Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc

Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc

«Religion et Modernité ne s’opposent pas»

«De la Modernité aux Modernités», tel était le thème de la 44ème session de l’Académie du Royaume du Maroc, organisée à Rabat du 24 au 26 janvier 2017. En marge de cet événement, Le Reporter a rencontré Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc et a réalisé avec lui cet entretien exclusif.

Qu’est-ce qui a dicté le choix du thème de la 44ème session de l’Académie du Royaume du Maroc, à savoir «De la Modernité aux modernités»?

Les thèmes que retient l’Académie pour ses sessions sont proposés par SM le Roi qui oriente le travail de la commission. L’année dernière, nous avons eu la possibilité de travailler sur l’Afrique comme horizon de pensée. L’Afrique étant considérée comme continent de l’avenir, nous devions donc être présents dans le cadre de la réflexion et sur son évolution.

La Modernité est-elle aujourd’hui d’actualité?

Elle est, je peux dire, plus que d’actualité, puisque nous sommes entourés de modernité. Et c’est la raison pour laquelle cet axe fondamental dans le développement du pays fait que nous nous devons de réfléchir sur quelle modernité nous voulons pour notre pays.

Il y a plusieurs modernités. Le choix s’avère-t-il difficile?

Il y a effectivement plusieurs modernités, j’allais dire une multiplicité de modernités. Mais nous ne savons pas quelle modernité va être celle que le Maroc va choisir dans le cadre de son évolution.

Y a-t-il une vision marocaine?

Il y a une vision marocaine de la modernité. Je ne peux pas dire que nos philosophes et nos penseurs élaborent une vision. En tous cas, ils réfléchissent sur les tendances de la modernité, actuellement.

Quelles tendances?

Vous savez, la modernité n’est pas simplement au niveau des idées; elle l’est même au niveau des comportements et aussi de l’habillement, de la gastronomie, de la nourriture… que les gens adoptent.

Y a-t-il une évolution dans le quotidien des gens?

Absolument. Il y a un réel changement dans la vie quotidienne de la cité. Mais nous n’avons pas encore élaboré cette vision. Nous sommes encore dans les balbutiements de la modernité, même si nous voyons autour de nous des bâtiments se construire d’une manière moderne et les gens s’habiller d’une manière moderne aussi…

Est-ce une forme de modernité?

Je dirais que tout cela n’est point la modernité, mais peut-être une apparence de la modernité.

Aujourd’hui, la modernité s’avère-t-elle nécessaire?

A mon avis, elle est plus que nécessaire. Elle est présente en nous. Elle s’impose à nous. Donc, nous sommes obligés de réagir vis-à-vis de cette modernité et de voir comment nous pouvons nous adapter à l’évolution et aux transformations sociales et sociologiques des sociétés.

Quel en est alors le défi?

Le défi, c’est de savoir quelle modernité aujourd’hui pour le Maroc. C’est cela le grand défi.

Les débats sur la modernité, durant cette 44ème session de l’Académie du Royaume du Maroc, étaient-ils musclés?

Effectivement, il y a eu des débats houleux, assez acerbes, parce que, justement, ce type de modernité n’est pas encore défini, ni encore bien encadré.

Qu’est-ce qui doit se faire alors?

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Il faut, à mon humble avis, réfléchir ensemble sur cette vision, sur ce type de modernité et la manière de vivre les modernités.

Comment l’élite marocaine a-t-elle répondu aux impératifs de cette modernité, économiques surtout?

Sur le plan de la modernité économique, je pense que nous sommes dedans. Nous avons des économistes, des financiers et des gens qui pensent l’économie d’une manière tout à fait moderne.

Est-ce que le problème se pose sur le plan économique?

Pas du tout! Il se pose plutôt sur le plan de la conception du monde et de la manière de le voir et de le vivre.

En optant pour la modernité à outrance, n’y a-t-il pas de risque en opposant une modernité de façade à une tradition supposée intangible?

C’est là un des problèmes essentiels. Personnellement, je ne pense pas du tout qu’il y ait une opposition forte entre modernité et tradition, parce que la communication sur le Japon a démontré que, si celui-ci est devenu moderne, ce n’est nullement parce qu’il a essayé d’imiter l’Occident, mais plutôt parce qu’il a trouvé dans sa tradition les sources de sa modernité. C’est cela le problème à mon sens, à savoir que nous ne nous penchons pas et ne réfléchissons pas suffisamment sur notre tradition, pour trouver ce qui peut féconder la modernité. Et c’est la leçon à tirer du Japon, laquelle montre que c’est dans la tradition que les Japonais ont trouvé la base de leur modernité.

