaque fois, il me faut tout refaire et cela ne se termine jamais. Quant à ce que je cuisine, sans mentir c’est absolument infecte. Je ne suis même pas capable de suivre correctement la plus simple des recettes filmée. Je m’emmêle les pinceaux dans le choix des épices, même que des fois il m’est arrivé d’user de sucre à la place du sel ou de menthe verte à la place du persil. Bref, jeter à la poubelle de la nourriture immangeable et appeler au secours ma pauvre maman, c’est ce dans quoi j’excelle le plus à la maison. Cela fait des mois que je triche en servant à mon époux le contenu de ces boites de salades cuites et de tagines. Telles de précieux bijoux elles sont stockées dans mon congélateur. 

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Vous allez peut être me dire, comme tous les autres chez moi, qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre. Que par nécessité et en y mettant un peuplus de bonne volonté, je finirai bien par y arriver. Je veux bien y croire ou du moins je le souhaite vraiment parce que pour quiconque ce n’est pas valorisant.  Mais encore faudrait-il que je puisse en avoir le temps…

Je vous jure que je n’ai pas été ravie d’être prise de court avec l’arrivée de ce mois de carême, mon tout premier depuis que je suis installée en couple. Heureusement que mes parents biens conscients de mes tares en matière culinaire et autres tâches ingrates nous ont sommés de venir souper chez eux tous les soirs. Quel soulagement! Il ne faut pas croire que je ne comptais pas en profiter pour apprendre à préparer la harira, et à concocter quelques mets de base. Les deux premiers jours se sont écoulés tranquillement, mais voilà que j’ai eu la désagréable surprise de voir s’inviter chez nous pour le reste du mois ma belle-mère. Depuis que mon beau père est à la retraite, elle et lui ne se supportent plus et leurs disputes démarrent au quart de tour. Pour éviter le pire, elle n’a pas eu de meilleure idée que de venir s’installer chez son fils. Ai-je mon mot à dire? Certainement pas!

Pour être honnête ce n’est pas tant sa présence chez nous qui m’a dérangée. C’est seulement que j’ai d’emblée détesté l’idée qu’elle se rende compte de ce qu’elle considérerait comme impensable ou inadmissible. Avec la complicité de mon époux, nous lui avons offert les meilleures tables de rupture de jeun qui soient. Et pour le diner, nous nous sommes arrangés pour commander des repas. Il m’a beaucoup aidé, mais il n’en reste pas moins que l’état de mes mains est à pleurer à cause de mon inhabituel usage intensif de détergents pour laver ces montagnes de vaisselle et pour nettoyer le carrelage, les cuvettes et les lavabos. J’ai même été obligée de me rendre chez mon bijoutier pour qu’il s’occupe d’élargir les anneaux de mes bagues de mariage. Décontenancé, ce vieil homme a violemment refusé en soutenant que cela portait malheur de toucher aux alliances avant ou après une union. Il a affirmé qu’il faut toujours choisir celles qui vont au doigt et les garder telles quelles. Il n’en revenait pas que je n’en sache rien, tout en me suggérant d’user de gant en caoutchouc pour éviter de continuer à détraquer mes jolies mains. Je n’en étais pas à mes derniers conseils des anciens. Ils allaient pleuvoir! 

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Le soir même, profitant de l’absence de mon époux qui était allé siroter un café dehors avec ses amis, ma belle-mère s’était dépêchée de me déballer tout ce qui lui pesait sur le cœur depuis trois jours. Agitée, elle avait dit être stupéfaite de nous voir dépenser autant d’argent en croissants, pâtisserie, «briouats» et tout ce qu’elle n’avait jamais vu. Que de gaspillage incongru avait-elle déploré. Elle avait rajouté qu’il était de mon devoir de m’en soucier et d’y remédier dare-dare. Que même ses filles qui vivent à l’étranger s’arrangent depuis toujours pour confectionner elles-mêmes leurs gâteaux au miel, leur «sefouf» et leurs crêpes farcies. Pauvre de moi, j’ai su aussi qu’elles pétrissaient leur pain, et cuisinaient comme des cordons bleus. Sans perdre son élan, ma belle-mère avait allongé que si nous ne songions pas son fils et moi à faire des économies nous ne pourrions jamais accéder à la propriété d’un logement. Toujours selon elle, même ce loyer mensuel pour cet appartement n’était que de la sotte dilapidation. Nous voir lui démontrer que nous sommes bien capables d’assurer à nos futurs enfants un foyer équilibré, c’est ainsi qu’elle termina son discours. Elle avait dit cela sur un ton dur avec les sourcils relevés en accent circonflexes et les yeux écarquillés. 

J’étais gavée, mais je ne lui en ai pas voulu, elle avait un peu raison. Alors, animée par un vilain orgueil mal placé, ce sixième jour de jeune, j’ai décidé de me la faire cette fameuse soupe du ramadan que j’avais vue se fabriquer chez nous les jours d’avant. Je ne vous dis pas le branlebas de combat dans ma cuisine et le résultat délirant. Et zut, fallait trier les lentilles avant de les mettre à cuire et qu’une poignée était largement suffisante! A mon grand damne, ce n’était pas une «harira» mais un plat de lentilles que j’avais tambouillé des heures durant. Et rattraper le tir n’était que peine perdue… J’aurai mieux fait de m’abstenir parce que les sales petits cailloux dans la soupe ont crissé sur les molaires de mon époux et de ma belle doche. Il ne manquait plus à ma fierté dézinguée que mon beau père goute à cette calamité et qu’il perde une dent. L’aubaine c’est qu’il n’est pas venu pour manger ou passer la nuit mais pour vite ramener son épouse au bercail. 

Jamais je n’aurai imaginé que mon manque d’expérience et mes lacunes domestiques me feraient honte à ce point. Cependant, maintenant plus qu’hier et que demain, j’ai bien conscience qu’il urge pour moi d’apprendre quelques règles indispensables à mon nouveau job de maitresse de maison. Et si j’ai une fille, cela se passe de commentaires! Et pareil pour un garçon tout compte fait! Aussi, je vous certifie que jamais je ne toucherai à mes alliances, parce que j’ai la chance d’avoir un époux extraordinairement indulgent et compréhensif».

Mariem Bennani

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