Face au veto opposé par la Russie à une Résolution du Conseil de Sécurité condamnant son invasion de l’Ukraine, 96 Etats membresont coparrainé une Résolution présentée, de façon exceptionnelle, à l’Assemblée Générale (AG)des Nations Unies.
Cette Résolution, qui n’est pas contraignante, devait recevoir le vote positif d’une majorité des deux tiers des membres pour être adoptée.Le vote a eu lieumercredi 2 mars (2022). Sur les 193 membres que compte l’AG de l’ONU, 141 ont voté pour la Résolution, 5 ont voté contre (la Russie, le Bélarus, l’Érythrée, la Corée du Nord et la Syrie), 35 ont opté pour l’abstention et 12 membres n’ont pas participé au vote. On y compte l’Azerbaijan, le Burkina Faso, le Cameroun, l’Ethiopie, l’Eswatini, la Guinée, la Guinée Bissau, le Togo, le Turkmenistan, l’Uzbekistan, le Venezuela et le Maroc.
Une douzaine de pays, donc, ont choisi de ne pas participer au vote, chacun pour des raisons qui le concernent. Mais, ceux dont l’attention obsessionnelle est braquée sur le Maroc, n’ont vu que l’absence du Royaume.
Pourquoi le Maroc a-t-il choisi de ne pas participer à ce vote de la Résolution de l’AG de l’ONU sur la situation entre l’Ukraine et la Russie ?
D’abord, que dit cette Résolution ?
L’Assemblée Générale y «réaffirme son engagement envers la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, s’étendant à ses eaux territoriales».
Elle «déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte» des Nations Unies et «exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine et s’abstienne de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État Membre».L’AG«exige également que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays».
Et quelle est la position du Maroc ?
Elle a été exprimée officiellement dans un 1er communiqué du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, daté du 26 février (2022). On y lit que «Le Royaume du Maroc suit avec inquiétude l’évolution de la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine» ; que «le Royaume du Maroc réitère son soutien à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de tous les Etats membres des Nations Unies» ; et que «Le Royaume du Maroc rappelleson attachement au principe de non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats ; et encourage toutes les initiatives et actions favorisant un règlement pacifique des conflits».
A comparer le texte de la Résolution de l’AG de l’ONU et celui du communiqué du ministère des Affaires étrangères du Maroc, on voit bien que les positions de principe sont les mêmes: soutien à l’intégrité territoriale des Etats membres de l’ONU et non recours à la force pour le règlement des différends.
Il ne s’agit donc pas de divergences dans ces positions de principe.
C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Maroc dans un second communiqué du ministère des Affaires étrangères, rendu public le jour du vote (le 2 mars 2022).
Il y est dit: «La non-participation du Maroc ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe concernant la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine, telle que réaffirmée dans le Communiqué du 26 février 2022». Puis: «Le Royaume du Maroc regrette l’escalade militaire qui a fait, malheureusement, à ce jour, des centaines de morts et des milliers de blessés et qui a causé des souffrances humaines des deux côtés, d’autant que cette situation impacte l’ensemble des populations et des États de la région et au-delà» ; «réaffirme son fort attachement au respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’unité nationale de tous les États Membres des Nations Unies» ; «rappelle que, conformément à la Charte des Nations Unies, les Membres de l’Organisation se doivent de régler leurs différends par des moyens pacifiques et selon les principes du droit international, afin de préserver la paix et la sécurité mondiales» ; «a toujours œuvré pour favoriser le non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats» ; «appelle à la poursuite et à l’intensification du dialogue et de la négociation entre les parties pour mettre fin à ce conflit et encourage toutes les initiatives et actions à cette fin».
La différence entre la Résolution de l’AG et le Communiqué du Maroc tient dans le ton et les mots employés. La Résolution, qui entend exercer une forte pression, «déplore dans les termes les plus énergiques l’agression», «exige que la Russie cesse immédiatement d’employer la force», «exige que la Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires»… Le Maroc, lui,insiste depuis le début de la crise sur «l’intensification du dialogue et de la négociation entre les parties». Le dialogue, la négociation, la médiation… Il sait qu’«exiger» dansle cas actuel ne mènera à rien. Il n’endosse donc aucune sommation… Et encore moins en direction d’un membre permanent du Conseil de Sécurité qui, dans la cause nationale du Maroc -le dossier du Sahara- n’a jamais opposé son veto à une Résolution du Conseil portant sur ce dossier. Et cela, même si la partie adverse –l’Algérie notamment- est le 1er client de la Russie pour les armes… Et même si, depuis 2007, toutes les Résolutions du Conseil de Sécurité jugent la proposition du Maroc «sérieuse et crédible». Mieux. Sans faire de grands bruits comme l’Europe, la Russie, dans ses contrats de pêche avec le Maroc… Inclut le Sahara !
Mais ce serait réducteur et injuste pour le Maroc que de rapporter sa position dans la crise Russie-Ukraine à la seule défense de sa cause sacrée du Sahara. Quoique qu’il soit tout à fait légitime que le Royaume défende ses intérêts, comme il le peut. En l’occurrence, l’Europe n’hésite pas à le faire en ne s’attaquant pas au gaz russe (qui coule toujours dans le gazoduc Nord Stream 1), pour ne prendre que cet exemple-là…
Ce serait réducteur et injuste, parce que ce serait ignorer que cette posture est une constante de la diplomatie marocaine sous l’ère Mohammed VI. Lorsque deux Etats partenaires du Maroc s’opposent, le Maroc recommande le dialogue et choisit la médiation, plutôt que l’alignement sur l’une ou l’autre des parties. C’était le cas lors du différend (toutes proportions gardées) entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le Maroc est resté l’interlocuteur des deux.
Aujourd’hui –et surtout demain, si le dialogue entre la Russie et l’Ukraine aboutit- le Royaume sera l’interlocuteur de l’Ukraine comme de la Russie, deux partenaires commerciaux non négligeables du Maroc.
Bahia Amrani