Je ne pardonne pas le vol, à cause des insultes !

Touria, 56 ans, gérante et propriétaire d’un magasin de prêt à porter féminin, est divorcée et mère de trois enfants. Victime d’un vol à l’étalage, on ne lui pardonnera pas d’avoir cherché à se défendre. Voici ce qu’elle confie.

«Ces gens qui s’interposent en justiciers du dimanche, ils feraient mieux de passer leur chemin pour ne pas envenimer les choses. Et ça cancane par-ci, et ça bigote par-là, sachant qu’il n’existe pas de gentils malfaiteurs et de méchants malfaiteurs. Qu’il soit jeune ou vieux, homme ou femme, un voleur reste un voleur. Oui, je le dis clairement, cela me rend hystérique qu’on ait le culot de venir me vilipender tout en me demandant de faire appel à ma générosité de cœur pour laisser tomber cette affaire de délit commis sur ma propriété et lieu de travail. Pourquoi? Parce que dans le groupe des délinquants agressifs qui m’ont attaquée, il y avait des jeunes filles. De toutes les façons, je n’en ferai qu’à ma tête et tant pis pour leur salive eténergie qu’ils auront épuisée à brasser du vent. Eux et ce groupe avec qui je suis en litige, si seulement ils pouvaient imaginer le nombre de fois que j’ai dû fermer les yeux.

Tant d’autres avant eux se sont servis à l’aise dans ma marchandise, sans que j’engage contre eux des poursuites. Au moins, avec eux, je n’avais pas été confrontée en sus, à la manifestation d’une telle exaltation de haine pure et dure. Vraiment, ces délinquants et ceux qui les défendent m’ont poussée à bout d’où mon intention d’aller aussi loin que possible. Désolée pour leurs familles qui ne m’ont rien fait, mais un voleur, fou furieux et dangereux, doit impérativement répondre de ses actes pour qu’il ne recommence pas, point barre! Et pour les conséquences regrettables et dramatiques qui s’en sont suivies, si seulement ces larrons avaient eu un peu d’intelligence ou d’éducation. S’ils l’avaient joué profil bas en m’adressant des excuses, ils s’en seraient sortis indemnes. Quand même, avant de l’ouvrir grande, tout en s’acharnant sur moi, mes employés et aussi sur mon matériel, fallait y réfléchir à deux fois.

Cela fait presque 25 ans que je suis gérante de mon magasin de prêt à porter féminin. Croire que l’investissement que j’y ai mis m’est tombé du ciel est un leurre. Je vise tous ceux qui me gavent de leur présence et de leur blabla ces derniers jours. Ça va vous paraitre dingue mais sans gêne, alors qu’ils voyaient que je me trouvais au seuil de ma porte, ils se sont permis de dire que j’étais une vieille tarée de «zmagria», avare, aigrie et ayant perdu la foi. Voyez-vous ça? Je dois laisser me crever un œil et toi qui n’est concerné en rien dans l’histoire tu souilles ma personne et tu me sommes de fermer l’autre pour satisfaire ton hypocrisie! Faut le vivre pour le croire!

Bref, passons, laissez-moi plutôt vous raconter comment j’ai réussi à devenir propriétaire de ce magasin et comment s’est déroulée ma vie jusqu’à aujourd’hui. Vous le constaterez de par vous-même que tout n’a pas été rose pour moi. Des cadeaux, je n’en ai pas reçu beaucoup. Pas même de ceux avec qui j’ai eu des liens de sang. En tête de liste, il y a mon époux le père de mes enfants, viendront ensuite les membres de ma belle-famille, certains proches et aussi quelques connaissances. Tous m’ont enviée au point de tenter sans relâche de me briser pour me réduire à néant. Surtout, n’allez pas croire que le raffut que je me farcis aujourd’hui avec cette bande de dégénérés est une ultime occasion de me venger. Désolée mais je ne carbure pas avec ce genre de pratique. Ce qui m’anime depuis toujours c’est la niaque d’aller de l’avant, de m’en sortir pour kiffer le taf monstre que je filerai comme toujours à mes infatigables détracteurs.

J’ai été mariée par ma famille à l’âge de seize ans avec un homme qui travaillait et résidait à l’étranger. Aussitôt la fête et son séjour dans le Royaume terminés, il avait bouclé ses affaires me promettant d’effectuer les démarches nécessaires pour un regroupement familial. Sauf qu’il avait mis 15 ans pour se décider à le faire, alors qu’il venait chaque été pour son mois de congé. Ceux qui s’étaient frotté les mains de me savoir dans cette pathétique situation, il y en avait beaucoup. Entre temps, j’avais mis au monde chez mes parents mes trois garçons. Fatiguée d’attendre un miracle, j’avais repris dans le secret absolu mes études.

