L’ex-SG du parti de la Justice et du Développement (PJD) et ancien Chef de gouvernement, a encore fait des siennes.
Après avoir averti qu’il quitterait le PJD si le projet de loi 13.21 portant réglementation de la culture du cannabis au Maroc venait à être adopté, Abdelilah Benkirane a mis sa menace à exécution.
Habitué à être sous les feux des projecteurs, surtout du temps où il occupait la fonction de Chef de l’Exécutif, Benkirane a vu son importance et son influence s’amenuiser aussi bien à l’intérieur du parti que sur la scène politique nationale.
L’essentiel est qu’on parle de moi
Se sentant isolé, celui qui pendant longtemps soufflait le chaud et le froid sur le champ politique national, au point d’avoir été à l’origine d’un blocage qui a duré près de six mois dans la formation de la majorité au lendemain des législatives d’octobre 2016, a trouvé une nouvelle opportunité pour refaire parler de lui et par là même, régler de vieux comptes avec certains cadres dirigeants du PJD, considérés par Benkirane comme ayant opéré une volte-face, notamment au sujet du projet de loi sur le cannabis.
Jeudi 12 mars 2021. Après deux reports successifs, le projet de loi portant réglementation de l’usage du cannabis passe le cap de l’Exécutif. Présenté par le ministère de l’Intérieur, le texte de loi propose de réglementer la culture du Chanvre indien à des fins thérapeutiques et industrielles. Considéré comme un pas en avant qui permettra au Maroc de tirer parti des possibilités qu’offre l’exploitation du cannabis, ledit projet de loi n’a visiblement pas été du goût de Benkirane. Ce dernier, dans une réaction d’orgueil, a publié le même jour, une lettre manuscrite sur sa page facebook officielle. Il y a annoncé le gel de son adhésion au PJD, outre la rupture de tout contact avec cinq membres du parti, dont quatre occupent des postes de responsabilité au sein du gouvernement. Outre Saâdeddine El Othmani (Chef de gouvernement), il s’agit de Mustapha Ramid (Ministre d’Etat aux droits de l’Homme), Mohamed Amekraz (Ministre de l’Emploi) et Lahcen Daoudi (Ancien ministre délégué chargé des Affaires générales et de la gouvernance).
Officiellement, la raison qui a poussé A. Benkirane à geler son adhésion au parti islamiste et couper les ponts avec cinq de ses «frères» au parti, est intimement liée à l’adoption par l’Exécutif, du projet de loi sur le cannabis. Mais, à y regarder de plus près, il semblerait qu’il y ait d’autres raisons sous-jacentes à cette décision. Avant de s’attarder sur les vraies raisons qui auraient poussé Benkirane à renverser la table sur ses collègues au PJD, il serait pertinent de relever les vices de forme et de procédure ayant caractérisé cette décision.
La précipitation est source d’erreur
Sur la forme tout d’abord, la première chose qui saute aux yeux, c’est que la lettre dans laquelle l’ancien numéro un du parti de la lampe a annoncé qu’il prendra désormais ses distances avec le parti et certains de ses membres dirigeants, ressemble plus à un gribouillis qu’à un écrit officiel, d’autant plus que le b.a.-ba de la correspondance administrative exige de respecter des normes et règles de base. Dans le cas présent, Abdelilah Benkirane devait accompagner sa demande de gel d’adhésion au parti, d’une lettre en bonne et due forme, ce qui n’a pas été le cas.
Sur le fond, il semble que dans sa précipitation, Benkirane a commis une deuxième erreur, en mélangeant conflits personnels et désaccord autour de la politique de management du parti. Au début, l’opinion publique a tenté d’expliquer la résolution de l’ex patron du PJD. Mais très vite, l’indulgence a laissé place à l’incompréhension et l’indignation. Pourquoi dans un gel d’adhésion partisane, Abdelilah Benkirane a-t-il évoqué les relations qu’il ne souhaite plus entretenir avec ses amis d’hier, ennemis d’aujourd’hui? A moins de six mois des élections communales, régionales et législatives de 2021, la lecture politique, et pas seulement juridique ou partisane, permet un décryptage plus précis des objectifs non déclarés de la nouvelle sortie médiatique et populiste, de l’ancien «Zaïm» du parti islamiste marocain.
Crise de colère et règlement bafoué
Les nostalgiques de l’époque Benkirane, sont convaincus que l’homme a agi dans le respect des statuts du PJD. S’il est vrai que l’article 91 desdits statuts stipule que «tout ce qui est de nature à porter atteintes aux bonnes mœurs et considéré comme une infraction au règlement intérieur du parti», le chapitre IV du règlement intérieur de cette formation politique, stipule clairement que «tout membre désireux de démissionner ou geler temporairement son adhésion au PJD est tenu d’adresser une lettre en ce sens, à la plus haute instance décisionnelle dont il est membre. A défaut, la demande doit être soumise à l’appréciation de l’un des Secrétaires provinciaux du parti».
Malaises et règlements de comptes
Pour l’opinion publique nationale, si Abdelilah Benkirane a nommément cité les cadres PJDistes avec lesquels il préfère garder ses distances, c’est qu’il est déterminé à éliminer de potentiels concurrents à la tête du PJD. A la veille des élections de 2021, ces concurrents sont tout désignés. Il y a d’abord Saâdeddine El Othmani et Mustapha Ramid qui pourrait être son éventuel remplaçant à la tête du parti islamiste. Dans la ligne de mire de l’ex-SG du PJD, figurent également Mohamed Amekraz qui a augmenté sa popularité à l’occasion du rétablissement des relations entre le Maroc et Israël, et Lahcen Daoudi qui n’a pas toujours été d’accord avec les positions de Benkirane sur plusieurs dossiers, notamment lors des consultations pour la formation de la majorité gouvernementale en 2016.
Pour bon nombre d’observateurs de la scène politique nationale, la dernière sortie d’Abdelilah Benkirane n’est qu’un baroud d’honneur à usage interne. Pour l’ancien Secrétaire général du PJD, qui veut refaire parler de lui après avoir perdu la main sur le parti.
Mohcine Lourhzal
Rififi chez les islamistes Le PJD convoque son Conseil national L’adoption par le gouvernement du projet de loi sur la légalisation de l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques précipite les événements au sein du PJD, dont le Conseil national se réunira en session extraordinaire les 20 et 21 mars 2021, au lendemain de la décision d’Abdelilah Benkirane de claquer la porte du parti. Cette session extraordinaire du parlement du parti de la Lampe sera présidée par Abdelali Hamieddine, qui en assure l’intérim depuis la démission d’Idriss El Azami Idrissi sur fond de divergences autour du quotient électoral. Si le communiqué du PJD a précisé que la rencontre portera sur l’examen de la demande de démission du président du Conseil national, Idriss El Azami Idrissi, les observateurs estiment que les débats seront focalisés sur les causes de cette démission, autant que sur celle de Benkirane. Les derniers développements politiques, le nouveau mode de calcul du quotient électoral sur la base des inscrits sur les listes électorales, l’adoption du projet de loi sur la légalisation du cannabis, sont autant de questions brûlantes qui mettent le parti islamiste au bord de l’implosion. La situation est tellement tendue au PJD que le Secrétaire général, Saâdeddine El Othmani a demandé aux membres du parti de ne pas commenter la décision de son prédécesseur, de geler son adhésion au parti.
ML