Je ne sais plus si je suis sur la bonne voie avec mes enfants…

Farid, 34 ans, salarié, est marié et père de trois enfants. Vouloir offrir à ses enfants le meilleur et ce qu’ils réclament, plonge cet homme dans le désarroi. 

«Généralement quand on m’agresse avec des propos injustes et calomnieux, je ne réfléchis pas à deux fois pour renvoyer la balle. Parfois, mais c’est très rare quand même, je n’hésite pas à jouer de mes poings avec ceux qui dépassent vraiment les bornes. C’est ainsi, il n’y a pas d’autres façons pour me calmer. Je m’en fiche de ménager ce genre d’individus. Oui, tel est mon comportement. Alors, imaginez un peu mon état, face à mes gosses me balançant des mots très durs. En de pareils moments d’accablement, je repense à ma discussion avec ce jeune que le hasard avait mis sur mon chemin. Peut-être était-ce déjà un signe d’avertissement m’exposant le risque de foirer l’éducation de mes gosses? Franchement, cette question me trouble l’esprit constamment.  C’est pesant à la fin!  

En tous les cas, ne vous inquiétez surtout pas, même si j’ai du mal à encaisser les reproches de mes gamins, je n’ai jamais touché un seul de leur cheveu. Qu’ils m’en adressent, sans crainte de représailles, en est la preuve. D’une part, ils savent combien je les adore. Et d’autre part, j’ai toujours condamné fermement l’expression de la violence sous toutes ses formes envers les enfants ou les femmes. Autre chose, ce n’est pas comme si j’étais un bouché de la caboche refusant d’admettre les raisons qui poussent mes tout-petits à faire de très pertinentes comparaisons. Forcément qu’il ne doit pas être très jojo pour eux de subir les conséquences de mon entêtement à leur prodiguer une éducation qui sonne faux avec la réalité de mes moyens. Tout ce que j’espère du fond du cœur c’est de n’avoir pas à le regretter amèrement plus tard et d’être capable de nous sortir indemnes de ce pétrin…

Pour le bien de nos enfants, avec ma femme, nous avions décidé de les placer dans une petite école privée à quelques mètres de chez nous. Je pense très honnêtement qu’il n’y avait pas de meilleure solution pour avoir la conscience tranquille quant à leur cursus scolaire stable. Dans ce domaine, nous ne pouvions concevoir de nous permettre la posture de l’autruche tout en les laissant se trimballer dans les rues de la ville, sans accompagnement, pour se rendre à l’école publique la plus proche. Ce n’est certainement pas à vous que je vais apprendre que les temps ont bien changé. A tous les niveaux, le danger guette. D’autant qu’aujourd’hui, dans cet espace réduit qui nous sert d’habitation, il n’est pas envisageable d’appeler à notre secours un membre de la famille, ou d’engager une aide à plein temps. En plus, s’il fallait vous parler en détail du sort malheureux de nos deux salaires moyens, 6000 dhs et 2700 dhs, je vous recommande la sortie des mouchoirs. Pas la peine de lorgner du côté de ma femme, il n’est pas question qu’elle reste à la maison.

Street Art : Un atelier pour renouveler l'âme enfantine d'Assilah

Attendez, puisque nous y sommes, il ne sera pas de trop de vous donner un petit aperçu de ce avec quoi on jongle. Ce n’est pas pour me la jouer pleurnichard, mais après que les traites de crédits, les mensualités de l’école (800 dhs fois 2 plus 1200 dhs), les factures d’eau d’électricité et d’internet, aient englouti la belle part, il ne nous reste plus qu’à faire mumuse avec des clopinettes pour assurer l’indispensable. Je jure que notre pire cauchemar à la maison, c’est une poussée de fièvre, un mal de dent, un rhume, ou qu’une autre sorte d’imprévus pointe. Ah ces pharmaciens, toubibs et autres de la clique, quels sacrés veinards! Ils ne font pas crédit eux…Bref, pour les gens comme nous, chaque fin de mois est très difficile à boucler. De ce côté, mon épouse et moi nous exécrons le ressenti de son décalage dans l’espace-temps. Chez nous, il (le décalage de la fin de mois) attaque dès la deuxième semaine. Là, je préfère taire tous les sacrifices engagés qui laissent supposer aux uns et aux autres qu’on s’en sort à la perfection. Bouillir de l’intérieur, nous savons ce que c’est! Qui aurait cru un jour que même les petits épiciers du quartier demanderaient des garanties en béton pour dépanner en œufs, semoule, lait et vermicelles? 

