Décisions des juges : Le Roi n’y est pour rien Cet article 124 de la Constitution qui pose problème…

Décisions des juges : Le Roi n’y est pour rien Cet article 124 de la Constitution qui pose problème…

En 2017, près de trois millions de décisions judiciaires ont été prononcées (précisément 2.846.192), avec un pourcentage de 45% de décisions pénales et 55% civiles.

Le Maroc compte aujourd’hui 4.026 magistrats, dont 2.924 juges (magistrats du siège), le reste étant composé de magistrats du parquet et d’autres services.

Et, toujours en 2017, chaque juge marocain a prononcé en moyenne 965 jugements…

Décisions justes. Décisions équitables. Ou jugements entachés de doute, car estimés plutôt arbitraires et partiaux et sujets à contestation…

Le doute n’émane cependant pas des  termes de la loi, mais plutôt du pouvoir de celui qui est censé l’appliquer, juger en vertu de ses termes et le faire en toute âme et conscience…

Celui-ci se sort cependant d’affaire, puisque, dans l’exercice de cette fonction, précisément, il n’assume aucune responsabilité du fait qu’il prononce «son» jugement au nom du Roi…

Imaginons qu’au cours de 2017, les presque 3 millions de jugements ont été rendus «au nom du Roi»! Quasiment 3 millions de citoyens ont été ainsi sanctionnés ou acquittés, dans des affaires qui les concernent, dont ils sont directement responsables et dans lesquelles la Justice, a trouvé le moyen «d’impliquer» le Roi!

Une justice qui se dit aujourd’hui libre et indépendante, mais qui trouve le moyen de garder ceux qui sont censés l’appliquer à la lettre, à l’abri de toute répercussion… C’est là que la loi pose problème à la loi et où la justice peine à se faire justice… C’est là aussi que même un article de la Constitution représente une entrave à la bonne marche de la justice et à l’application de cette même loi…

Décisions des juges : Le Roi n’y est pour rien Cet article 124 de la Constitution qui pose problème…

On est en juin, l’été est là et ses premières chaleurs montrent déjà le bout du nez. Une salle du tribunal à Casablanca, archi comble où l’on suffoque sous le joug de l’ambiance marquée par un brouhaha insupportable et un mouvement en masse d’avocats courant à droite et à gauche, posant des questions, discutant… Et une assistance qui semble aussi souffrir du fardeau de l’attente… La pénible attente d’une délivrance qui ne sera probablement pas comme on l’attend, via le jugement d’un parent, d’un proche ou d’un fils qui, pour une raison ou une autre, s’est retrouvé sous les verrous. Des regards vagues, des visages ruisselant de sueur et des joues arrosées par des larmes, rendent l’atmosphère plus pesante et plus étouffante… Soudain, une voix retentit: «La Cour!», «Mahkama», crie un greffier… Le silence devient alors maître des lieux, tandis que les juges prennent place…

Décisions des juges : Le Roi n’y est pour rien Cet article 124 de la Constitution qui pose problème…

Tout le monde s’assoit, le silence, brisé par quelques voix murmurant des prières et des versets coraniques… Le président ouvre un dossier pris dans une pile soigneusement rangée, l’ouvre, le contemple un moment puis annonce le dossier jugé, le chef d’accusation et les nom et prénom de l’accusé pour ensuite se prononcer: «Au nom de Sa Majesté Le Roi et en vertu de la loi, cette cour te condamne à…»…

La suite est longue, les jugements se suivent mais ne se ressemblent que par ce «Au nom de SM le Roi» qui revient chaque fois et les cris et pleurs dont certains frôlent l’hystérie, après chaque jugement… Des cris qui rappellent ceux de gens, vus sur le chemin du tribunal, au beau matin, ce même jour, alors qu’ils faisaient face à des agents d’autorité et des éléments des forces de l’ordre, venus exécuter un jugement qui les contraignait à évacuer les demeures qu’ils ont occupées plus de 30 ans et que le propriétaire veut aujourd’hui récupérer… Tout en lui reconnaissant ce droit, ces gens se demandaient ce qu’il adviendra d’eux… Les personnes chargées de l’exécution du jugement étaient dans un embarras tel qu’elles ne savaient quoi répondre, sauf qu’elles sont contraintes de faire leur travail et d’exécuter ce jugement! Un autre, parmi les 3 millions prononcés aussi «au nom du Roi»!

