Je dénonce nos lois de l’héritage!

Hnya, 45 ans, est femme de ménage depuis 30 ans. Tout ce qu’elle a pu gagner et ce, depuis le début, elle l’a donné à ses parents. Tout comme ses grandes sœurs. Mais voilà qu’après leur père, leur mère décède et tout bascule. Les frères veulent leur part de la maison où elles ont toujours vécu. C’est la loi. Anéantie, elle raconte.

«Nous sommes une famille de six enfants, trois frères aînés et trois sœurs; nous sommes nés du deuxième mariage de mon père. Mon père avait près de 45 ans quand il a épousé ma mère. Il avait déjà eu 4 enfants de son premier mariage. Un mariage où il avait tout perdu. Il ne s’entendait pas du tout avec la famille de sa première femme qui le narguait en lui rappelant tout le temps qu’il n’avait épousé leur fille que pour leur richesse. Mon père, menuisier de profession, était très orgueilleux. Il s’était ruiné à faire taire cette belle-famille en achetant un terrain et en y construisant une maison qu’il avait mise au nom de son épouse. Je me souviens encore de cette dernière qui venait souvent faire des scandales devant chez nous, traitant ma mère de voleuse de mari et de sorcière. Elle hurlait et racontait à qui voulait l’entendre que c’était à cause de nous que mon père l’avait abandonnée sans le sou avec quatre enfants sur les bras. Elle n’avait jamais supporté le remariage de mon père. Son intention était de l’anéantir et de le faire jeter en prison. C’est pour cela qu’elle venait jouer la comédie de la victime. Elle n’était pas du tout dans le besoin, comme nous autres. Elle habitait sa maison de trois étages avec deux locaux commerciaux. Elle louait deux étages et les deux locaux commerciaux. Tout ce que lui rapportaient ces loyers, mon père n’en percevait pas le moindre centime.
Mes parents ont été mariés par la famille; ils étaient cousins éloignés. C’était la seule façon de sauver mon pauvre père qui sombrait peu à peu dans l’alcoolisme. Nous vivions au départ dans une baraque de tôle dans son dépôt de planches de bois. Ensuite, mes parents ont pu acquérir une petite parcelle de terrain distribuée par le programme de l’aménagement urbain pour éradiquer les bidonvilles. Ma mère, qui avait hérité d’un petit pécule, l’avait placé dans cet achat. Mon père avait pu, en contractant des prêts, payer tous les frais de dossiers et taxes et nous construire quelques pièces cimentées sans portes, ni fenêtres. Nous n’avions même pas d’eau, ni d’électricité. Nous avons mis des années pour rembourser les prêts. Souvent malade, il n’avait plus assez de force pour travailler. Il est décédé alors que moi, la plus jeune, avais 15 ans. Mes frères, qui étaient plus grands, étaient déjà mariés et installés.
Nous les trois filles, nous n’avons jamais été mariées. Nous travaillions depuis toujours –et avons continué de le faire- tantôt dans des maisons pour des ménages, tantôt dans des fermes pour des cueillettes de saison. Notre seul but était de soulager notre mère des turpitudes et inquiétudes. Ainsi, nous nous étions attaquées à l’aménagement de notre domicile. Nous avions, avec nos économies, installé des portes et des fenêtres neuves; nous avions fait construire et équiper la cuisine et la salle de bain. Nous avions aussi déboursé de belles sommes pour que notre maison soit carrelée de la terrasse à l’entrée. Nous l’avions équipée de meubles, de tapis, de couvertures. Nous avions toujours tout payé rubis sur l’ongle. Jamais mes frères, qui avaient leurs propres foyers à aménager, ne nous avaient aidées en quoique ce soit. Ils cotisaient seulement pour le mouton de chaque Aïd qu’ils venaient avec leur famille manger avec nous. Et ils emportaient même leurs parts de viande. Mes sœurs et moi n’achetions jamais rien pour nous. Tout ce que nous portions venait des dons des maisons dans lesquelles nous travaillions. Ils nous donnaient les restes des repas avec lesquels nous dînions. Nous n’achetions en supplément que ce que notre mère voulait pour ses repas. Mes sœurs et moi, nous nous contentions de ce qu’on nous donnait sur notre lieu de travail. Toutes ces économies et ces privations, nous les avions faites pour notre mère et aussi pour que nous, qui n’avions jamais été mariées, vieillissions à ses côtés, dans une jolie maison. Et voilà que nous nous rendons compte, un peu tard malheureusement, que tout cela n’était qu’un rêve!
Ma mère, qui avait été hospitalisée pour une bronchite sévère, n’a pas vu son état s’améliorer. Pire, il s’altérait et nos frères et leurs épouses sont venus s’installer avec nous, soi-disant pour nous assister dans les soins que nous lui prodiguions. Leurs intentions, en fait, étaient sournoises. Ils n’étaient là que dans le but de faire le recensement de tous les objets de la maison.
Ma mère, qui allait de plus en mal, nous a quittés pour toujours. Et nous n’avons pas eu le temps de soulager notre peine que déjà les adouls étaient là pour le partage de tout. Nous nous sommes révoltées. Puis, après cela, nous nous sommes résignées. Avions-nous le choix? Mes sœurs et moi n’avions jamais mis la moindre facture de travaux ou d’un achat quelconque en notre nom. Comment aurions-nous pu imaginer un jour la mort de notre adorée mère et le vil comportement de mes frères? Pour nous faire déguerpir rapidement, ils ont menacé de vendre leur part qui, selon la loi, valait deux fois la nôtre, puisqu’en droit musulman, la femme (ou la fille) hérite d’une part et l’homme (ou le garçon) de deux parts. Ils ont menacé de nous laisser face à des inconnus, nouveaux acquéreurs… Voilà! Toutes ces années de labeur et de privations vont profiter à d’autres sans scrupules. De la petite cuillère, jusqu’à nos propres vêtements -et bien sûr la maison- tout a été partagé! Est-ce ça la justice? Bien sûr, tout le monde nous dit que c’est la loi, c’est le droit musulman. Mais ces lois étaient valables à une certaine époque. Une époque où les hommes étaient tenus de subvenir aux besoins des femmes. C’est pour ça qu’ils avaient droit à deux parts. C’était même très généreux de prévoir une part pour la femme qui n’avait aucune dépense à faire. Aujourd’hui, les temps ont changé. La femme gagne sa vie et dépense autant, sinon plus que l’homme. Il a bon dos, le droit musulman… On y a changé bien des choses quand cela arrangeait la société… Pourquoi cette loi-là est-elle immuable? Faut-il ruser pour la contourner? Le testament n’existant pas chez nous, il aurait fallu que ma mère mette la maison à notre nom de son vivant pour que nous ne nous retrouvions pas à la rue. Mais alors qu’elle se mourait, qui aurait pu -ou même osé- penser à cela? Ce n’est pas correct. Non, c’est la loi qui doit changer! Celle qui est en vigueur actuellement n’est pas juste».

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Mariem Bennani

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