Vous avez peut-être compris que je souffre terriblement quand mes enfants me somment d’être un père comme celui de leurs camarades de classe. Ils insistent de ne plus les envoyer à l’école avec une tartine de pain ou un fruit pour leur goûter, mais plutôt avec des cookies, gaufrettes, mini-packs de jus fruits avec pailles, de les transporter en voiture, de les inscrire dans une salle de sport, aussi de leur offrir des anniversaires avec leurs amis de classe dans un lieu public, des consoles de jeux, un portable chacun etc…J’ai toujours fait du mieux que je pouvais, mais il n’y a qu’à mon épouse que j’avance ce genre de réponse. A mes gamins, je mens tout le temps en m’engageant effrontément dans un flot de promesses pour noyer le poisson. Nécessairement, je préfère m’étouffer de chagrin plutôt que d’avoir à leur expliquer notre situation de A à Z. Ils sont trop petits. Selon vous, ne serait-il pas criminel de ma part de leur ôter les joies passagères de l’insouciance? 

Par contre, depuis que j’ai eu cette conversation avec ce jeune homme travaillant comme vendeur dans un grand magasin de vêtements, il ne se passe plus un jour sans que je me pose des questions. Je vous assure que notre situation financière avec ma femme, me tracasse au plus haut degré. D’un côté, elle me démange cette envie de donner un coup de pied dans la fourmilière en plaçant mes gosses à l’école publique, soit 2600 dhs de gagnés par mois, pour en finir avec les réclamations en suspens et pas mal de privations.  Et d’un autre côté, je me dis qu’il faut que j’arrête de m’en faire parce que c’est notre choix actuel qui est le bon pour un avenir prometteur de nos enfants. En ce moment, mes neurones supplient pour un déblocage que je ne suis pas en mesure de défendre avec conviction.  Je coince, j’ai peur.

Exit Covid, j’ai la bague au doigt !

Mais avant de vous quitter, voici les détails de cette rencontre avec ce jeune homme, qui s’était livré de lui-même à des confessions poignantes qui m’avaient secouées les cloches. Elle s’était déroulée dans un grand magasin. Voyant comment je m’y prenais avec son aide dans le choix des tenues de la rentrée de mes bambins, il avait avancé calmement n’avoir jamais eu la chance de recevoir quoique ce soit de la part de son paternel. Déjà à quatre ans, il évitait de titiller ce père soudeur qui souffrait le martyr pour les nourrir et terminer les constructions de leur habitation. Haut comme trois pommes, il ne comptait que sur les petits dons qu’il recevait de temps à autre de la part des membres de la famille en visite chez eux. Il n’en dépensait jamais le moindre demi sou pour des friandises. Ses économies étaient intouchables, emprisonnées dans le pochon improvisé et noué au ceinturon en tissu de sa grand-mère vivant en bas de leur domicile familial. Il attendait patiemment de voir grossir cette cagnotte pendouillant à la taille de sa mamie pour s’acheter un teeshirt, ou des godasses à la friperie du marché. D’ailleurs, une fois tout vêtement devenu trop petit pour son corps en constante métamorphose, il arrivait toujours à le refiler plus cher que ce qu’il lui avait coûté. Pendant les vacances scolaires, au lieu de glandouiller, il préférait cumuler plusieurs petits boulots. Les indemnités qu’il en tirait lui permettaient de ne pas arrêter ses études. 

Il avait fini en témoignant une gratitude décoiffanteà celui que j’avais jugé comme étant un sombre bourreau. J’avais été frappé de stupéfaction de l’entendre fièrement remercier son père d’avoir, par ses actes, contribué à faire de lui un homme. Toujours grâce à lui, il avait eu de la niaque pour s’accrocher, malgré de nombreux obstacles, pour se dégoter un job, puis un autre, jusqu’à ce dernier plutôt stable. Il avait dit aussi continuer de vivre auprès des siens et de les aider considérablement. Et que son rêve serait d’être en mesure d’acheter à crédit un petit logement pour se consacrer à son aise à sa passion qu’il pense être lucrative».

Mariem Bennani  

,

Voir aussi

A peine ma mère adoptive enterrée, ils m’ont mise à la rue !

Zohra, 30 ans, cuisinière, est célibataire. Cette jeune femme a été mise à la rue …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Captcha Plus loading...