L’Afrique, cimetière de l’automobile

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L’Afrique, cimetière de l’automobile : Les combines d’une filière

Ce reportage de Jalal Charron, jeune étudiant français résidant actuellement au Maroc, publié en exclusivité par «Le Reporter», nous fait revivre une expérience exceptionnelle qu’il a vécue lui-même.
Celle des passeurs de véhicules d’occasion, d’Europe vers l’Afrique.
Une filière automobile pour un gigantesque marché parallèle qui a ses agents, ses combines et ses surprises…
Chaque année, ce sont quelque 4 millions de véhicules en fin de vie qui prennent le chemin de l’Afrique où ils se cachent pour mourir…
Le périple est raconté avec un humour «pince-sans-rire» qui ajoute au piquant de cette audacieuse expérience.

Au Bénin, au Gabon, au Nigeria, on les appelle les «venants de France», «Tokunbo», ou encore «occasion Belgique». Nombre de voitures ne répondant plus aux normes de sécurité ou d’émission de gaz polluants en Europe s’en vont finir leurs jours en Afrique.

Ce marché représente trois à quatre millions de véhicules chaque année, contre 1,4 million de véhicules neufs vendus en 2010 sur le continent.
Les véhicules d’occasion empruntent la voie maritime, dans la majorité des cas, depuis les ports de Belgique ou des Pays-Bas; ou empruntent la route traversant l’Espagne et le Maroc.
En 2012, depuis le port d’Anvers, c’est plus d’un demi-million de véhicules qui ont été affrétés à destination de Cotonou (Bénin), Lomé (Togo), Douala (Cameroun), Libreville (Gabon), Dakar (Sénégal) ou encore la Libye.

Nigéria, Niger, Mali et les autres…

A Cotonou, destination première, ce sont plus de 1.000 véhicules par jour qui débarquent et sont acheminés vers d’immenses parcs de stationnement à la périphérie de la ville.
La majeure partie de ces véhicules sont en transit: ils seront vendus au Nigeria, 160 millions d’habitants et gigantesque marché, ou encore au Niger et au Mali.
Ce trafic intense ne va pas sans poser de problèmes.
En effet, ces véhicules rejettent dans l’atmosphère des quantités de monoxyde et de dioxyde de carbone, ainsi que de monoxyde d’azote, bien supérieures aux normes.
D’autre part, le marché de l’occasion prépondérant dans ces pays n’encourage pas les constructeurs automobiles à s’implanter et à y développer des industries. Ce commerce est un frein au développement économique local.
Pour ces raisons, de nombreux pays ont mis en place -ou tenté de le faire- des législations décourageant ou interdisant l’importation de ces véhicules-épaves.
Le Gabon, par exemple, a récemment interdit l’importation des véhicules de plus de trois ans. Le Maroc, depuis longtemps, impose des frais de dédouanement très élevés et interdit l’importation des véhicules de plus de cinq ans. L’implantation au Maroc de l’usine Renault-Nissan, inaugurée en 2012, prouve que cette politique a été efficace. A terme, cette usine sera en mesure de fabriquer 400.000 véhicules par an. Presque autant que l’Afrique du Sud qui a longtemps conservé son statut de seul pays producteur de voitures sur le continent.
La filière terrestre est quant à elle marginale. Les volumes importés sont faibles. Ceux qui descendent les voitures, pour la plupart d’entre eux, sont des «routards» en quête d’aventure. Avec le maigre bénéfice fait lors de la vente du véhicule, ils pourront à peine payer leurs vacances et le billet retour.

