Parce que mon retour au pays a coïncidé avec l’Aïd…

Talal, 56 ans, salarié, est marié et père de trois enfants. La madeleine de Proust de cet homme, c’est le mouton de l’Aid el Kabir. Voici son histoire. 

«Me souvenir du nombre d’années où je n’étais pas retourné au Maroc? Difficile! J’ai l’impression que cela fait une éternité. La cause? Une histoire de mouton de fête, le soupçon d’infidélités amoureuses, le tout couronné d’une énorme brouille familiale. Je vous rassure, vous en saurez plus, en attendant comme dirait mon petit gars: «Ce retour c’est un kiffe de ouf»!  

Il y a très longtemps, j’ai été fiancé à une jeune fille de notre quartier. C’est que j’en pinçais pour elle depuis l’enfance. A chacun de nos retours au bled avec les parents, j’adorais la retrouver. Et je ne me lassais pas de sa compagnie. Après quelques de semaines de vacances passées ensemble, nos adieux étaient terriblement déchirants. A tel point que tout le temps, cette fille bien plus jeune que moi ne cessait de hanter mes pensées. Nous ne cessions jamais de correspondre ou de nous parler au téléphone, vu qu’à l’époque le portable, internet et les réseaux sociaux n’existaient pas. La distance, ne changeait rien aux vœux que nous nous étions promis de réaliser.  

Je me souviens qu’encore étudiant, je faisais n’importe quel petit boulot rétribué pour lui envoyer des cadeaux et même des sous. De la sincérité de ses sentiments à mon égard, je n’avais aucun doute. Aussi, ce n’était un secret pour personne chez nous que notre histoire devait se terminer par un mariage. Il nous fallait juste attendre que je sois en capacité de fonder une famille. Vraiment, il me tardait d’être fin prêt pour m’engager parce que sans cela je ne pouvais pas rêver de la présence à mes côtés de celle qui me rendait dingue. J’en étais tellement épris qu’absolument rien ne me détournait de mon profond et inaltérable désir. Quand je dis rien, c’était vraiment rien.  

De toutes les façons dès que cela avait été enfin possible, le cœur palpitant je m’étais précipité pour annoncer mes fiançailles. Sans surprise, nous avions eu la bénédiction de nos deux familles respectives, au courant de notre projet depuis longtemps. Nous avions célébré cet évènement à la manière traditionnelle mais dans l’empressement puisque je n’avais eu que cinq jours de congé. Ma fiancée et moi devions encore patienter quelques mois de séparation pour la transcription de notre acte de mariage. Un document officiel qui me permettrait d’entamer les démarches administratives en vigueur dans mon pays d’accueil visant un regroupement familial.  

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C’est alors que j’avais reçu de la part d’une de ses belles-sœurs, épouse de son plus jeune frère, une missive qui m’annonçait que ma fiancée ne m’était pas fidèle. Elle disait aussi que je n’avais qu’à refuser d’acheter son mouton de l’aïd pour voir son vrai visage. Cette maudite jeune femme savait pertinemment que dans les coutumes de leur famille, ce cadeau était une obligation pour le fiancé. Et moi aussi puisque j’avais promis de m’y conformer. Pourtant, je m’étais laissé prendre à ses manigances.  Finalement la jalousie de la belle-sœur et mon manque de jugeote m’avait mené tout droit dans le mur. Par ma faute j’avais causé mon malheur et celui bien mérité de celle qui ne voulait pas que notre mariage ait lieu.  

La calomniatrice, m’avait-on rapporté un peu tard, avait failli péter un câble de savoir la sœur de son époux casée et qu’en plus elle s’en irait vivre à l’étranger. Ben oui malheureusement des personnes nuisibles du genre, il en existe beaucoup. Et parce que je n’avais pas su tenir ma langue pour des raisons évidentes, un énorme scandale avait éclaté dans la famille de ma fiancée. Personne ne s’était formalisé du mensonge porté sur ma promise, par contre tous avaient soupçonné la belle-sœur d’entretenir une relation secrète avec moi.   

Mon futur beau-frère, un vrai dur piqué à vif, n’avait pas hésité à répudier la saleté d’envieuse, tout en jurant de m’étriper s’il me coinçait et qu’il fallait oublier à jamais le mariage avec sa sœur. Dès lors, il avait été impossible de parlementer avec qui que ce soit pour arranger les choses. Pire encore, j’avais su quelques mois plus tard qu’on avait marié de force ma fiancée avec l’un de ses proches cousins pour étouffer le scandale. Ma douleur avait été tellement atroce, qu’il m’avait fallu plus de quinze années pour me remettre de ce fiasco et m’autoriser à aimer une autre femme.   

Enfin, tout cela n’est que du passé parce qu’aujourd’hui me voilà avec ma petite famille revenu au pays, pour passer quelques semaines de vacances. Sans mentir, j’ai été plus qu’encouragé par l’initiative de notre bien aimé Roi Mohamed VI, visant à faciliter le retour à la mère patrie de la communauté marocaine établie à l’étranger. Il se trouve qu’en cette période nous allons devoir passer la fête du mouton avec les parents et la famille. Cet évènement, comme une piqure de rappel m’a plongé dans les souvenirs. Par contre et fort heureusement, je n’aurai pas à revoir les gens d’antan qui m’avaient détruit psychologiquement, puisque mes parents ont depuis changé d’adresse.   

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Quand bien même, nous avions tous pris la décision de nous réunir pour l’occasion dans un hôtel. D’abord pour épargner à nos femmes le travail si laborieux de la cuisine et des préparatifs festifs, ensuite pour tous profiter pleinement du repos et des vacances. Il n’y a rien à redire ce fut top! Quelle merveille que de pouvoir bronzer au soleil tout en dégustant avec bonheur les brochettes de «boulfafs» de viande, de kefta , les morceaux d’épaule cuits à la vapeur et épicés de cumin, les tagines aux pruneaux et amandes, les côtelettes frites et tant de salades cuites ou non sans oublier les autres délices qu’on nous a servis à chaque petit déjeuner, ou à chaque verre de thé à la menthe verte. Une tuerie pour les papilles! Mon épouse et mes enfants qui ne savaient pas grand-chose sur mon pays d’origine ont été conquis par ma visite guidée et par les instants idylliques partagés en famille. Ils me parlent déjà de revenir l’année prochaine in cha Allah.   

Aussi pour la première fois mes vieux parents avaient fait don de leur mouton au gardien de leur immeuble. Ce geste généreux a été le sujet d’une controverse le jour de fête entre deux membres de ma fratrie. Ma jeune sœur soutenait qu’ils auraient mieux faits d’attendre la rentrée scolaire pour aider financièrement cet homme que beaucoup de coproprios n’indemnisent jamais et qui a deux enfants. Et mon frère, parlait des bénéfices du croyant de faire une «sadaka» en cette fête précisément. Le débat était intéressant, même qu’il s’est largement étendu.  

Dans la foulée, nous avons appris consternés qu’aujourd’hui le fléau de la mendicité de plus en plus difficile à maitriser s’étend aux réseaux sociaux. Que depuis la Covid, le nombre de personnes qui souffrent d’indigence est en hausse significative, d’où un rush de très jeunes délinquants désœuvrés qui se muent en mendiants sur la voie publique. Même que certains, et c’est inacceptable voire révoltant, réagissent au refus de ceux qu’ils sollicitent avec une violence inouïe.

Mais tout cela participe de ma «madeleine de Proust» à moi… Et quel bien cela m’a fait de retrouver mes repères d’enfant !»

Mariem Bennani 

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