Moi, petit vendeur de rue, mon cauchemar, c’est le racket !

Moi, petit vendeur de rue, mon cauchemar, c’est le racket !

Oussama, 22 ans, est un «vendeur à la sauvette», célibataire. Ce jeune homme s’expose à quelques risques inhérents à son gagne-pain. Il nous raconte…

«Depuis que je travaille, le sort de mon existence s’est amélioré. Cela va sans dire: même moi, j’ai changé. D’abord, je ne ressens plus cette haine du nanti que je croyais bien ancrée dans mon cœur. J’ai retrouvé ma dignité auprès de mon entourage. Je ne suis plus ce «m’chaoumr» qui se complaisait dans le désœuvrement, végétant sans remords sur le dos de sa pauvre mère. Il me semble aussi avoir perçu, ces derniers temps, une forme de respect chez les voisins qui, jusque-là, me sous-estimaient totalement. C’est quelque chose quand même que d’avoir des billets dans la poche, gagnés à la sueur de son front. Sans parler de l’aide pécuniaire que j’offre à ma mère. Vraiment, de ce côté, je suis heureux, soulagé.

Ce dont je suis conscient, par contre, c’est l’irrégularité de ma situation aux yeux de la loi. «Vendeur de rue» n’est pas un job. D’ailleurs, ce à quoi je fais un pied de nez par nécessité, il me tombe dessus quand même par une autre voie.

Les toutes premières années de mon enfance ont été malheureuses. Je suis né dans un quartier de la périphérie de ma ville. Mon père nous a abandonnés deux ans après la naissance de mon petit frère. Il est parti sans laisser d’adresse. A cette époque, même ma grand-mère dont il était très proche avait dit ne pas savoir où il se planquait. C’était faux, on a su plus tard qu’elle avait couvert son délit pour qu’il ne s’acquitte jamais de son devoir vis-à-vis de nous. Ces gens, j’ai honte pour eux. Aujourd’hui, il semblerait qu’il ait refait sa vie avec une autre femme et qu’il ait eu d’autres enfants. Mais de lui et des siens, ma mère n’avait plus jamais voulu entendre parler. Elle avait eu beaucoup de courage de ravaler sa peine et ses tourments.

N’ayant jamais su ce que c’était que de prendre en charge une famille, elle avait dû apprendre. Elle ne pouvait compter que sur elle-même, parce qu’il en était ainsi. Au tout début, elle avait été embauchée comme masseuse dans le hammam du coin. C’était pratique, elle pouvait m’accompagner à l’école, faire son ménage, préparer nos repas. Quand elle travaillait, mon petit frère restait chez notre voisine qui avait un petit du même âge. Pendant les vacances scolaires, c’est moi qui m’occupais de lui. Quelques années plus tard, elle avait troqué ce job pour une place de cuisinière dans un petit restaurant. Elle y est encore aujourd’hui, ils ne peuvent plus se passer d’elle. Nous avons connu des galères, ce n’était pas facile avec son petit salaire de nous assurer une vie décente et que nous puissions poursuivre des études. En plus, j’allais lui donner du fil à retordre avec mon manque de jugeote.

A l’adolescence, je ne voulais plus étudier tout en lui pourrissant l’existence avec mes bêtises. Je m’étais quand même calmé, puisque j’avais repris mes études. J’ai eu mon bac et basta. J’étais persuadé que continuer ne me mènerait à rien. J’avais sous les yeux et à la pelle des licenciés au chômage. Ainsi, n’espérant plus rien de la vie, je passais mon temps à dormir ou à m’engueuler avec ma mère, pour qu’elle me tende quelques pièces. Mon comportement était ignoble et les voisins me le faisaient comprendre en baissant la tête, pour ne pas me saluer.

Ce qui m’a sorti de ma fainéantise, c’est de voir des jeunes de mon âge installés sur les trottoirs de boulevards ou à des endroits très achalandés, vendant toutes sortes de marchandises. La gaité qu’ils affichaient m’avait laissé perplexe. Je n’avais pas besoin d’un dessin pour comprendre qu’au moins eux ne passaient pas leur temps entre quatre murs à dépérir. Je n’avais eu alors d’autre préoccupation que de tâter le terrain, pour me lancer dans cette aventure. Cela m’avait pris des semaines. Je me rendais partout, observant consciencieusement ce qui se passait. Mon obsession sur la question s’éclairait de mieux en mieux.