Quand mon époux saura pour l’obtention de ma licence en langue étrangère, ce dernier fou de jalousie mettra fin à la distance entre nous. Nous le rejoindrons avec les enfants mais l’enfer m’y attendra. Il évitera de parler de mes diplômes mais me fera bosser comme femme de ménage puis serveuse dans un café, et enfin comme vendeuse dans l’épicerie d’un vieux couple du bled. Aussi, par pur hasard, j’aurai la confirmation de mes vieux soupçons concernant l’éventualité de son adultère. Il m’avouera sans pâlir, qu’il n’avait jamais pu se défaire de sa relation avec une autre femme.

Pour éviter le cataclysme dans mon foyer et que l’équilibre psychologique de nos enfants en pâtisse, je supporterai cette réalité non interrompue sans piper le moindre mot dessus. Je supporterai aussi dans le silence de me prendre des castagnes quand il commencera à douter de ma fidélité au lieu de comprendre que j’étais incapable d’éprouver des sentiments ou du désir pour lui. Il deviendra alors très difficile de cacher à mes gosses ce que je subissais. N’arrivant plus à masquer les cocards que j’affichais de plus en plus souvent, j’irai porter plainte et enfin demander le divorce.

Cela se passera très mal puisqu’il me menacera de me tuer. De même que presque tous les membres de ma belle-famille tenteront de me faire la peau. La seule solution sera alors de ficher le camp pour aller nous installer dans un autre pays. Mes enfants et moi y couleront des jours heureux tout en sachant qu’il existait une épée de Damoclès qui pouvait nous tomber dessus à tout moment. Je travaillerai alors dans le secteur de l’hôtellerie puis enfin dans celui de la mode. Plus tard, je serai en mesure d’acquérir ce magasin avec mes économies. Cependant, il restera longtemps fermé jusqu’à ce que je décide de prendre ma retraite anticipée et de rentrer au Maroc. Je ne supportais plus la solitude puisque mes trois gosses vivaient désormais en couple.

Sans mentir, il y a quelques années en arrière cela marchait du tonnerre dans ce créneau du prêt à porter féminin de moyenne gamme. Grâce à mes recettes, j’ai aidé mes trois enfants pour qu’ils convolent en justes noces. Je me suis même offert un studio en bord de mer. La réalité du jour c’est que dans le secteur de la vente du prêt à porter, la concurrence des grandes enseignes étrangères très structurées va nous être fatale. Voyez-vous, je m’en sors à peine avec de la marchandise locale qui nous laisse très peu de marge de bénéfice. Si en plus, des vendeuses ou des clientes s’activent dans le racket sans qu’elles s’inquiètent des répercussions, c’est la fin des haricots. Pour me protéger efficacement de ce fléau, j’avais cru bon installer des caméras. Mais je n’ai pas été satisfaite par ce coûteux investissement. Rester coincée derrière l’écran pour assurer la surveillance de l’ouverture jusqu’à la fermeture ne m’a pas arrangée du tout. Comprenez que par les temps qui courent, je ne peux pas me permettre d’engager quelqu’un de plus pour le faire.

Sinon vous ne pouvez pas imaginer le nombre de fois que j’ai attrapé une effrontée la main dans le sac, sans parler du choc à chaque inventaire. Cette fois ci, j’ai eu affaire à quatre copines accompagnées par un camarade. Elles m’avaient piqué plusieurs articles. Pour une fois, j’avais remarqué leur impressionnant manège grâce à mes cameras. J’avais demandé à ma vendeuse d’aller discrètement les prier de me les restituer. Toutes ces filles se sont mises à crâner en niant l’accusation. Au tour du jeune homme de s’en prendre violemment à celle qui ne faisait que son boulot. Je m’interpose tout en appelant en renfort le gardien de notre galerie. Le scandale éclate, la foule débarque et ces jeunes iront jusqu’à me bousculer tout en m’insultant avec une grossièreté inouïe. Heureusement, très vite la police interviendra. Les preuves qu’il y avait eu vol voire plus étaient indéniables …Ils les embarqueront tous les cinq et passeront la nuit au poste pour être transférés devant un juge le lendemain.

A peine avais-je eu le temps de me remettre de mes émotions, parce que franchement cette histoire aurait pu virer au drame, que mon magasin fut envahi par un monde fou. Il y avait les parents des jeunes et d’autres curieux venus soi-disant pour les aider dans leurs démarches de me convaincre de laisser tomber les poursuites. Ces familles semblaient être des gens de petite condition. Vraiment, ils faisaient peine à voir. Franchement, j’avais failli passer l’éponge mais plus du tout lorsque j’ai entendu qu’il y en avait qui me crucifiaient parce que j’avais fait intervenir des représentants de la loi, que ces gosses ne méritaient pas une telle punition. J’ai donc décidé de rester ferme sur mes positions. Ça leur apprendra à tous !».

Mariem Bennani

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