Je suis agriculteur, mais la pluie m’a «tuer»!

Les pluies qui se sont abattues sur le Royaume ces derniers jours ont fait le bonheur des uns, mais ont été dévastatrices pour d’autres. Certains se retrouvent à la rue, sans domicile et sans moyens pour faire face à cette catastrophe naturelle. Abdelwahed, 54 ans, est agriculteur. Il raconte le drame qu’il a connu.

«J’ai tout perdu. Je suis agriculteur et je vis à la campagne. J’ai une petite famille de 5 enfants. Aujourd’hui je n’en ai plus que 4, je viens d’en perdre un avec ces foutues inondations. Mes pauvres enfants -que Dieu les bénisse- poursuivent leurs études et m’aident aussi dans ma petite exploitation.

Pour m’installer et fonder ma famille dans cette région, j’ai travaillé dur. C’est une satisfaction et une revanche sur mon destin… Si seulement les catastrophes naturelles m’avaient épargné! Je suis le fils unique d’une quatrième épouse et je n’ai pas connu mon père, ni ses premières femmes, ni sa famille, ni mes autres frères et sœurs. Ma mère, que mon père a épousée quand il venait faire ses achats en ville (il était agriculteur et vivait dans la campagne), n’a jamais été acceptée en tant qu’épouse légitime. Elle l’était pourtant, mais les autres ne lui ont jamais permis de revendiquer ses droits, ni les miens. Nous avons été menacés de mort.

Quand je suis né, mon père n’était même pas venu pour me reconnaître. Il a fallu saisir la justice pour ça. C’est ma mère qui travaillait dans une petite filature, qui a tout pris en charge: frais d’accouchement, nécessaire de bébé, baptême… Elle a accouché seule sans jamais pouvoir solliciter quiconque, pas même les siens! Pour eux aussi, j’étais un enfant né dans la rue. Ce rejet de part et d’autre m’a causé de graves troubles psychologiques. Je n’étais pas bon élève et ma mère, qui en comprenait les raisons, m’a sauvé des brimades méchantes des autres camarades d’école, de la rue et du désœuvrement. Nous habitions une zone pauvre très populaire. Rester dans l’inactivité ne pouvait que me faire basculer dans la débauche. Elle me fit entrer dans le monde du travail très tôt. Je suis devenu apprenti maçon, avec un maître de chantier. J’ai appris le métier et je gagnais quelques sous qui faisaient le bonheur de ma mère. Pendant 10 ans, j’ai scrupuleusement travaillé et j’ai beaucoup appris. Un jour, ce maître m’a fait travailler comme maçon et gardien de chantier dans une villa. Le propriétaire qui aimait ma droiture et mon travail soigné m’a proposé un an plus tard de travailler dans sa ferme. Il cherchait un contremaître et ne voulait pas en embaucher un de la région. Cet homme était très bon, il ne m’avait jamais lésé et me payait convenablement. Il me traitait de façon paternelle. C’est comme ça que j’ai atterri à la campagne. J’ai vécu presque 25 ans dans cette propriété, je m’y suis marié, j’ai eu 5 enfants et j’y ai même fait venir vivre ma mère. Quand le propriétaire est décédé, les héritiers, qui n’étaient pas intéressés par l’agriculture, ont vendu leur bien et m’ont dédommagé correctement. Avec cet argent et mes économies, j’ai pu acheter un petit lopin de terre en bordure de la route dans le hameau du même coin, sur lequel j’ai construit moi-même ma maison sans aucune aide extérieure. Il est vrai que cette région connaît de fortes pluies et la terre, un peu argileuse, est facilement couverte d’eau. Mais nous avions l’habitude de vivre ce problème. D’ailleurs, ce fléau, nous n’y pensions qu’au moment des pluies. C’est à coup de sacrifice et de dur labeur que j’ai pu construire et aménager notre «chez nous». Pour m’aider, ma femme aussi allait travailler dans des champs avoisinants et ma mère fabriquait des tissus de laine qu’on vendait. Je me disais que j’avais enfin réussi mon secret pari, moi, cet enfant rejeté et traité d’enfant bâtard, quand ma pauvre mère était traitée de prostituée qui aurait mis sournoisement le grappin sur un homme riche pour en hériter. J’ai pu prouver à cette horde de barbares matérialistes que je n’avais pas eu besoin d’eux pour réussir. D’ailleurs, pour les enrager, j’ai été jusque dans leur patelin pour acheter des bêtes et me suis lié d’amitié avec leur pire ennemi que j’ai invité chez moi pour les fiançailles de ma fille. Des fiançailles que j’ai voulues pompeuses: j’ai égorgé un veau pour cette occasion. Ce n’était pas dans mes moyens, mais je voulais que le monde sache que ma fille a un père et que ma mère a un fils qui n’a pas eu besoin de son père pour s’en sortir dans la vie. Pourtant, aujourd’hui, je pleure à chaudes larmes. Mon bonheur a été frappé par la plus horrible des fatalités. Je ne suis pas le seul, certes, pourtant je ressens cela comme une punition du ciel. Peut-être n’aurais-je jamais dû faire trop étalage de ma petite réussite dans le but de narguer mes pires rivaux? Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur notre région -et que je voyais pourtant d’un bon œil, moi, l’agriculteur- m’ont volé mon plus jeune fils qui était sur le chemin de l’école. Et pas seulement! Ces pluies, plus fortes que jamais, ont saccagé mes terres, englouti ma maison et mes bêtes. Personne n’a pu secourir mon fils. Je suis complètement abattu. Cette perte est également insoutenable pour ma femme et mes autres enfants. Je ne suis pas un cas isolé, plusieurs familles ici ont subi le même sort. Nous avons été recueillis par des voisins moins malchanceux. Nous ne nous attendions pas à cette solidarité, mais combien de temps pourront-ils nous garder? Il fait froid, nous n’avons pas de quoi nous réchauffer, ni nous couvrir. La détresse de certains d’entre nous complétement démunis, avec des bébés et des enfants en bas âge et qui ont perdu plusieurs membres de leur famille, est encore plus insupportable. Ce sinistre tableau me fait presque oublier mon infortune. Je suis un tout petit exploitant, je n’ai pas d’économies, ni d’assurance. Tout mon argent était investi en construction, en graines et bétail. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour me rétablir et si les pluies vont cesser et nous permettre de faire les réparations. Je n’ai même pas pu organiser des obsèques pour mon fils, alors qu’il y a quelques semaines, je me permettais des largesses pour des fiançailles. Ma mère dont j’ai toujours admiré le courage me dit de ne pas blasphémer et que ce veau, je l’aurais perdu toute façon. Pour nous donner du courage les uns et les autres, nous essayons de nous mettre en contact avec le maire de la commune de notre région, pour trouver appui et solution à notre situation et à ce désastre. Nous avons conscience que les choses ne se feront pas du jour au lendemain. Nous avons reçu des aides et du soutien de la part de certaines d’associations, mais cela reste très insuffisant. Ce sont nos élus qui doivent nous prendre en main, mais leurs solutions ne sont que rafistolage… Il y a des victimes d’inondations des années précédentes qui sont encore en train d’attendre une solution définitive à leur problème. Il faut vraiment que nos hommes politiques changent dans notre pays, qu’on leur demande des comptes pour ce qu’ils ne font pas et qu’on puisse s’en débarrasser aux élections suivantes quand ils ne sont bons à rien!».

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