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En effet, son mégaphone à la main, un responsable appelait cette foule à l’ordre rappelant qu’il est dans l’intérêt de ces gens d’obtempérer et de faciliter la tache aux «exécuteurs»… Que le refus risque d’être interprété comme le «refus» clair et prononcé de se plier à un ordre «royal»! Ne l’entendant pas de cette oreille, un vieillard lui crie alors au visage «Le Roi des pauvres, le Roi du changement et du renouveau, le Roi du modernisme et du développement humain, notre Roi que Dieu l’assiste, n’ordonnerait jamais une telle aberration et ne mettrait jamais, aussi cruellement, de pauvres citoyens dans la rue»… Des «youyous» mêlés à des «Vive le Roi» retentissent aussitôt, quand toute la foule approuve les «sages» paroles du vieux et lui donne raison… Certes, il a raison. Mais, l’agent d’autorité aussi est dans son droit et a entièrement raison. Il est là en vertu de la loi pour exécuter un jugement prononcé «Au nom du Roi»… Le rendez-vous du tribunal pressait et l’on a quitté les lieux sans savoir qui de la foule ou des exécuteurs a fini par avoir raison de l’autre…

Un vrai article à problème…

Dans son article 124, en effet la Constitution de 2011 énonce que  «Les jugements sont rendus et exécutés au nom du Roi et en vertu de la loi». Cet article trouve probablement son origine et son argumentation, un peu avant dans cette même Constitution dont l’alinéa 2 de l’article 107 précise «Le Roi est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire» Une indépendance clairement soulignée au 1er alinéa qui souligne «Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif».

Une indépendance que garantit en effet le Roi qui veille à ce qu’aucun des pouvoirs n’interfère ou n’empiète sur les prérogatives de l’autre. Un pouvoir «suprême» d’arbitrage qui garantit aussi la séparation des pouvoirs qui est le fondement de toute démocratie.

Cette dernière dont les bases élémentaires se trouvent aujourd’hui en contradiction avec l’esprit de cet article 124, du fait que l’Institution royale ne peut être assimilée au pouvoir judiciaire. L’article 49 de la Constitution illustre d’ailleurs cette situation «Le Roi Chef de l’Etat, Son Représentant Suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et Arbitre Suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume».

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Ce qu’on peut retenir de cet article de la Loi fondamentale, c’est d’abord cette notion, voire ce statut d’«Arbitre Suprême» entre les institutions qui sépare clairement l’Institution royale du pouvoir judiciaire. Ensuite, il y a cette qualité de «veiller» «…à la protection … des droits et libertés des citoyennes et des citoyens».

Comment peut-on concevoir qu’il revient au Roi de veiller à la protection des droits et libertés et que, dans le même temps, de simples sentences de magistrats, font assumer au Roi (à son insu) l’inverse, quand elles incriminent injustement des citoyens ou bafouent leurs droits ?

Les magistrats qui appliquent la loi et jugent en sa vertu, devraient assumer la responsabilité de «leurs» actes et de «leurs» jugements, prononcés aujourd’hui «Au nom du Roi», au risque, dans certains cas, entachés de «doute», de «manipulation» ou «d’injustice» déclarés,  de nuire au Roi et au capital «sympathie, attachement et dévouement» dont il jouit auprès du peuple depuis son accession au Trône… C’est mettre le Roi au devant d’affaires auxquelles il ne faudrait ni le mêler, ni l’impliquer compte tenu du respect qui lui est dû et de l’inviolabilité de Sa Personne «La Personne du Roi est inviolable et respect lui est dû», souligne en effet l’article 46 de la Constitution. Alors pourquoi l’impliquer dans des affaires, dans lesquelles il n’est pour rien ou qu’il aurait pu régler de manière juste et intelligente, si toutefois elles lui avaient été soumises.

Pourquoi, sous l’effet d’un article de la Constitution, on porte atteinte à un secteur clé de la démocratie et l’un des pouvoirs fondamentaux -à sa voir la justice- quand tout se fait aujourd’hui, pour lui garantir une indépendance confirmée qui lui confère une liberté d’action et de décision ?

La naissance d’ailleurs du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), venu en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature, est une illustration sans ambiguïté, de cette indépendance. De même que le Parquet n’est plus sous la tutelle du ministère de la Justice et agit donc en tant qu’institution libre dans ses décisions, indépendante dans ses actes et  entièrement responsable de ses propositions… Une vision aussi indépendantiste n’est-elle pas en flagrante contradiction avec des verdicts prononcés «au nom du Roi», par des magistrats qui ne les assument donc que partiellement ?!

Que peuvent-ils bien craindre ou redouter s’ils s’appliquent à se conformer à l’application de la loi, comme le  souligne encore la Constitution, dans son article 110, «Les magistrats du siège ne sont astreints qu’à la seule application de la loi. Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de l’application impartiale de la loi ?

Les magistrats du parquet sont tenus à l’application de la loi et doivent se conformer aux instructions écrites, conformes à la loi, émanant de l’autorité hiérarchique»…Ce qui est sûr, c’est que le Roi n’a pas à assumer les erreurs des magistrats, les injustices de certains d’entre eux, ni même les erreurs judiciaires. Les citoyens qui subissent une injustice, notamment quand elle détruit leur vie, ne comprennent pas que cela se fasse au nom du Roi.

Hamid Dades

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