Finances Publiques : Un impôt équitable, pour réduire les inégalités

La 13ème édition du Colloque International des finances publiques a eu lieu à Rabat, les 20-21 septembre  2019. Un rendez-vous incontournable de très haut niveau. Que s’y est-il dit ?

Un rendez-vous qui réunit d’éminentes personnalités du monde politique et économique du Maroc et de la France et des représentants de la société civile, ainsi que de nombreux experts en finances publiques pour débattre d’une thématique d’actualité «Quelles finances locales au Maroc et en France dans un monde en mutation?».

Cette 13ème édition du Colloque International des finances publiques, organisée par le ministère de l’Economie et des Finances et Fondafip (Fondation Internationale de Finances Publiques), qui a fait l’objet d’une couverture médiatique sans précédent, a permis de débattre de moult rapports introductifs et témoignages. En outre, les travaux du colloque se sont articulés autour de trois panels: Quelle fiscalité locale ? Quelle gouvernance et quelle gestion des finances locales ? Quels financements pour les investisseurs locaux ?

Le choix de cette thématique longuement réfléchie s’inscrit, a souligné Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des Finances, en droite ligne avec les orientations de SM le Roi Mohammed VI, en vertu desquelles les régions et les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle central en tant que véritable moteur de croissance et de valorisation de la richesse nationale. Leur implication avec les structures administratives déconcentrées, devrait donner un nouvel  élan à la dynamique de développement socio-économique dans notre pays, pour concourir à la réalisation de la justice sociale et territoriale.

Cependant, souligne M. Benchaâboun, le taux de croissance moyen de 4% enregistré demeure inférieur à la moyenne observée dans les pays émergents. Modeste et insuffisant pour réduire les inégalités sociales et spatiales et le chômage des jeunes. Notamment, dans un contexte mondial marqué par les tensions économiques et sociales. Ce qui a fait dire à SM Le Roi Mohammed VI «qu’il est temps pour le Maroc de reconsidérer son modèle de développement».

Aujourd’hui plus qu’avant, souligne M. Benchaâboun, les ressources financières sont une denrée rare. Cela est vrai pour les collectivités locales autant que pour l’Etat. Il s’agit donc, conclut l’argentier du Royaume «de gérer cette rareté, de faire preuve d’innovation et d’imaginer de nouvelles sources de financement ». Ce qui a fait dire au Professeur Michel Bouvier, Président de Fondafip que «l’avenir de la fiscalité locale est mis à l’épreuve par rapport à son environnement local et social». Il lance: «il faut s’arrêter pour réfléchir sur la fiscalité locale» ; puis pose la grande question: «Arriverons-nous à affronter le choc futur ?» ; et appelle à une réflexion politique.

Pour sa part, Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume, estime que la priorité devient, aujourd’hui, la réduction des inégalités sociales et spatiales, afin d’entamer une étape nouvelle du modèle de développement. Il met en exergue les leviers nécessaires les plus efficaces pour ce faire. Entre autres, une bonne mise en œuvre de la régionalisation avancée et de la déconcentration administrative, en vue d’une meilleure rationalisation de l’organisation territoriale. A cet effet, les finances locales sont de plus en plus sollicitées en vue de contribuer au développement économique et à la réduction des inégalités sociales et spatiales.

Afin de faire face à ces disfonctionnements et conformément aux orientations Royales, M. Bensouda reconnaît «qu’une réforme en profondeur du système fiscal marocain est devenue nécessaire». L’impôt, conclut-il, «devrait être mieux équilibré et plus équitable, en vue de réduire sensiblement les inégalités. L’objectif est que l’impôt contribue à une redistribution équitable des fruits de la croissance», conclut-il.

Mohammed Nafaa

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Noureddine Bensouda

Trésorier Général du Royaume du Maroc.

«Les Finances locales sont un bon moyen de rapprocher l’Etat du citoyen».

Le Colloque International sur les finances publiques est devenu un rendez-vous incontournable. Qu’attendez-vous de cette 13ème édition ?

Comme vous l’avez dit, depuis 2017 nous avons initié ce colloque international sur les finances publiques, qui traite de sujets d’actualité qui intéressent le gouvernement, l’administration, les gestionnaires, mais également les universitaires et les organes de contrôle.

Le but ?

Echanger sur des sujets de grande importance. Nous avons traité les finances publiques face à la crise, leur pilotage, la transparence, la cohérence. Nous avons traité aussi de l’Etat territorial, de la souveraineté et des finances publiques. Et l’année dernière, nous travaillions un peu sur la justice sociale.

A quoi a abouti la réflexion ?