Il avait fallu tout de même que j’en touche quelques mots à ma mère, puisque je n’avais pas le rond pour débuter. Sans hésiter, elle m’avait soutenu en m’octroyant une petite somme d’argent pour ma première commande de chaussettes et de sous-vêtements pour hommes chez un grossiste. Réjoui, j’avais dressé ma vitrine à même le sol, sur un gros plastique, dans un coin un peu éloigné de la cohue. Cela avait fonctionné, mais je n’étais pas assez satisfait de la rentabilité. J’ai misé alors sur du plus lucratif, la bouffe. J’avais acheté trois sortes de petits gâteaux secs, placés soigneusement dans des mallettes en plastique. Pour les écouler, seuls quelques jolis sachets en plastique, avec des élastiques, faisaient l’affaire. Mes ventes allaient être inespérées, non sans m’attirer quelques problèmes.

Donc, chaque jour de la semaine, à midi tapante, sur mes lieux de vente, avec mon ami, le propriétaire du magasin de vêtements, nous nous activons quotidiennement à balayer ou carrément à laver à grande eau savonneuse notre espace extérieur commun. Par reconnaissance, j’avoue que ce jeune homme généreux ne m’a jamais fait payer la place, comme cela se fait partout ailleurs. En plus, chaque soir vers 22 heures, il m’a toujours permis le dépôt gratuit de ma marchandise dans son local. Après le rituel du nettoyage, je m’attaque à l’installation de mes petites valises devenues nombreuses. Lui s’occupe de son intérieur et de ses tréteauxextérieurs. Par la suite, pour ne pas rater la première clientèle de passage, nous prenons ensemble une collation sur place. Ce petit train-train tranquille allait être modifié par l’arrivée de nouveaux vendeurs à la sauvette. Avec eux, les ennuis démarrèrent.

J’avais été contraint et forcé d’en venir aux poings avec un jeune qui était arrivé de je ne sais où et qui avait pris ma place. Il ne voulait rien entendre, prétextant que le trottoir ne m’appartenait pas. Notre bagarre avait attiré grande foule. Les forces de l’ordre qui faisaient leur ronde à ce moment précis firent leur travail et nous embarquèrent. Heureusement que mon ami le proprio du magasin m’avait soutenu. Le pire dans cette histoire, c’est l’écho de mon altercation partout dans les alentours.

Je fus vite repéré et visité par la plus grande crapule qui rackette les gens installés sur les trottoirs. Un vrai sale type venu m’accoster, pour me faire comprendre que j’avais besoin de Son autorisation qui coûte 50 DH par jour, pour m’installer dans Son territoire, Son quartier, Son monde. Il m’avait aussi menacé, affirmant que m’aventurer à ne pas m’exécuter à son passage, il s’en fichait, parce qu’il adorerait me régler mon compte pour l’éternité. Il avait ajouté en ricanant que, de toute façon, mon remplacement serait alors immédiat et que son fric, qu’il soit en taule ou pas, il lui parviendrait. Evidemment, il n’a plus jamais eu besoin de me répéter son speech.

Franchement, même les agents d’autorité qui luttent contre mon job, qu’ils désignent comme étant un fléau, sont des anges à côté de ce mafieux qui doit amasser un sacré pactole, tous les jours, sans rien faire, à part menacer ceux qui travaillent. Ma seule consolation qui me permet de rester optimiste, ce sont les petits bénéfices que je tire de ce business. Si tout se passe bien pour moi, ce que j’espère, je quitterai ce «guitoune» pour des murs, des vrais. Sans blague, ces projets me permettront de ne plus être sous le contrôle de ce cinglé que je suis obligé d’amadouer avec des gages sonnants et trébuchants chaque jour. Il me tarde de les voir se concrétiser!»

Mariem Bennani

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