Je suis terrorisé à l’idée de faire faillite !

Brahim, 57 ans, coiffeur, est marié et père de deux enfants. Cet homme vit dans la hantise de faire faillite. Voici son récit.

«Qu’en sera-t-il de l’avenir de mon business?  Cette question capitale pour quelqu’un dont le passé n’a pas été rose, plus un tas d’autres, restent malheureusement sans réponses. Chez moi la panique prend ses aises tout en me narguant. Franchement, je la vis très mal cette sensation d’être dans le viseur de la faillite. Je rajouterai aussi que cela ne me console pas du tout de savoir qu’il y en a d’autres, ici ou sous d’autres cieux, qui vivent ou qui vont devoir vivre le même calvaire.

Avant d’être fier de tout ce chemin parcouru, je peux vous garantir que rien n’était gagné d’avance. Il m’arrive souvent, surtout ces derniers temps, de replonger dans le passé. Je revois ce jeune adolescent de 15 ans privé à tout jamais de son père mais essayant malgré tout de consoler sa mère et ses sœurs. Je leur avais fait la promesse solennelle en tant qu’homme de la famille d’assurer la relève et qu’elles pouvaient compter sur moi. Je m’étais engagé à assumer cette mission sans me poser de questions. Il le fallait, point barre!

C’est que sans mon pauvre père nous étions désormais livrés à notre triste sort de famille sans aucune économie, ni revenu, ni aide, mais heureusement avec un toit sur la tête, notre seul bien. C’est ainsi qu’avait démarré mon dur apprentissage de la vie d’un adulte que je n’étais pas. Depuis, je n’ai jamais failli à mes responsabilités. Courageusement, j’avais ravalé mes larmes et mon chagrin pour m’en tenir à mon serment. Dès lors, ma fierté ne me permettait plus de rentrer à la maison sans avoir fait quelques courses tout comme le faisait mon père. 

Pour que cela soit possible, j’avais dû taper aux portes de tous les petits corps de métiers artisanaux installés dans la médina que l’on habitait. J’avais tenté l’apprentissage de la tapisserie, de la réparation d’ustensiles ménagers, et aussi le travail de la passementerie, la couture traditionnelle, la vente dans des merceries. Mais, je n’arrivais pas à m’y sédentariser à cause du mauvais traitement des maitres et aussi parce que ces tafs étaient outrageusement mal rétribués. Malgré tout, c’était bien là que j’avais eu la chance de rencontrer une personne inoubliable qui m’avait proposé de bosser dans son salon de coiffure. 

Je me félicite de mon divorce!

Embauché, non seulement j’étais payé rubis sur l’ongle chaque fin de semaine sans oublier les petits pourboires du jour, mais en plus j’avais pu reconnaitre ma passion. Ensuite, des cadeaux complétement fous s’étaient enchainés dans mon existence. D’abord, ma patronne bien consciente de ma condition familiale et tellement satisfaite de ma ponctualité, de mon travail de rangement très soigné, de mon infaillible serviabilité, m’avait offert la possibilité d’étudier la coiffure pour hommes et pour dames afin d’obtenir un diplôme. Et j’avais saisi cette perche, plus vite qu’elle ne m’avait été tendue.  

Une fois doté de réelles aptitudes pour toucher la chevelure des clientes, j’étais devenu la mascotte irremplaçable de ce lieu de mise en beauté. Evidemment, mon salaire avait été revu à la hausse, ce qui avait eu pour effet immédiat un radical changement de régime alimentaire à la maison. J’avais même permis à mes sœurs de se faire un peu d’argent de poche en leur achetant à crédit une machine à coudre d’occasion. Je dois reconnaitre qu’elles s’en sortaient vraiment pas mal avec la vente de sets de serviettes de tables et napperons. 

Mon destin allait connaitre une fulgurante transformation quand ma patronne s’est mariée et qu’il lui fallait aller vivre dans les pays du Golfe. Figurez-vous que son business, elle me l’avait cédé légalement sans rien demander en échange. Laissez-moi vous dire que des gens capables de gestes aussi généreux que les siens, il n’en existe plus. Cette aubaine m’avait permis tellement de choses, toutes plus incroyables les unes que les autres. Tout d’abord, avec mes premiers bénéfices j’avais fait retaper de fond en comble notre maison qui tombait presque en ruine. Après, je réalisais le rêve de ma mère en l’envoyant en pèlerinage à la Mecque. Mais ce n’est pas tout. 

Je n’avais pas résisté à mon désir de voir grand.  Alors avec l’aide de crédits bancaires d’autres espaces très modernes de coiffure pour hommes et pour femmes en mon nom avaient vu le jour. Le nombre inimaginable de remise en beauté, d’extensions de cheveux, de tatouages et la pose d’ongles et cils semi-permanents m’avaient permis un peu plus tard, d’acheter un appartement, une voiture et même d’aller visiter de nombreux pays étrangers. Notamment des pays asiatiques tellement enchanteurs que j’y suis retourné plusieurs fois. Ce n’est qu’à 50 ans que je m’étais enfin décidé à fonder une famille avec la partenaire idéale. Elle est la maman de mes deux adorables petites princesses. 

Je me félicite de mon divorce!

C’est vrai que je me suis beaucoup endetté pour réaliser mes rêves, mais jusque-là, avant la pandémie, je m’en sortais bien.  Je n’avais pas eu besoin de crédit pour l’achat de mon logement, quant à mon foyer et ma famille, ils ont toujours été correctement entretenus. Ca roulait tranquille! Or, depuis qu’il avait fallu fermer tous mes locaux, je l’ai sentie la différence. Pour faire face à ce moulin à tourmentes sans freins et continuer de payer quelques factures, j’ai beaucoup souffert d’avoir été obligé de baisser tous mes rideaux sauf un celui des hommes et de me séparer de tous mes employés. 

Désormais, je travaille seul, sur rendez-vous tout en constatant amèrement que ma plus fidèle clientèle féminine ne se bouscule plus pour faire appel à mes services. Une haine sans commune mesure m’assaille quand je sais que par phobie de choper le virus, elles s’essayent aux tutoriels sur les réseaux sociaux. Ce qui m’accable aussi, c’est d’être sollicité presque tous les jours par un nombre absolument navrant de personnes très qualifiées mais au chômage. Toutes me racontent leurs déboires, l’enfer de la précarité dans leur foyer, mais à mon niveau je ne peux malheureusement rien faire pour ces personnes. Parce que moi aussi je tremble de peur que mes chiches tentatives de m’en sortir ne servent à plus rien et que cette galère finisse par noircir le bonheur de mes filles, de mon épouse, de ma mère, ou de mes sœurs qui ne se sont jamais mariées… Et, par conséquent, le mien !».

Mariem Bennani

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