Drame d’Essaouira : Les pauvres et les bienfaiteurs

Le drame du Souk hebdomadaire de la commune de Sidi Boulaâlam, dans la province d’Essaouira, où une bousculade de gens démunis, venus recevoir un sac de denrées alimentaires distribuées par un imam, a débouché sur la mort de 15 femmes et l’hospitalisation de 5 autres, a été pour tous les Marocains un véritable électrochoc.

Qu’une telle tragédie puisse se produire dans notre pays… Que des gens se bousculent à y laisser la vie pour un peu de farine, de sucre et d’huile, suffisant à peine à tenir une semaine… Que 15 femmes soient mortes dans les terribles conditions relatées par les survivantes (prises dans le piège de la bousculade, piétinées, étouffées)… Qu’un imam sur lequel tous les doutes planent, s’érige en bienfaiteur, distribuant, année après année, sans encadrement de l’Etat, ce qu’il reçoit d’ailleurs (de mécènes d’Arabie Saoudite, dit-on)… Tout cela est à la fois affligeant et consternant.

Bien sûr, nous commencerons par nous incliner devant l’âme des 15 victimes dont la misère, la malchance, mais aussi l’inconscience, ont si cruellement scellé le sort. Néanmoins, le choc et l’émotion surmontés, une question se pose tout naturellement: à qui la faute ? A l’Etat, en général ? Aux autorités locales ? A l’imam ? A ces femmes, elles-mêmes ? Depuis la tragique bousculade, les commentaires, analyses et témoignages ont coulé à flot.

A l’Etat, il est reproché ce qu’on lui reproche chaque fois qu’un drame en rapport avec la pauvreté emporte des vies. Comme à Anfgou, lorsque des bébés étaient morts de froid sous les yeux de leurs parents impuissants, face à l’enclavement de leurs régions montagneuses, par temps de neige. Ou bien, dans le Sud, lorsque les terribles inondations provoquées par les eaux des fleuves sortis de leur lit, avaient emporté sur leur passage de fragiles maisons en terre, leurs occupants et leur maigre cheptel. Ou encore, dans le Rif, après que la mort accidentelle du marchand de poisson a déclenché des manifestations qui ont jeté une lumière crue sur les besoins des populations de cette région.

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Ce qui est régulièrement reproché à l’Etat, c’est la persistance d’«un Maroc à deux vitesses», ou d’un «Maroc oublié» (que le Protectorat appelait «le Maroc inutile»)… Y a-t-il aujourd’hui un «Maroc oublié» ? Le fait est que le grand paradoxe du Maroc, c’est que, plus le «Maroc qui avance» réalise de performances, plus un «Maroc à la traîne» se détache… Le fait est, aussi, que la pauvreté a la peau dure. Beaucoup d’initiatives ont été prises pour en venir à bout… Rien n’y fait ! Le Gap est trop grand et le pays n’a pas de rente. Tout repose sur les politiques menées, en termes de priorités, justice sociale, répartition des richesses… Et c’est sur cela que l’Etat est épinglé.

Dans cette tragédie, l’Etat pouvait également être mis à l’index pour son manque d’encadrement de telles opérations caritatives. Mais le Roi a été le 1er à réagir, le jour-même de la bousculade meurtrière, en donnant immédiatement des instructions afin que le Gouvernement s’attèle à combler ce vide juridique. Une réunion ministérielle s’est aussitôt tenue (mardi 22 novembre) à cet effet.

Les autorités locales, quant à elles, paieront le prix fort… Toutes les interrogations, au lendemain du drame, ont porté sur leur absence des lieux, malgré l’ampleur de l’opération de distribution des aides. Le Gouverneur de la Province d’Essaouira est actuellement entendu par la Justice. Le colonel de gendarmerie sous la responsabilité duquel tombe la Commune a été démis de ses fonctions. Et il semble que les sanctions n’en resteront pas là, compte tenu des enquêtes que continuent de mener les autorités de tutelle…

En ce qui concerne l’imam, il décroche le pompon ! La question n’est pas de savoir s’il est responsable –il l’est bien sûr- mais de déterminer son degré de culpabilité en passant au crible «l’ensemble de son œuvre». Car, si depuis le drame, il est en prison, ce ne sont pas les témoignages de ses voisins qui l’en sortiront, ni même qui lui vaudront des circonstances atténuantes. Décrit comme un homme sans compassion ; qui n’aide jamais personne de son entourage, sauf les natifs de son «patelin» (les Chiadma) ; qui se sert de ces activités caritatives à des fins commerciales, voire d’enrichissement illicite… Il est en plus accusé par quelques-uns des rescapés d’avoir aggravé la situation en s’activant à filmer les files d’attente avant toute distribution d’aides, alors que des femmes venues de loin faisaient la queue depuis 2h du matin. Filmage auquel il aurait donné la priorité pour pouvoir envoyer les images aux donateurs étrangers avec lesquels il traite. La Justice se penchera sur l’identité de ses pourvoyeurs, sur la nature de ses relations avec eux et sur la réalité de ses activités. Mais lui, au moins, vit encore. Les 15 femmes, non.

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Enfin, les femmes elles-mêmes ont fait l’objet de vives critiques. Il leur est reproché, d’abord, de n’être pas toutes dans le besoin. Mais, pour certaines d’entre elles, d’avoir accouru juste parce que les denrées distribuées étaient gratuites. Ensuite, d’avoir contribué à la gravité de la bousculade par leur indiscipline et course folle, sans égard pour les plus fragiles parmi elles, ni les plus âgées. Impitoyable réquisitoire que l’on trouve sur les réseaux sociaux et que de nombreux Marocains (sauf le respect dû aux morts) partagent.

En définitive, cette tragédie aura au moins le mérite de clarifier la situation des activités caritatives, tant au niveau juridique qu’au niveau humain. Car qui sait toujours quelles sont les intentions de ces «bienfaiteurs» qui empruntent des canaux suspects pour étendre leurs tentacules dans la société et y répandre on ne sait quoi, quasiment à l’insu de l’Etat ?

Bahia Amrani

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