De Rennes à Nouadhibou, en passant par l’Espagne et le Maroc

Six heures du matin, Al Argoub, Sahara. Nous avons passé la nuit dans la voiture, sur un parking au bord de la route. Inconfortable, certes, mais cela permet d’économiser quelques dirhams. Notre véhicule: une Volkswagen, Golf III, essence, immatriculée pour la première fois en 1994, avec 170.000 km au compteur. La carrosserie est en très bel état, couleur noire, trois portes.
Nous nous apprêtons. Restent environ 300 km jusqu’au poste frontière de Bir Guendouz, puis une cinquantaine de kilomètres jusqu’à Nouadhibou. Nous roulons de préférence tôt le matin et arrêtons avant la tombée de la nuit. C’est plus sûr et les contrôles de police nous semblent moins drastiques. Nous sommes en règle. Mais chaque barrage -si nombreux dans la région- nous paraît une véritable loterie. L’inventivité de certains policiers est surprenante!
Dernière étape de notre voyage qui a débuté à Rennes, sous un léger crachin, par la recherche, l’achat et l’immatriculation de notre voiture. Nous avons ainsi passé deux semaines à scruter les annonces en ligne et à passer des appels, à la recherche d’un véhicule capable de faire la route et à un prix inférieur à 500 €. Puis, nous traversons la France, Nantes, Bordeaux et Toulouse où un ennui mécanique nous retient trois jours.
Passés les cols pyrénéens, c’est l’Espagne qui se dévoile, Saragosse où l’on rencontre un Sénégalais qui s’apprête à faire la route. «Je pars demain matin au Sénégal. Je fais ce voyage trois fois par mois. Je descends des voitures, toujours un modèle de la marque Mitsubishi. J’ai construit mon réseau, je connais les acheteurs et m’arrange avec la douane»
Madrid, l’Andalousie et Algesiras. Puis, c’est le port de Tanger-Med, l’Afrique, enfin! Et Rabat où l’on passe la journée à attendre notre visa d’entrée à l’ambassade mauritanienne. Nous ne sommes pas seuls: nombreux sont les Maliens, les Sénégalais, les Burkinabés et quelques Européens. Perdre sa journée dans le quartier des ambassades, étape obligatoire pour qui veut continuer la route.
Casablanca. Essaouira. Tiznit. Goulimine. Tan-Tan. Tarfaya. Laâyoune. Boujdour. La route traverse tant de pays, de villes, de villages. Elle semble ne jamais devoir s’arrêter. Et pourtant, aujourd’hui, notre voyage arrivera à terme.

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No Man’s Land entre le Maroc et la Mauritanie, Mecque de tous les trafics

Le soleil se lève sur un paysage de sable et caillasse, alors que nous passons le Tropique du cancer. Un brouillard épais de poussière nous empêche de voir à cent mètres alentour. De minces ruisseaux de sables portés par le vent coulent au-dessus de la route. Ce paysage fantomatique, presque irréel, réveille en nous angoisses et fantasmes.
Un pick-up nous double, transportant à l’arrière des hommes enturbannés. Nous ne pouvons pas ne pas penser à ces groupes terroristes armés qui, si l’on en croit la presse et notre gouvernement, ont élu domicile dans la région. Le pick-up continue sa route. Le brouillard se lève.
Poste frontière, file de voiture et déjà on nous démarche.
Des Sahraouis. Ils attendent ici, achètent les voitures et les revendent côté mauritanien. «Parfois, me dit l’un d’eux, j’achète les voitures à Khouribga ou bien à Ceuta et fais moi-même la route jusqu’à la frontière».
On nous propose ici 3.000 DH, puis 4.000DH et enfin 5.500 DH…
«Le problème que pose votre voiture, c’est l’essence qui coûte très cher; on préfère les véhicules diesel. De plus, les véhicules trois portes sont peu recherchés. Vous n’en tirerez pas un meilleur prix».
La douane marocaine enregistre la sortie de notre véhicule (entré à Tanger-Med sous le régime de l’admission temporaire, limitée à une durée de trois mois).
No Man’s Land, cinq kilomètres d’une piste aux abords minés entre le Maroc et la Mauritanie, Mecque de tous les trafics, c’est ici qu’ont lieu les transactions. A quelques mètres du poste frontière, les acheteurs attendent, liasse en main, les véhicules à vendre.
La piste est mauvaise, on en distingue mal le tracé et on ne peut apercevoir le poste-frontière mauritanien, trop lointain. De nombreuses voitures semblent abandonnées, certaines en bon état. A d’autres, il ne reste que l’ossature, victimes des mines et des pillards.
«Les voitures que vous avez vues dans le No Man’s Land, ce sont celles que les douaniers n’ont pas laissé entrer. La plupart ont été volées en Europe. Elles passeront quelques mois ici, jusqu’à ce qu’un douanier décide d’en faire son affaire», nous explique un intermédiaire rencontré à Nouadhibou.

On boit du thé, on discute le prix et on subit la concurrence déloyale des véhicules volés…

