Orphelin, du jour au lendemain

Abdelghni a perdu ses parents, ses frères et sœurs et sa grand-mère d’un seul coup. Toute sa famille, qui se déplaçait dans un triporteur récemment acquis, a ainsi péri dans un stupide accident de la route. Sa détresse est poignante.

«J’ai 24 ans, j’étais commerçant ambulant et je vendais des vêtements neufs pour hommes dans les souks. J’ai tout arrêté maintenant, depuis le décès de toute ma famille. C’était mon travail, parce que je n’étais pas fait pour les études. Je ne supportais pas d’aller en classe, même si je n’étais trop mauvais élève. Par contre, grâce au peu que j’y ai appris, je sais lire et écrire.
J’avais de sérieux handicaps depuis le départ. D’abord, je n’avais jamais assez de fournitures. Ensuite, je n’arrivais pas à en prendre soin, chez moi. Mes petits frères s’en saisissaient tout le temps pour jouer avec. Je me faisais souvent réprimander par les instituteurs, mais il était impossible d’avoir l’assistance de mes parents. Au contraire, ils me collaient des baffes chaque fois que j’essayais de sauver mon cartable. Tous ces cris irritaient ma pauvre grand-mère aveugle qui râlait en disant que je n’allais pas devenir ministre de toutes façons avec ces études qui pourrissaient l’atmosphère à la maison. Mon père était jardinier et ma mère s’occupait de la maison et de notre minuscule pépinière. Du côté des études, les choses se sont vraiment compliquées plus tard. En plus des fournitures et des repas, il fallait pouvoir me payer le bus et le stopper le matin sur le bord de la route pour me rendre au collège. Ce fameux bus qui ramassait tous les collégiens et lycéens de la même circonscription. Beaucoup d’entre eux étaient de véritables terreurs, causant tout le temps de grosses bagarres, agressant d’autres jeunes pour leur dérober leurs vêtements, cartables et portables (pour les rares qui en avaient). Ils dégradaient le matériel au collège, dans la rue, dans le bus. La réputation des gars du douar n’était pas bonne. Je finis par décider d’arrêter les études. Mes parents n’étaient pas mécontents, l’instruction des enfants coûtait trop cher et ils avaient besoin d’aide. Ils m’ont placé comme aide-vendeur chez un marchand de vêtements au souk le plus proche. J’ai appris les ficelles du métier et me suis mis à mon compte. Mon père avait décidé cette année de s’acheter un petit triporteur pour augmenter nos revenus. C’était une idée que je trouvais géniale. Je m’en veux tellement, aujourd’hui.
Les transports en commun sont de gros tracas pour les petits marchands comme moi. Ils happent une grosse part des bénéfices quotidiens. Avec ce petit engin, nous allions partout pour vendre les vêtements et les plantes de la pépinière. Mon père pouvait aussi faire sa ronde d’entretien de jardinets particuliers. Nous arrivions à nous en sortir. Nous avons pu payer notre cotisation pour avoir de l’électricité et un meilleur aménagement de notre habitation. Mon père arrivait à se déplacer avec cet engin, alors qu’il n’avait jamais possédé qu’une bicyclette. Il faut dire qu’il s’en sortait pas mal, jusqu’au jour du drame.
Ce dimanche-là, mon père m’avait accompagné très tôt pour prendre ma place habituelle au souk. Il devait aussi se rendre avec toute la famille chez ma tante habitant à une trentaine de kilomètres de chez nous. C’était l’euphorie générale: jamais pareille chose n’était arrivée chez nous. Mais cette joie n’a duré qu’une journée, parce que personne n’est revenu de cette expédition. Un camion a percuté et écrasé de plein fouet le triporteur de mon père; ils sont tous morts sur le coup. D’après le chauffeur du camion, la faute incombait à mon père.
Notre maison est vide, aujourd’hui. Il n’y a plus que moi et ma détresse; la vie n’a plus aucun sens. J’essaye d’accepter cette fatalité et me force à croire que nul n’échappe à son destin. Pourtant, cette question ne cesse de me hanter. Comment se fait-il que, pour conduire, il faut un permis et, pour ces motos tricycle, pas la moindre des formations n’est requise? Je ne remets pas en cause l’utilité de ces engins peu coûteux qui sont destinés à rendre service à ceux pour qui avoir un permis de conduire est inimaginable. Mais pourquoi une petite formation gratuite obligatoire sur le code de la route, à l’achat du véhicule, n’est-elle pas envisageable? Et dire que, il y a quelque temps encore, rien de tout cela ne m’avait jamais effleuré l’esprit! Mais aujourd’hui, je vois bien que le Maroc est champion des accidents de la circulation. A la radio, j’ai entendu qu’il meurt chaque année sur nos routes plus que dans une guerre civile. Je vois pourtant tous les jours des engins rouler à tombeau ouvert… Le désespoir m’étouffe alors et aussi la colère. J’ai envie de les arrêter pour leur crier que c’est à cause de fous comme eux que je suis aujourd’hui seul au monde».

Mostapa Daoudia, poète

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