Azedine Nekmouche, Président du Conseil national des architectes du Maroc

«Le secteur connaît une régression sans précédent»

Azedine Nekmouche, Président du Conseil national des architectes du Maroc

Vous avez été élu président de l’Ordre national des architectes, il y a un mois. Quels sont les dossiers urgents auxquels vous comptez vous attaquer?

Depuis la passation des pouvoirs entre l’ancien Conseil et le nouveau, il y a seulement un mois, nous nous sommes efforcés de ressortir l’historique des dossiers en cours et il s’avère que certains dossiers sont en lice depuis des années. Ces dossiers concernent l’exercice de la profession comme, par exemple, le code de déontologie ou le règlement intérieur qui devront être revus et appliqués, le code d’honneur pour l’exercice de la profession, de même que des amendements de la loi 16-89. Actuellement, comme vous le savez, le secteur connaît une régression sans précédent, depuis la mise en application du décret de passation des marchés et de la loi 66-12. Le décret, censé à la base rendre la commande publique accessible équitablement, se trouve aux antipodes de ses objectifs… Pour ne pas dire qu’on est revenu aux méthodes premières du copinage, mais cette fois-ci en appauvrissant les intervenants dans le domaine. A citer dans ce cadre la dernière réclamation de la Fédération des entrepreneurs, selon laquelle les promoteurs sont aussi touchés. Pour les architectes c’est d’autant plus grave que des concours sont lancés sans le respect des règles de transparence, sans donner toutes les informations nécessaires et sans mettre en place des jurys compétents pour juger des œuvres. Certains concours sont même annulés la veille du rendu, sans raison valable et sans dédommager les participants. Je voudrais mettre l’accent sur le fait que, lorsque l’Etat lance un concours pour la réalisation d’un projet, dont les honoraires de réalisation pour 2 ou 3 ans sont, par exemple, d’un montant de 400 mille de dirhams, il y a parfois une participation de près de 40 architectes. Pour préparer ce concours, le coût des documents demandés s’élève entre 80 mille et 100 mille de dirhams par dossier déposé. Cela veut dire un coût moyen de près de  4 millions de dirhams, pour choisir un architecte qui touchera 400 mille de dirhams HT en deux ou trois ans. C’est l’appauvrissement de la profession avec les deniers publics. C’est donc un autre dossier prioritaire pour nous.

Depuis son adoption en été dernier, la loi 66-12 continue de susciter la polémique au sein des professionnels. Que comptez-vous faire pour l’amendement de cette loi?

La loi 66/-12 a été lancée sans tenir compte des tenants, aboutissants et conséquences. Aujourd’hui, cette loi a mis un frein au développement et à l’investissement. Une loi qui est intéressante, hormis la sanction de privation de liberté et la mise en place d’un système de délation et de complicité. C’est pourquoi des promoteurs, des architectes des bureaux d’études techniques (BET), des entreprises et d’autres intervenants ont décidé de mettre un terme à leur engagement dans le secteur. En effet, pour passer d’un développeur ou d’un concepteur à un criminel, il n’y a plus qu’un pas, puisque toute modification devient une infraction passible de peine d’emprisonnement, vu qu’il n’y a pas de précisions quant aux infractions. Un chantier suivi est un chantier vivant. L’architecte peut y apporter des modifications, sans pour autant enfreindre la loi, en raison de la structure de nouvelles techniques ou autres aléas. Cette loi  aurait dû être lancée après avoir remis à niveau tous les intervenants, avant de devenir un moyen de répression contre les seules professions organisées. Des amendements sont en cours. Une série de réunions ont débuté avec le ministère. Il y a une nouvelle ambiance de travail qui permettra de sortir un certain nombre de dossiers dans des délais appréciables et dans l’intérêt général. 

Quels objectifs vous fixez-vous concernant la profession? 

Notre objectif essentiel est de retrouver la place qui est  la nôtre dans notre société, c’est-à-dire rendre l’architecture d’utilité publique. Nous avons laissé beaucoup de chaises vides et la société s’est réalisée sans nous; même si nous avons participé à la dégradation de notre milieu urbain et rural emprisonné par un urbanisme hors norme qui n’a pris en compte ni les réalités marocaines, ni l’amélioration du cadre bâti pour un meilleur cadre de vie.  Nous allons offrir nos services à notre administration pour redonner un cadre de vie agréable à nos concitoyens. Les enjeux sont considérables par leur ampleur et leur urgence. Ils concernent la profession en interne, mais aussi la relation de l’instance ordinale avec les pouvoirs publics et les différents acteurs du bâtir. L’objectif, c’est aussi de permettre aux architectes nationaux d’être présents à l’international. Beaucoup ont déjà réussi à percer. A nous de leur dérouler un tapis rouge, pour porter haut le drapeau national. 

Certains architectes ne font qu’apposer des signatures. Comment allez-vous vous y prendre pour améliorer l’image de la profession auprès du public?

Ce problème n’a que trop perduré. Nous avons mis en place une commission de discipline, dont la mission sera de créer un observatoire national de l’exercice de la profession, afin de pouvoir agir face à ceux qui n’ont pas encore compris le danger qu’ils encourent en continuant de ne pas respecter la mission dont ils sont chargés. L’application de la discipline a déjà pris son élan et le couperet tombera. Un travail colossal est d’ailleurs en cours, en collaboration avec les conseils régionaux. De même, des mesures seront prises pour offrir une commande publique et privée équitable et transparente, afin de faire disparaître l’excuse de «je n’ai pas de travail ou l’administration détourne les projets…». L’image de l’architecte est excellente. Il suffit de débroussailler, d’enlever toutes les mauvaises herbes qui poussent autour d’elle. Vous savez qu’à titre individuel, l’architecte fait en permanence de l’assistanat architectural, mais jamais on ne lui reconnaît cette noblesse. On le considère comme quelqu’un qui gagne facilement beaucoup d’argent. Mais personne ne fait cas de tous ses déboires, lors des différentes démarches administratives, pour l’obtention d’une autorisation ou pour se mettre au niveau de certains intervenants pour le suivi de chantiers. Sachez que plus de 60% des architectes vivent sous la coupe familiale. Nous ne sommes que 2.200 architectes privés. Et pourtant, la commande publique et privée permettrait à plus de 25.000 architectes de vivre aisément et d’offrir le meilleur d’eux-mêmes. 

La commande publique n’est donc pas bien répartie? Quel rôle peut jouer l’Ordre des architectes dans ce cadre? 

Comme je vous l’ai expliqué, la commande publique est très mal répartie. L’Ordre doit être présent depuis le début du processus du lancement des concours, jusqu’à la participation en tant que président du jury. Et une bonne partie des concours devraient directement être lancés par l’Ordre. 

Sur quel dossier travaillez-vous actuellement?

Depuis notre élection, nous avons pu obtenir l’organisation d’une manifestation continentale, voire même mondiale. En effet, nous organisons la 56ème session de l’Union Africaine des Architectes et le Campus des Penseurs Urbain sous l’égide de l’ONUHABITAT et de l’Organisation Africaine des Collectivités locales, avec la participation de 40 pays frères africains. Cette manifestation aura lieu du 29-30 juin au 2 juillet, avec la participation de plus de 100 architectes de tous les coins d’Afrique. De cette manifestation, ressortiront les recommandations de Mazagan. Nous sommes mobilisés pour sa réussite, en partenariat avec le ministère, la wilaya du grand Casablanca, la commune urbaine de Casablanca, la région de Casablanca et la Province d El Jadida.

Interview réalisée par Naîma Cherii

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