Poste frontière mauritanien. Les agents de la police frontière sont plus intéressés par le prix de notre voiture que par les formalités. Une foule se bouscule aux portes du bureau de la douane; il faut y faire enregistrer l’entrée d’un véhicule, il en coûte cent dirhams. L’admission temporaire est valable une semaine seulement.
Ici, à nouveau, les intermédiaires attendent. L’un d’eux: «Je vous en donne six cent euros. Je connais une femme à Nouadhibou qui recherche exactement ce type de voiture ». Ils sont nombreux, comme lui, à attendre qu’une voiture correspondant à leur commande se présente.
«Nous connaissons le circuit, nous achetons les véhicules, puis les faisons entrer sans nous acquitter des frais de dédouanement. Il faut pour cela glisser quelques billets au douanier et emprunter la route espagnole en compagnie d’un guide. La route espagnole n’est plus utilisée, ses abords sont minés, c’est dangereux. Mais on évite ainsi les barrages et contrôles à l’entrée de Nouadhibou. Cela coûte environ 60.000 ouguiyas (150 €) par véhicule».
Nouadhibou, capitale économique du pays, est un immense village où courent les chèvres et les pirogues. Nous parcourons la ville. Mille rencontres, milles acheteurs. Vendre un véhicule ici est un jeu d’enfant, tant les Mauritaniens sont intéressés par ce commerce; tout un chacun est, à ses heures perdues, acheteur-revendeur. En revanche, difficile d’en obtenir un bon prix quand le véhicule ne correspond pas aux attentes du marché.
Quatre portes, fonctionnant au diesel, R21, 405, Toyota Avensis, Mercedes 190D, 200D, 240D, l’aspect ne compte pas, c’est de l’or! En effet, les pièces de rechange sont disponibles et les voitures serviront comme taxis. Près d’un million d’ouguiyas (2.500 €) pour une Mercedes 190D, 5 cylindres.
Il existe des dizaines de bourses dans la ville: pièce unique où sont installées de vieilles banquettes et devant laquelle sont garées une dizaine de bagnoles. D’abord, on ouvre le capot et on fait vrombir le moteur. Très rapidement, les yeux experts se font une idée du véhicule. Ensuite, on s’assoit, on boit du thé, on discute le prix et on subit la concurrence déloyale des véhicules volés.
Les jours passent, les prix dégringolent.
Il faut vendre. Payer une commission à l’intermédiaire s’il y en a un -et il y en a toujours un-. Décharger le passeport, c’est-à-dire quitter le territoire et remettre les clefs à l’acheteur dans le No Man’s Land, en échange de l’argent. Aucun papier ou formalité, une poignée de main suffit… A la charge de l’acheteur de faire ré-entrer le véhicule…

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Quelques leçons et toutes ces choses qui n’ont pas de prix !

Poste frontière marocain. Nous entrons à pied, sac sur le dos. La voiture avec laquelle nous venons de quitter la Mauritanie, tampon sur le passeport faisant foi, a disparu, dévorée, semble-t-il, par les sables du No Man’s Land. Nous dressons le bilan.

Dépense totale

– Achat de la voiture: 300 €
– Réparations: 200 €
– Contrôle technique, certificat d’immatriculation et plaques d’immatriculation: 240 €
– Ferry: 115 €
– Essence: 300 €
– Visas d’entrée en Mauritanie: 35 €/personne
– Assurance: 40 €/mois
– Assurance territoire Mauritanien: 20 €
– Admission temporaire Mauritanie: 10 €
– Commission payée à la bourse: 25 €

Recette

– Covoiturage: 100 €
– Vente du véhicule: 230.000 ouguiyas (590 €)
Une très mauvaise affaire! Une voiture trop gourmande en carburant et qui ne correspondait pas aux attentes du marché. Peut-on espérer faire mieux?
A la frontière marocaine, nous rencontrons Pierre et un ami ariégeois, au volant d’une Mercedes 190D, carrosserie déglinguée. «Ça fait dix ans que je fais le voyage. On laisse la voiture dans le No Man’s Land et on continue jusqu’au Sénégal cette fois. Avec cette voiture, je vais faire une affaire, c’est certain! Je l’ai achetée 300 €, j’ai fait 150 € de frais, seulement»
Quand je lui pose la question de l’immatriculation, il me répond: «Surtout, ne la faites pas immatriculer à votre nom, cela coûte trop cher. Faites enregistrer la cession en préfecture, on vous donnera un certificat tamponné et cela suffit».
Il m’apprend aussi ceci: «Il est possible également de vendre sa voiture à la frontière malienne, aux douaniers. Les prix sont bien meilleurs qu’ici. Le No Man’s Land, c’est le premier point de vente; les prix sont cassés».
Ainsi, s’il est possible de faire un bénéfice, faire fortune, certainement pas. D’ailleurs, si l’on en croit les discussions sur les forums, le voyage était bien plus lucratif dans les années 2.000, les marges s’étant considérablement réduites depuis. La filière serait-elle amenée à disparaître?
Peut-être. Mais, le voyage, la traversée du Sahara, les rencontres sur la route, sont tant de choses qui n’ont pas de prix.
C’est pourquoi certains passionnés reprennent la route chaque année…

Jalal Charron

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