Certains mouvements sociaux proposent le retour aux origines…

Vous savez, le retour aux origines, c’est quelque chose d’assez passionnant. Personnellement, je suis toujours très intéressé par le retour aux origines, à condition qu’il ne nous enferme pas dans les origines et nous permette de découvrir, dans nos origines, ce qui donne l’énergie d’aller dans la modernité. Moi, je suis d’accord.

La modernité inquiète et fascine à la fois.

Effectivement, elle inquiète quand c’est la modernité qui détruit. Par contre, elle fascine quand c’est elle qui nous entraîne vers des découvertes de plus en plus passionnantes pour l’humanité. Il y a justement l’aspect destructeur de la modernité. Nous avons l’illusion dans les inventions que l’on peut faire sur le plan génétique, sur celui de l’armement aussi et tout dépend de ce que l’on fait de la modernité.

Que devons-nous donc faire de la modernité?

Vous posez là une question essentielle.

Modernité et religion?

Je ne suis pas de ceux qui les opposent, non plus: je peux être moderne, mais ma relation avec Dieu n’est pas une question de modernité; elle est du domaine de l’éternité. Si on la pose au niveau de la modernité, nous risquons de tomber dans cette situation extrêmement paradoxale. Or Religion et Modernité ne s’opposent pas, la religion étant du domaine de l’éternité et la modernité relève du domaine de l’instantanéité.

Le processus de modernité est icône de nouveauté pour les uns, source de décadence pour d’autres. Qu’en pensez-vous?

Non et non! La modernité n’est pas source de décadence. Elle est justement source de progrès, sauf si nous mettons derrière le mot progrès quelque chose qui détruit.

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Est-ce que cela a été dit?

Je sais qu’il y a des gens qui sont systématiquement derrière le progrès; mais le progrès, c’est quelque chose qui apporte un plus, une valeur ajoutée à l’humanité.

Comment réussir une dynamique de réforme, sans perdre son entité?

Vous soulevez là quelque chose qui me préoccupe. C’est dans le système éducatif que nous devons effectivement trouver et construire ce qui fait la modernité, sans perdre pour autant son âme.

A chaque époque sa modernité…

Déjà bien avant l’ère industrielle, la construction de la roue -et non des moindres!-, par exemple, était une modernité. C’est pour vous dire que chaque époque apporte son lot de modernité. Seulement, elle peut être au niveau des inventions, mais peut-être pas au niveau des idées ou de la révolution intellectuelle.

Alors, quel rôle pour l’école?

L’école est un vecteur essentiel de modernité, du fait qu’elle est un des lieux pour l’éveil des consciences vers ce qui se passera demain et non vers le passé.

Et la modernité au féminin?

La femme est l’élément essentiel de la modernité, ne serait-ce que parce qu’elle a cette intuition de ce qu’est la saveur de vivre. Et c’est grâce à la femme que nous accédons à ce que la modernité nous apporte de mieux.

Etes-vous pour l’incorporation des valeurs humaines communes dans les manuels scolaires?

Les valeurs universelles, oui. Elles coïncident parfaitement avec les valeurs qui sont les nôtres: la tolérance, la compréhension, l’acceptation de l’autre, etc. Elles figurent en bonne place dans notre Constitution qui est révolutionnaire, dans le sens où nous ne l’avons pas encore étudiée.

«Il faut cesser de nous traiter comme de simples bédouins», a dit un académicien dans sa communication, en s’adressant à l’Occident…

Ce qu’on appelle l’Occident continue d’avoir une représentation que je ne dirais pas négative, mais  en tout cas dépréciative de ce qu’est notre présence dans le monde.

Et concernant le concept de la modernité à l’aune du printemps arabe?

Des soubresauts au niveau de l’histoire qui ne sont pas forcément des soubresauts annonciateurs de sérénité.

Il n’a pas eu sa place lors de cette 44ème session du progrès numérique. C’est une lacune…

Je n’irais pas jusque-là: nous ne l’avons pas abordé lors de cette session, parce que nous allons lui réserver un colloque spécial, sur le volet numérique.

Qu’en est-il de l’état de santé de l’Académie?

Elle reprend, après une période d’accalmie. Nous essayons de renouveler la texture de l’Académie et j’espère que nous y arriverons. 

Interview réalisée par Mohammed Nafaa

Colloque spécial des sciences humaines et sociales

L’Académie du Royaume du Maroc est à pied d’œuvre pour organiser un colloque spécial: des Assises nationales sur les sciences humaines et sociales. Parce que, justement, ce sont ces recherches sur les questions humaines qui vont aider l’Académie à voir mieux encore dans la société dans laquelle nous vivons et à se projeter dans la modernité.

MN

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