Absence de gouvernement : Qui est responsable du blocage?

Absence de gouvernement : Qui est responsable du blocage?

Cela fera bientôt cinq mois que le Maroc est sans gouvernement. Face à cette situation, chaque partie prenante du processus des négociations pour la formation de la majorité essaie d’expliquer le pourquoi du comment.

Abdelilah Benkirane, Secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD) et chef de gouvernement, est sorti de son silence. A l’occasion d’un discours prononcé devant les membres de l’Union Nationale du Travail au Maroc (UNTM, syndicat du parti), samedi 18 février 2017 à Maâmora, dans la région de Salé, il est revenu sur le blocage des négociations pour la formation du gouvernement. Dans son discours,  il a affirmé: «L’absence de gouvernement est le résultat d’une machination, un complot tissé contre le PJD». Benkirane a ajouté à ce propos: «Il est inconcevable que le Roi vole au secours des peuples africains en détresse, au moment où nous humilions les Marocains».

Benkirane pointe du doigt l’USFP et le RNI

Allant plus dans le détail, Benkirane a implicitement désigné l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et son premier Secrétaire Driss Lachgar, parmi les premiers responsables du blocage que connaît le processus des négociations pour la formation de la majorité. A cet effet, le SG du PJD  a affirmé qu’il existe «une composante qui insiste pour faire partie du prochain gouvernement, en dépit du fait qu’on lui a confié la présidence du Parlement». Selon Benkirane, le refus catégorique d’intégrer ce parti (l’USFP) dans la prochaine composition gouvernementale est justifié par les  résultats obtenus par cette formation politique aux législatives du 7 octobre 2016. Benkirane n’en est pas à son premier niet contre la participation de l’USFP au gouvernement. Il a déjà souligné, en marge de la tenue des travaux du Conseil national du parti, les 11 et 12 février 2017: «En dépit du fait qu’elle n’a remporté que 20 sièges parlementaires, l’USFP a été l’un des premiers partis à avoir été invités à faire partie de la majorité. Malheureusement, cette formation politique a opté pour des manœuvres que le temps dévoilera en détail». Selon Benkirane, c’est à cause de la rigidité de l’USFP et d’autres partis, comme le RNI, que le gouvernement tarde à voir le jour.

Benkirane attend le retour du Souverain…

La question que beaucoup se posent est: que fera Abdelilah Benkirane s’il ne parvient pas à former son gouvernement incessamment? Dans sa réponse à cette question, le SG du PJD a adopté un ton menaçant, comme de coutume. Selon lui, «le retard dans la formation du gouvernement est une situation qui ne peut durer éternellement». Ce dernier a même annoncé, lors de sa rencontre avec les adhérents à l’UNTM, le 18 février 2017, qu’il attendrait le retour du Souverain de sa tournée en Afrique, pour prendre une décision au sujet de la formation du gouvernement. «Je n’attends que le retour de SM le Roi pour lui présenter le gouvernement s’il est formé. Autrement, je lui annoncerai mon échec», a-t-il déclaré.

… Et la réponse d’Akhannouch et de Laenser

Abdelilah Benkirane a également affirmé qu’il attend une autre réponse, cette fois de la part du Président du Rassemblement National des Indépendants (RNI), Aziz Akhannouch et du Secrétaire général du Mouvement Populaire (MP), Mohand Laenser. En effet, le SG du PJD a reçu, il y a quelques jours, les deux leaders politiques, à son domicile sis au quartier les Orangers à Rabat. Benkirane avait alors déclaré à la presse qu’il avait fait une proposition à Akhannouch et Laenser portant sur la formation du gouvernement. «J’attends la réponse de Aziz Akhannouch et de Mohand Laenser. J’espère qu’elle sera favorable et permettra de débloquer la situation. Dans le cas contraire, nous serons obligés de nous en excuser…». Et d’appeler les membres de son parti à se préparer à toutes les éventualités, au cas où aucune amélioration n’est constatée au niveau des tractations pour la formation de la majorité.

L’Istiqlal, gagnant ou perdant ?

Formation du gouvernement: on se jette la patate chaude

Se défaire de toute responsabilité dans le blocage des négociations pour la formation du gouvernement est l’attitude choisie par Abdelilah Benkirane depuis le début des négociations. Cette attitude est décriée par de nombreux observateurs et dirigeants de partis politiques. C’est le cas, par exemple, du Président du RNI. A plusieurs reprises, Aziz Akhannouch a estimé que «la balle est dans le camp de Abdelilah Benkirane». Le président du RNI a également souligné, au lendemain de la publication du fameux communiqué du PJD intitulé «Intaha Al Kalam», que le RNI et, avec lui, toutes les parties au processus des négociations pour la formation de la majorité gouvernementale, sont prêtes à contribuer à la réussite de cette expérience, à condition que Abdelilah Benkirane fasse lui aussi plus d’efforts dans ce sens. Cet avis est partagé par le Premier secrétaire de l’USFP. Driss Lachgar a expliqué, lors de sa participation à un débat télévisé, que le chef de gouvernement doit faire preuve de bon sens, au lieu de prôner une politique discriminatoire à l’égard de certains partis. Lachgar a d’ailleurs rappelé que le gouvernement ne doit pas être pris en otage.  A ce propos, le politologue Miloud Belqadi a appelé Benkirane à privilégier les intérêts supérieurs du Royaume et faire preuve de souplesse, s’il souhaite former son gouvernement. Et Belqadi d’ajouter: «Voilà plus de 4 mois que le Maroc est sans gouvernement. Cette situation est le résultat de la rigidité du SG du PJD. Abdelilah Benkirane est intraitable sur certains points, ce qui porte préjudice au processus des négociation pour la formation d’une majorité solide et apte à relever les défis auxquels le Maroc sera confronté». Selon le politologue, «un chef de gouvernement doit faire preuve de bon sens, politiquement parlant et n’exclure personne, sous aucun prétexte».  