Il était temps, quand  même, de réfléchir à un sujet d’actualité pour la mise en œuvre et l’accélération du chantier de la régionalisation avancée et, en même temps, le chantier de la déconcentration. Donc, il fallait réfléchir sur les finances locales et comment elles peuvent supporter ces deux volontés royales, dans un monde en pleine mutation. Car, nous subissons ce qui se passe à l’international et les finances publiques en général -et locales en particulier- peuvent être impactées, par la mobilité des assiettes, par le commerce électronique… Et ainsi de suite.

Comment alors réussir la gestion des finances locales ?

Les finances locales sont comme toutes les finances. Il y a une partie recettes et une autre dépenses ; et il y a la gestion. Il faut donc travailler pour l’améliorer.

D’où, la 2ème table ronde qui va justement débattre en profondeur d’un thème de taille: «Quelle gouvernance et quelle gestion des finances locales» ?

Absolument. La gouvernance. Avec son corollaire, le contrôle de la Cour des Comptes. Et, in fine, le troisième volet: savoir s’il y a des financements que l’on peut développer ? Par exemple, l’emprunt… Si c’est vrai qu’au niveau de l’Etat, des entreprises et des ménages, l’emprunt est assez développé, au niveau des finances locales, il y a un Fonds d’équipement communal. Mais il gère de manière très rigoureuse l’emprunt des collectivités territoriales, pour ne pas rencontrer les difficultés qu’ont connu d’autres pays. Notamment en France, où on a laissé des collectivités locales emprunter à des taux variables et elles se sont retrouvées dans des situations difficiles. Nous allons donc nous pencher sur cela, pour essayer de dire: quelles finances locales ? Comment mobiliser les ressources fiscales ? Comment aussi améliorer la dépense, par la bonne gestion, par la gouvernance ? Et, en même temps, comment réfléchir…

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Qu’en est-il de la dépense ?

Dans mon intervention, j’ai insisté sur des réalités. Parce que, entre la volonté -qui est là- et la réalité, il y a encore des marges de progrès. Nous constatons que 10% de la dépense du budget s’effectue au niveau local. Il y a donc uniquement 10% pour les collectivités territoriales. Lorsque nous prenons pour base l’addition entre l’Etat et les collectivités locales, celles-ci participent à hauteur de 10% du budget.

Et au niveau de l’investissement ?

Là aussi, quand nous prenons l’investissement global -Etat et collectivités locales- nous restons au niveau de 19% seulement pour les collectivités territoriales. Et bien entendu, si nous prenons le ratio en rajoutant les entreprises publiques, ce ratio va diminuer, nous irons au-dessous de la barre des 19%.

Ceci veut dire qu’il y a encore à faire…?

Je dirai qu’il y a encore des améliorations à faire. Mais vous savez, la jeunesse des collectivités territoriales mérite d’y aller de manière prudente ; et en même temps, d’organiser le travail au niveau local, en relation avec la déconcentration, pour que finalement, nous assurions ces investissements dans les meilleures conditions.

La 12ème édition du colloque international des finances publiques s’était tenue les 21-22 septembre 2018, sous le thème: «Finances publiques et justice sociale». Où en êtes-vous de cette thématique ? Quels progrès ?

Justement, lorsque nous étions en train de réfléchir sur les finances locales, ce thème vient un peu en prolongement, pour réduire les inégalités sociales et spatiales, comme l’a rappelé SM Le Roi Mohammed VI dans ses deux discours… Le Souverain a rappelé que nous avons réalisé des évolutions importantes sur le plan démocratique, avec la constitution 2011, ainsi que sur le plan des infrastructures, mais ce n’est pas suffisant.

Qu’est-ce qu’il reste alors à faire ?

Maintenant, il faut travailler sur le social et sur les inégalités sociales.

Quel impact des finances locales sur le social ?

Les finances locales sont justement un bon moyen de rapprocher l’Etat -au sens large- du citoyen, en lui assurant des services de qualité. C’est aussi une manière indirecte d’augmenter son revenu.

Que peuvent apporter les services publics en termes de qualité ?

Lorsqu’il y a un service public de qualité, les citoyens n’ont pas à dépenser pour l’éducation, la santé, le transport. C’est donc une manière indirecte d’améliorer le revenu du citoyen et d’augmenter aussi la proportion à épargner. Et quand nous épargnons, nous pouvons investir, améliorer et passer d’une situation à une autre sur le plan économique.

Pour ce qui est de la transparence publique, où en êtes-vous vers un nouveau modèle ?

La transparence est un principe fondamental. Il est édicté par la constitution 2011. Sur un plan opérationnel, je crois que tout le monde œuvre dans ce sens qu’il s’agisse de l’administration, des organes de contrôle… Le but est de détecter les anomalies dans la gestion publique en général et d’essayer de les corriger.

