Ma retraite vaut-elle une cacahuète?

Ba Hmad, 70 ans, papi ex-salarié, vendeur de cacahuètes, est bien content de sa condition. Ayant travaillé sans contrat et n’ayant jamais su qu’il fallait être déclaré et inscrit au régime de la CNSS pour bénéficier d’une retraite, il raconte sa victoire sur la misère.

«Je suis à la retraite depuis quelques années déjà. Ce n’est pas une retraite comme celle des autres: moi, je ne perçois aucune indemnité. Mais je n’ai su qu’à ma sortie que chez nous, au Maroc, il existait des caisses de retraite obligatoires comme la Caisse nationale de sécurité sociale pour les personnes du privé, la Caisse marocaine de retraite pour les fonctionnaires de l’Etat, le Régime collectif d’allocation de retraite et la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (facultative).

J’étais dans l’ignorance totale et, de toute façon, cela s’est passé il y a bien longtemps. J’étais vainement à la recherche d’un emploi stable, avec un petit salaire tous les mois. Enfin, dans notre région, une grande entreprise s’est implantée. J’ai déposé ma demande d’embauche pour travailler en tant que gardien. J’ai été contacté et l’on m’a préparé un contrat de pré-embauche que j’ai dû signer. J’ai su plus tard qu’étaient stipulées des clauses qui ne me permettaient pas un jour de réclamer une quelconque indemnité. Je percevais un salaire mensuel en liquide et, pour moi, c’était déjà une grande aubaine. J’avais essayé tout de même et à deux reprises de demander ma titularisation, mais le coursier -que Dieu le maudisse!-, dans les couloirs, alors que j’attendais d’être reçu, m’avait soufflé que je risquais fort d’être renvoyé et remplacé. Dans la crainte de me retrouver au chômage, j’avais rebroussé chemin. Je ne suis plus jamais allé dans ce bureau du directeur administratif. J’étais satisfait des quelques pourboires et aides pour les fêtes, en plus de ce petit salaire. C’est comme ça que j’ai pu subvenir aux besoins de ma petite famille. Heureusement, je n’avais pas de loyer à payer puisque j’ai toujours vécu dans la ferme familiale avec mes parents et autres frères. J’ai eu six enfants: quatre garçons et deux filles. Je suis aussi grand-père, tous mes enfants sont mariés et installés -que Dieu les bénisse!-. Les garçons se sont plus ou moins bien débrouillés pour étudier et travailler. Les filles, elles, n’ont pas dépassé le niveau du certificat d’études primaire. Elles ont dû arrêter d’aller à l’école pour aider leur mère dans les tâches ménagères. Elles sont mariées maintenant avec des agriculteurs de la région et vivent correctement. Aujourd’hui, je vis seul avec ma femme. Quand je n’ai plus eu de travail, les deux plus jeunes étaient encore à la maison à ma charge. Je restais à tourner les pouces et me prendre de bec avec mon épouse qui me reprochait mon «n’guire». Elle avait raison, nous ne pouvions être deux à râler. C’était bien suffisant qu’elle me reproche notre misère. J’ai donc décidé d’aller en ville vendre des cacahuètes grillées dans un panier. Toute la famille était contre cette idée, mais je n’en fis qu’à ma tête. Je souffrais trop d’être dans la gêne. Dès16 heures, jusqu’à 21 heures et bien plus tard encore l’été, je déambulais dans les boulevards et rues en proposant à tout va mes cacahuètes. Un dirham par-ci, un dirham par-là, c’était éprouvant, mais j’étais satisfait de mes recettes. Chaque soir, je ramenais de quoi faire un repas: de la vermicelle, des légumes, des olives, des sardines, parfois même un petit morceau de viande. C’est en me baladant un soir que je rencontrais un jeune homme attablé dans une terrasse de café. Il engagea avec moi une discussion particulière, une sorte d’interrogatoire. Il essayait de savoir comment je m’en sortais avec mon panier. La larme à l’œil, il me confia qu’il avait dans son garage l’équipage de son père décédé, un vendeur de cacahuètes lui aussi. Il avait gardé cet attirail en souvenir de lui. Il devait déménager et il ne pouvait se résigner à le vendre. Il me le proposa en guise de «sadaka» à la mémoire de son père et me fit promettre de ne jamais le vendre et de l’utiliser pour vendre mes cacahuètes. J’ai eu une chance inouïe: je me retrouvais donc avec une «carrossa» vitrée avec un système de fortune pour garder au chaud mes cacahuètes et une balance. Cette vitrine roulante était prête à l’emploi. Le lendemain, je suis allé dans l’artère de la ville entre la médina et la ville. C’est là que j’avais repéré qu’il y avait le plus de flux et stationné mon véhicule. C’est la place que j’ai toujours gardée et ce, jusqu’à aujourd’hui. Tout le monde me connaît maintenant, j’adore ce refrain, mon slogan «chi zouj a Ba Hmad». Je tends avec plaisir mes cornets, deux dirhams de cacahuètes. Je n’ai peut-être pas de retraite, mais ce petit boulot a sauvé ma famille et moi de la honte et de la misère. Je pense parfois à ces patrons qui m’ont ôté, moi le plus petit maillon de la chaîne, l’avantage de bénéficier de la retraite; je suis sûr qu’ils ne l’emporteront pas au paradis».

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