Pendant que les uns imputent la responsabilité du retard dans la formation de la majorité à Abdelilah Benkirane, d’autres voient en le SG du PJD un simple bouc-émissaire. C’est le cas du SG du Parti de l’Istiqlal (PI), Hamid Chabat. Selon lui, le gouvernement sera dirigé par Abdelilah Benkirane. A défaut il faudra aller vers de nouvelles élections. Le SG du PI est allé encore plus loin. Rejoignant la théorie du complot soutenue par Benkirane, il a lancé: «Les Marocains connaissent très bien ceux qui mettent les bâtons dans les roues du chef de gouvernement». Selon Hamid Chabat, l’objectif escompté par les comploteurs est de pousser Benkirane à faire un aveu d’échec et à présenter sa démission au Souverain.   

Quelle que soit la cause du retard dans la formation du gouvernement, une chose est sûre: ce blocage est préjudiciable aux intérêts du citoyen marocain, d’abord, à l’économie du pays, ensuite et, enfin, à l’image du Maroc en général. Quoique beaucoup pensent que, même en l’absence du gouvernement, le Maroc continue de fonctionner normalement, au ralenti, certes, mais pas au point d’être en situation de crise.

Mohcine Lourhzal

Les «piques» de Abdelilah Benkirane

Dans son discours prononcé devant les membres de l’Union Nationale du Travail au Maroc (UNTM), le SG du Parti de la Justice et du Développement (PJD) a appelé les membres et les sympathisants de son parti à s’armer de patience «face aux ennemis», tout en estimant que «quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays». En voici quelques extraits:

La valeur du peuple marocain

«Quelle est la vraie valeur de la voix du citoyen marocain et donc la valeur du citoyen marocain? Tout au long de notre expérience à la tête du gouvernement, depuis 2012, nous avons tenté de faire de notre mieux pour accomplir notre mission».

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Empêcher le PJD de travailler

«On a accusé le gouvernement dirigé par le PJD d’avoir pris des décisions impopulaires. Ces accusations dénotent une volonté visant à nous mettre les bâtons dans les roues et nous empêcher de travailler normalement».

Un Maroc nouveau grâce à SM le Roi et au gouvernement

«SM le Roi a souligné à Addis-Abeba que le Maroc dispose de projets en faveur du développement de plusieurs pays africains. Ce nouveau positionnement du Royaume est le résultat d’une politique soutenue, sous la direction de SM le Roi, mais aussi grâce au travail accompli par le gouvernement, dont le Souverain préside son Conseil des ministres».

Le «nouveau Tahakkoum»

«La trajectoire prise par le Maroc à tous les niveaux est malheureusement retardée par des complots tissés ici et là contre nous. Qu’ils réussissent ou pas, c’est une autre histoire. A cause d’un nouveau Tahakkoum, on se retrouve finalement dans une situation préjudiciable au Royaume. Ce Tahakkoum est intervenu en 2015, lorsque notre parti a remporté les élections communales et régionales, mais n’a pu prendre les commandes que de deux régions, au moment où un autre parti a contrôlé cinq régions. On n’a rien à dire d’un point de vue légal. Mais au niveau pratique, permettez-moi de crier mon indignation face à cette situation contre nature. Le citoyen réclame la justice. La société ne sera redressée que si tout un chacun croit en la capacité des décideurs à lui rendre justice et à défendre ses droits».

Quelque chose ne tourne pas rond

«Le gouvernement tarde à voir le jour à cause d’un parti qui insiste à faire partie de la majorité. Ce parti, malgré qu’on lui a confié la présidence de la Chambre des représentants, s’accroche toujours à faire partie du prochain gouvernement. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays. Nous n’allons pas décevoir ceux et celles qui nous ont fait confiance. Nous n’allons pas accepter l’inacceptable. Je vous le dis et vous le répète: le Souverain a nommé le SG du parti vainqueur des élections pour qu’il forme le gouvernement».

La menace du 20 février

«Je ne sais pas où réside le problème. Je ne veux pas rappeler le ‘‘20’’ (allusion aux 20 sièges uniquement qui ont été remportés par l’USFP). Mais qu’on vienne humilier le peuple marocain, on ne l’acceptera jamais. Sinon, cela voudra tout simplement dire que nous ne sommes pas capables de répondre aux aspirations des citoyens. A ce moment-là, nous dirons que la démocratie n’est toujours pas mûre dans notre pays et nous nous en excuserons auprès du peuple marocain».

Humilier le peuple marocain

«Je vous appelle à faire preuve de patiente. Nous ne sommes pas venus pour semer le trouble dans le pays. Nous n’avons besoin de personne pour nous appuyer sur le peuple marocain… Nous n’avons pas le droit d’humilier le peuple marocain, alors que SM le Roi vole au secours des populations africaines en détresse».

Le chemin sera parsemé d’embûches

«Je vous l’annonce dès à présent: le chemin est encore long et il risque d’être parsemé d’embûches et plus difficile que ce que vous imaginez. Heureusement, j’en suis certain, notre espoir en ce peuple et en notre parti nous permettra de sortir gagnants du combat que nous menons contre nos ennemis. Nous sommes prêts à payer le prix fort pour l’avenir de notre pays».

ML

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