«Le risque zéro n’existe pas»
Pour l’épidémiologiste spécialiste en maladies infectieuses, Jaafar Heikel, le Maroc n’est pas l’abri du virus chinois qui continue de se répandre. La vigilance et un contrôle approprié doivent, selon lui, rester de mise. Entretien.
Le coronavirus, qui a en premier frappé la ville chinoise de Wuhan, continue de se propager. A quel point la situation est-elle inquiétante?
La situation impose une vigilance sérieuse, mais n’est pas à un degré imposant un niveau d’alerte mondiale de type urgence 6. Plus de 100 morts et près de 4000 atteints, mais encore circonscrits à peu de pays. Nous sommes face à une situation épidémique mais pas pandémique.
Pourquoi le Coronavirus se propage plus vite que le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère)?
En effet, le coronavirus se propage plus vite que le Sras. Mais nous ne connaissons pas encore bien la source initiale de propagation. Nous ne maîtrisons pas encore suffisamment les hôtes intermédiaires et nous savons que la propagation interhumaine est importante. Nous devons mieux connaître les modes de transmission de ce virus, son niveau de transmissibilité, sa virulence, le délai d’incubation et la source animale de contamination potentielle.
Au jour d’aujourd’hui (mardi 29 janvier 2020), le bilan enregistré est de 170 et 7783 atteints de ce virus. L’OMS ne considère pourtant pas l’épidémie comme une «urgence de santé publique de portée internationale». Selon vous, pourquoi ?
L’OMS ne veut pas adopter la même réaction que lors du Sras et du H1N1. Des réactions et interventions non optimales ont eu lieu avec panique, achat excessif de vaccins non utilisés, etc.
Je partage la décision de l’OMS d’aller vite, mais de ne pas se précipiter. Nous devons faire les investigations épidémiologiques avant de proposer les mesures. Par ailleurs, la Chine a réagi très rapidement et a montré une capacité de mettre en place un plan d’urgence adapté.
Le Maroc instaure un contrôle sanitaire aux ports et aéroports internationaux. Est-ce que ce contrôle est suffisant dans la mesure où on peut avoir contracté ce virus pendant plusieurs jours sans le savoir?
Le Maroc a mis en place des mesures comme ce fut le cas avec H1N1 et le Sras. Honnêtement, le contrôle sanitaire aux frontières est bien organisé. Mais comme vous l’imaginez, le risque zéro n’existe pas et nous ne sommes pas à l’abri, comme ce fut le cas pour la France avec la confirmation de ses premiers cas (quatre cas positifs). Donc il faut rester confiant mais en même temps vigilant, tout en mettant en place et en oeuvre tout le contrôle approprié.
Que pensez-vous de la gestion de l’opération de prévention et de contrôle au Maroc? Quelles autres mesures pourriez-vous conseiller au ministère de la Santé?
Je pense que le ministère de la Santé, à travers la Direction de l’Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies (DELM), sait gérer les crises sanitaires. Par contre, je leur conseille -comme je le dirais au chef de gouvernement- de mieux communiquer avec la population et les professionnels de Santé et d’agir avec raison, mesure et agir de manière rationnelle.
Et si jamais -par malheur- le virus s’introduisait au Maroc, pensez-vous qu’on est bien préparé pour endiguer ce virus chinois?
Personne n’est jamais préparé à une crise sanitaire, mais l’on peut dire que l’on apprend des expériences passées. Je pense que les autorités et les professionnels, et surtout les médias, doivent prendre la mesure du risque, sans excès, mais sans banalisation non plus.
Que conseillez-vous aux citoyens?
Comme pour toutes les maladies à transmissions aériennes et interhumaines, l’hygiène individuelle et collective est essentielle. Elle commence chez soi, par soi-même, avant d’être dans les lieux publics ou espaces communautaires.
Interview réalisée par Naîma Cherii