Mokhtar M’Bow, ancien Directeur général de l’UNESCO

Mokhtar M’Bow, ancien Directeur général de l’UNESCO

«Le retour du Maroc à l’UA est important et nécessaire»

En marge de la 44ème session de l’Académie du Royaume du Maroc qui s’est tenue à Rabat, du 24 au 26 janvier 2017, autour du thème «De la Modernité aux Modernités», Mokhtar M’Bow a bien voulu accorder un moment au «Reporter», le temps de cet entretien. 

Que signifie pour vous le thème «De la modernité aux modernités»?

Je crois que cette thématique a une importance capitale dans le contexte actuel. Nous avons l’exemple des sociétés soi-disant modernes, dont la modernisation a commencé depuis la Renaissance qui a d’ailleurs donné à ces sociétés une primauté sur les autres. Ce qui fait que l’Europe a colonisé pratiquement toute la terre.

Les pays anciennement colonisés sont-ils aujourd’hui indépendants?

Ils ont recouvert leur indépendance, les uns après les autres depuis le début des années cinquante. Ils aspirent à une certaine modernité. C’est-à-dire que ces pays sont obligés de s’industrialiser, s’ils veulent survivre dans le cadre de la mondialisation. Ils sont aussi obligés de moderniser leurs institutions.

Il y a également le problème de l’agriculture qui se pose…

Il y a, dans ce volet, l’existence de deux systèmes, à savoir une certaine dualité de deux modèles: une agriculture moderne et une autre traditionnelle. Là, la modernisation se pose pour les uns comme pour les autres.

Et les Européens et la modernisation?

Pour les pays européens, les Occidentaux par exemple, la modernisation a quand même entraîné des distorsions très grandes au sein de la société qu’ils essayent tant bien que mal de surmonter.

Qu’en est-il en Afrique?

Pour notre continent africain, la modernisation pose le problème du manque de moyens et celui de voir si, en modernisant, nous pouvons conserver toujours les valeurs fondamentales qui ont fait la force de nos sociétés.

Les effets de la modernisation et des modernités?

L’exemple européen nous montre que la modernisation peut avoir des conséquences parfois, je ne dirai pas néfastes, mais quand même malheureuses, dans la mesure où nous sommes à l’intérieur de nos sociétés africaines, là où la solidarité joue un rôle essentiel. L’industrialisation tend à s’imposer.

Comment appréciez-vous l’ambiance de cette session de l’Académie du Royaume du Maroc?

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C’est très bien que SM le Roi Mohammed VI ait proposé à cette auguste Assemblée de s’en saisir. Les débats se déroulent dans des conditions parfaites et les communications sont d’une très haute importance et d’une très grande hauteur intellectuelle.

L’Afrique est-elle réellement condamnée à la modernisation?

Elle l’est plus que jamais, mais aussi à moderniser ses institutions, son système de protection, ses systèmes de services et à préserver ses valeurs essentielles qui font la force de notre société.

La montée de l’intégrisme, parallèlement au terrorisme, est-ce que ce n’est pas, quelque part, un bouclier contre cette tendance à la modernité?

Je considère, pour ma part, que je suis un peu moderne. Cependant, j’ai été à l’école coranique, je suis musulman, je fais mes prières comme tout bon musulman et je pense que ceux qui refusent la modernisation ou la modernité sous prétexte que c’est contraire à leur croyance se trompent de long en large. Le Prophète Sidna Mohammed n’a-t-il pas dit de son temps: allez jusqu’en Chine pour acquérir le savoir et apprendre? Parce qu’il considérait que la Chine était le centre du développement scientifique. Les Chinois avaient inventé l’imprimerie bien avant Gutenberg, le gouvernail aussi qui a transformé toutes les techniques maritimes et j’en passe.

Est-ce que vous ne relevez pas une sorte d’amalgame entre occidentalisme et modernité

A mon avis, on peut se moderniser sans pour autant être obligé d’adopter les mœurs des Occidentaux, ni de les singer. Il y a la tendance, la plupart du temps, de ceux qui veulent imiter les Occidentaux. Malheureusement, à l’heure actuelle, l’Islam est mal considéré depuis la fin de la guerre froide.

Le Maroc aspire à réintégrer sa place au sein de l’Union Africaine. Qu’en pensez-vous?

Personnellement, j’ai toujours déploré que le Maroc quitte l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). J’étais justement à Nairobi le jour où feu SM Hassan II avait décidé de claquer la porte de l’Organisation. J’étais invité en qualité de Directeur général de l’UNESCO.

J’en avais parlé avec sa Majesté à l’époque.

Et, aujourd’hui, le retour du Maroc à l’Union Africaine?

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Je pense personnellement que le retour du Maroc à l’Union Africaine est aussi important que nécessaire. Le Maroc est un modèle dans beaucoup de domaines.

Qu’en est-il de ceux qui s’opposent à notre retour?

Il n’y a pas de doute, le Maroc réintégrera l’UA.

L’Algérie qui ne voit pas cette réintégration d’un bon œil?

Je crois qu’aucun pays ne peut empêcher le retour du Maroc dans l’Union Africaine. Il suffit d’être pays Africain, ratifier et valider les dispositions qui régissent l’UA pour en être membre.

Vous avez suivi le parcours du dossier du Sahara. L’Algérie a fait perdre près d’un demi-siècle au Maghreb dans son avancée…

Je regrette vraiment qu’il y ait des zizanies dans le Maghreb parce que, si ce dernier était uni réellement, il aurait contribué non seulement à la paix dans les pays riverains de la Méditerranée, mais aurait contribué aussi pour beaucoup au progrès et à l’essor du continent et des peuples africains.

Quelle appréciation portez-vous sur la politique africaine du Maroc ?

Le Maroc a toujours été très actif dans la politique africaine, même durant les longues années où il n’était plus membre de l’OUA. Sa Majesté Mohammed VI a été à Dakar où il a célébré l’épopée de la Marche Verte. On n’aurait jamais imaginé cela! Ce qui veut dire que le Maroc est très attaché à ses relations avec l’Afrique, plus particulièrement l’Afrique subsaharienne. Je m’en félicite, personnellement.

Dans mon pays, le Sénégal, comme dans plusieurs autres, il y a beaucoup d’investissements marocains et le Maroc essaie de contribuer, du mieux qu’il peut, au progrès des pays d’Afrique.

Interview réalisée par Mohammed Nafaa

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Henri Laurens, Professeur au Collège de France

Y a-t-il une seule Modernité ou plusieurs ?

La question est de savoir s’il n’existe qu’une seule Modernité qui serait essentiellement occidentale. Je dirais que nous avons plusieurs Modernités, parce que chaque société affronte l’avenir par ses propres voies.

Entre l’Orient et l’Occident ?

Pour moi, personnellement, ce sont là des distinctions qui ont eu un sens à un certain moment de l’Histoire, mais qui sont forcément en train de disparaître aujourd’hui.

M. N.

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