Un portable pour la mendiante

Yamina, 19 ans ou presque, est en couple, avec deux enfants. Cette jeune mendiante, vagabonde de surcroît, découvre les opportunités qu’offre internet, mais qui lui seront à jamais proscrites. Ses impressions bouleversantes…

«Depuis que j’ai pris place dans ce quartier et que je vois tous ces enfants  avec leur cartable prendre le chemin de l’école, j’avoue avoir un gros pincement au cœur. Cette piqûre douloureuse me fait prendre conscience encore une fois de ma condition. Parce que, pour les miens d’enfants, une scolarité, ils ne sauront jamais, au grand jamais, ce que c’est. De toute façon, il en fut ainsi pour ma mère, pour moi, maintenant pour eux et sans aucun doute le même sort sera réservé à… Et puis, non! Je me défends d’avoir des certitudes sur ce qui n’existe pas encore. Pour nous autres vagabonds, demain est un jour qui ne peut se lever que si l’on a survécu à aujourd’hui. Il n’y a que le cirage qui nous permette d’oublier le temps. Et la rue, on ne s’en tire jamais.

Mais moi, maintenant, il me semble que c’est d’un téléphone portable que j’ai besoin. C’est utopique, absurde, mais peu importe… L’idée de disposer d’un tel objet que je pressens salvateur ne m’est pas tombée du ciel. Surtout pour une personne comme moi, n’ayant aucune éducation, ni foyer, ni proches et dont l’ambition suprême s’est toujours limitée à la survie, à l’obole des passants ou à celle des poubelles.

Il est vrai que je n’ai aucune information fiable pour parler du comment et du pourquoi qui m’a fait parachuter dans cet univers. Néanmoins, il est sûr et certain que ce n’est pas moi qui ai fugué pour me complaire dans la rue. Il semblerait que j’ai été le fruit de ce qui n’a rien à voir avec de l’«amour». Selon les ragots d’une vieille connaissance, ma mère, attardée mentale, née de parents inconnus, traînait avec un vieux clochard vagabond qui l’avait engrossée. Elle est décédée après m’avoir mise au monde. Mon soi-disant père avait décampé, alors qu’elle tentait seule d’accoucher. Je fus récupérée par une mendiante qui s’était servie de moi pour son business. Je n’ai jamais pu savoir le vrai du faux de cette histoire, puisque ce n’était que des confidences faites à une vieille aliénée par celle-là même qui m’avait adoptée. Vers mes 5 ans,  les choses allaient se compliquer. Cette «mère» adoptive n’eut aucun remord à m’abandonner aux portes de la gare routière de la capitale.

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Je me passerai des détails de ce que fut mon sort. Je n’eus aucun choix que celui de m’accrocher à qui voulait bien de moi.  Ballotée d’une bande à une autre, avec autant de lots de misère que j’y ai pu supporter. La protection, c’est en couple que je l’ai enfin connue avec mon compagnon qui est un dur. Nous avons eu deux enfants ensemble, il en est dingue. Malheureusement, nous ne pourrons jamais officialiser notre union; nous sommes logés à la même enseigne: «Enfants des rues de parents inconnus». Je le sais, parce qu’une fois, j’avais tenté de placer momentanément mes petites à l’orphelinat. Il faut bien reconnaître que les raisons de cette démarche relevaient de la stratégie. Je souhaitais me libérer d’elles temporairement et que je les sache en totale sécurité pour régler son compte à mon compagnon, leur père.  La rage de me savoir trompée avait bien failli me faire commettre un crime. Ma démarche était irréalisable de toute façon. Heureusement que lui et moi sommes soudés à la vie, à la mort, par ces deux enfants.  Nous formons une vraie famille et ce n’est pas rien.

Ici, c’est mon coin, j’y ai élu domicile depuis 6 mois environ. J’y resterai encore un peu, même si la traque est incessante à cause du flux et de ce qui s’y dépose comme vieilleries.  C’est une aubaine, du moins si on a la chance de ne pas être devancé par les vautours de la «récup».

Dernièrement, je me suis saisie d’un clavier d’ordinateur, de son écran et de quelques fournitures scolaires. Le tout bien endommagé, mais cela avait fait le bonheur de mes filles. Nous avons très vite déchanté, toutes les trois, quand une horde de jeunes collégiens passant par-là s’en est prise à nous, gratuitement.  Se bousculant les uns les autres, quelques-uns se sont parachutés sur nous.  Ils se sont relevés non sans arracher des mains de mes petites le clavier. L’un deux, celui qui tenait la palette noire, s’est adressé à moi sur un ton ravi, plein d’arrogance: «Alors, comme ça, la pouilleuse, toi aussi tu t’entraînes avec tes petites pour polluer Facebook, Snapchat et Instagram avec ton actu? Hein? Mais c’est haram pour vous, tout ça! Allez, regarde comment je vais rendre service au monde! Et zou, profil supprimé!» D’un jet, il avait balancé notre clavier aux pieds des autres. Ensuite, comme des hystériques,  ils se sont tous mis à le broyer en le piétinant. Face à mes cris et mes menaces de faire appel à ma bande, ils ont déguerpi. Je n’avais rien compris à leur verbiage, mais j’étais folle de rage que des jeunes, apparemment propres sur eux, pouvaient s’en prendre à de pauvres gens comme nous.    

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Un peu plus tard, en me plaignant de ce désordre au gardien de l’immeuble d’en face, qui avait tout vu, je sus l’énigme de ce que déblatérait le morveux avec une telle hilarité. Il m’a expliqué non sans peine qu’ils parlaient d’internet et de réseaux sociaux. Il m’a même un peu montré de quoi il s’agissait sur son téléphone ou télévision miniature. A vrai dire, au départ, je n’y comprenais strictement rien. Le brave homme s’est vraiment donné du mal pour faire mon baptême durant pas mal de jours. Je fus alors absolument bluffée et complètement ensorcelée, assoiffée d’en savoir toujours plus. Je réalisais non sans amertume qu’il y avait, entre ces jeunes -ou presque tout le monde, en fait- et ceux de ma condition quelques milliers de siècles… Ou que nous n’étions, nous autres, que des extra-terrestres.

Je n’eus alors qu’une seule et unique ambition, dès lors: celle de détenir ce précieux objet: le téléphone portable! Avec, je pourrais nous faire connaître, exhiber notre actu,  espérer des vues, des likes, des cœurs et -pourquoi pas aussi?- avoir du soutien. Mais, encore une fois, tout comme pour l’orphelinat, je sus que je ne pouvais y avoir droit. Parce que, pour être relié au monde avec un simple téléphone, cela nécessite aussi une identité, une adresse et moi je n’en ai pas».

Mariem Bennani

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