Maroc-Allemagne | Qui faut-il croire ?

Le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères a rendu public, lundi 13 décembre 2021, un communiqué qui ressemble à un drapeau blanc agité par le nouvel exécutif allemand, 5 jours seulement après son entrée officielle en fonction, la passation des pouvoirs ayant eu lieu le 8 décembre.

Dès le 7 décembre, la veille du jour du départ de Angela Merkel et de son remplacement par le nouveau chancelier élu, le social-démocrate Olaf Scholz, l’ambassade d’Allemagne à Rabat envoyait un 1er signal, s’inscrivant en faux contre un rapport attaquant le Maroc, présumé «confidentiel» (mais qui s’est retrouvé dans la presse allemande et la nôtre) ; et appelant à rétablir les «bonnes et solides relations» traditionnelles liant le Maroc et l’Allemagne.

Pour l’ambassade d’Allemagne à Rabat, sur sa page Facebook (7 décembre) «Le Royaume du Maroc est un partenaire important pour l’Allemagne» et «L’Allemagne est prête pour un partenariat entre les deux pays, tourné vers l’avenir».

De même que le pour le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, dans son communiqué du 13 décembre, «le Maroc est un partenaire clé de l’Union européenne et de l’Allemagne en Afrique du Nord».

Ces deux signaux –celui de l’ambassade, suivi de celui, très officiel, du ministère fédéral des Affaires étrangères- sont assurément positifs et ne peuvent qu’être bien accueillis par l’opinion publique marocaine (l’Etat n’y a pas réagi, au jour d’aujourd’hui, 15 décembre).

Cependant, cette même opinion publique marocaine est quelque peu dubitative… A une poignée de jours d’intervalle, elle reçoit –en provenance d’Allemagne- un rapport incendiaire pourfendant le Maroc et révélant un nombre incroyable d’initiatives déstabilisatrices et recommandations allemandes portant gravement atteinte aux intérêts du Royaume ; et deux appels de la Diplomatie allemande à des relations et un partenariat solides !

Qui faut-il croire ? La question n’est pas superflue, au vu de l’importance de ce qui a été dit, d’une part comme de l’autre.

Que dit de si grave le fameux rapport incendiaire, titré «Nous ne voulons pas d’une nouvelle Turquie dans la Méditerranée occidentale» (à propos du Maroc) et signé par Isabelle Werenfels, que les médias présentent comme «chef du Bureau du renseignement pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient du renseignement allemand», mais dont l’ambassade d’Allemagne à Rabat nie tout lien avec les services de renseignements fédéraux allemands, assurant qu’elle est juste une spécialiste des affaires maghrébines, affiliée à un centre indépendant de recherches sur les affaires internationales…?

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Ce rapport nous apprend que l’Allemagne envisage d’affaiblir le Maroc suite au rapprochement maroco-israélien et a déjà entrepris des actions dans ce sens.

Justifiant la nécessité de limiter les ambitions de développement du Maroc, le document argue que «l’alliance maroco-israélienne est un grand choc pour l’Union européenne et pas seulement pour l’Allemagne, du fait qu’elle constitue une menace» pour les intérêts de l’une et de l’autre. Le rapport rappelle que l’Afrique du Nord est une zone importante pour l’Union européenne, un marché pour ses produits et une porte d’entrée vers le vaste marché africain.

L’auteur du Rapport, Isabelle Werenfel, révèle qu’en examinant les documents confidentiels du renseignement allemand, elle y a appris que bien avant l’accord militaire et sécuritaire entre Israël et le Maroc, l’Allemagne s’est trouvée confrontée à «un service de renseignement marocain fort, un féroce et obstiné concurrent, qui a établi des connexions non seulement en Europe occidentale mais aussi en Europe orientale». Et d’ajouter: «d’après ce que j’ai appris dans ces archives également, notre appareil a essayé de créer de nombreux problèmes au Maroc et de stopper ses activités dans de nombreuses régions africaines». La dame poursuit dans son rapport: «Le lobby de cette agence (le renseignement allemand), qui contrôle de nombreux secteurs industriels en Afrique, a joué un rôle pour perturber la marche des entreprises marocaines et leur expansion dans la région ouest-africaine et de nombreuses régions africaines, de même que ses lobbies politiques ont joué un rôle afin de menacer les intérêts du Maroc et tenter de l’affaiblir dans la région»… Mais, écrit Isabelle Werenfels: «J’ai conclu que le plan, pour lequel beaucoup d’argent des contribuables allemands a été dépensé, avait échoué. Et voici une nouvelle Turquie en Méditerranée occidentale qui a commencé à grandir et à émerger»… Tout le reste du rapport est de la même veine, évoquant une stratégie allemande en direction des marchés miniers africains mise en route en 2019 et qui a échoué, une position de retard en termes d’investissements directs avec seulement 1% des investissements étrangers allemands qui vont actuellement en Afrique, etc. etc. celui qui est montré du doigt étant toujours le Maroc, y compris dans ses relations avec l’Espagne…

Alors quand le communiqué du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères vient quelques jours plus tard dire que «Le Royaume du Maroc est un pont important entre le Nord et le Sud, à la fois politiquement, culturellement et économiquement, qu’il est un partenaire clé de l’Union européenne et de l’Allemagne en Afrique du Nord… Que le Maroc, qui a lancé de vastes réformes au cours de la dernière décennie, joue un rôle important dans la stabilité et le développement durable de la région et que cela est évident… », en n’oubliant pas de rappeler que «l’Allemagne et le Maroc entretiennent des relations diplomatiques depuis 1956», l’opinion publique est en droit d’être interloquée.

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Bien sûr, le chapitre sur le positionnement allemand concernant le dossier du Sahara n’aura pas échappé à l’opinion publique marocaine.

Après avoir rappelé que «les Nations Unies travaillent sous la houlette du nouvel envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies, Staffan de Mistura, à trouver une solution à la question du Sahara occidental», le ministère allemand des AE a tenté de rassurer, balayant d’un trait de plume les récents signaux hostiles au Maroc dans l’affaire du Sahara, pour se ranger derrière l’ONU.

«La position du gouvernement fédéral à ce sujet n’a pas changé depuis des décennies. L’Allemagne soutient l’envoyé personnel dans ses efforts visant à trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable sur la base de la résolution du Conseil de sécurité 2602 (2021), peut-on lire dans le communiqué du tout nouveau Gouvernement allemand». Et le texte du ministère en charge de la Diplomatie d’ajouter même ceci: «Le Maroc a apporté une contribution importante à un tel accord en 2007 avec un plan d’autonomie».

Alors, à quel point de vue se fier ? Celui du Rapport qui veut affaiblir le Maroc ? Ou celui du communiqué du nouvel Exécutif qui encense le même Maroc ?

On peut dire que, généralement, les Rapports confidentiels des «Gorges profondes» d’un pays sont plus vrais que les mots lénifiants de sa Diplomatie.

Comme on peut dire que le nouveau gouvernement Scholz arrive au pouvoir avec de bonnes intentions et qu’il est possible qu’il ait une stratégie moins belliqueuse, frontale et réductrice, que celle d’Isabelle Werenfels, pour défendre les intérêts de l’Allemagne.

La réponse sera dans les actes. Quoiqu’il en soit -les Marocains ne le répéteront jamais assez- le Maroc est en droit de défendre ses intérêts avec la même force que ceux qui le lui reprochent défendent les leurs.

Bahia Amrani

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