La Trésorerie générale au service du citoyen et de l’intérêt général. Qu’en est-il concrètement ?

Concrètement, de par ses relations avec tous les partenaires: départements ministériels, collectivités territoriales, ou particuliers, la Trésorerie Générale -il ne faut pas l’oublier- se charge de rémunérer pratiquement un million de citoyens par mois. Ceci pour vous dire que nous sommes en relation avec les citoyens et que nous devons les servir.

Interview réalisée par Mohammed NAFAA

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Michel Bouvier

Directeur de la Revue Française de finances publiques, Président de Fondafip

«Il faut beaucoup de transparence dans les finances publiques»

Le 13ème Colloque international des finances publiques se tient sous le thème «Quelles finances locales au Maroc et en France dans un monde en mutation» ? Qu’est-ce qui, à votre avis, a dicté cette thématique ?

Le choix de cette thématique s’explique par le fait que les finances locales, comme l’ensemble des finances publiques, sont confrontées aujourd’hui à un monde qui bouge beaucoup, du fait de la mondialisation. Mais, surtout, de la combinaison de la mondialisation et de l’intelligence artificielle qui fait qu’aujourd’hui, nous sommes dans un monde très différent de celui d’il y a 5 ou 6 ans à peine. Par conséquent, les finances locales ont bougé. Par ailleurs, ce qui nous a motivés pour tenir ce colloque, c’est qu’au Maroc comme en France, nous sommes face à une nécessaire refonte, ou tout au moins une réforme, de nos finances locales. Et de ce fait, c’est un sujet qui nous intéressait, France et Maroc.

Et pour réformer la fiscalité locale ?

Pour ce faire, je crois qu’il faut prendre le problème par le haut, parce qu’il faut d’abord, avant de s’intéresser aux techniques -c’est-à-dire les modifier- se demander quelle est la fonction que nous allons allouer à la fiscalité locale.

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La fiscalité locale a de multiples fonctions ?

Absolument. Elle a une fonction budgétaire qui consiste à financer les dépenses d’une collectivité. Elle a une fonction économique: aider au développement économique. Elle a une fonction sociale: essayer d’aider les plus faibles et d’égaliser -un minimum au moins– les situations.

Et une fonction politique ?

Absolument. Car la fiscalité locale établit un lien entre le citoyen et ceux pour qui il a voté. Par conséquent, il y a quatre fonctions pour cette fiscalité. Et cela est la première des choses qu’il faut éclaircir. Comment arriver à faire en sorte que ces quatre fonctions soient intégrées, comme on dit aujourd’hui, qu’il y ait inclusion des quatre fonctions. Cela est une réflexion que nous devons avoir aujourd’hui.

Nous avons l’impression que la fiscalité locale peine à se renouveler et à suivre cette évolution ?

Nous raisonnons encore trop avec des concepts, par rapport à la fiscalité en général d’ailleurs et pas seulement concernant la fiscalité locale. Nous raisonnons trop avec des concepts qui sont ceux des 19ème et 20ème siècles, parce que c’est à cette époque-là qu’ont été créés les impôts que nous connaissons aujourd’hui. Nous continuons de penser ces impôts et la fiscalité de la manière dont on les pensait à l’époque.

Vous avez dit que la fiscalité est la base du pouvoir ?

Normal. Si vous n’avez pas d’argent, vous n’avez pas de pouvoir. Une institution qui n’a pas d’argent, donc qui n’a pas de fiscalité libre de l’utiliser à son gré, mais aussi de la faire évoluer, n’a pas de pouvoir ! Donc pour jouir d’une certaine liberté, il faut que la fiscalité soit une fiscalité propre à la collectivité locale et sur laquelle elle a un pouvoir d’influence.

Vous avez évoqué aussi la revanche du local sur le central, c’est-à-dire ?

C’est propre à la France, ce que j’ai dit là. En France, les collectivités locales ont été pendant de très nombreuses années sous la domination de l’Etat. Notamment, sur la base du principe selon lequel il fallait, pour les collectivités locales, lorsqu’elles réalisaient un acte quelconque, demander l’autorisation à l’Etat. C’est ce qu’on appelle un contrôle à priori des actes des collectivités territoriales. Nous sommes passés à un contrôle à postériori à partir du moment où nous avons autorisé les collectivités locales à réaliser librement leurs opérations et à être contrôlées, après, sur l’efficacité et la régularité de ces actions.

Il y a cette impression d’une sur taxation ?       

Cela a toujours été le cas. L’impôt n’a jamais été facilement accepté.

Pour sortir de là ?

Il faut, à mon sens, beaucoup de transparence dans les finances publiques en général et locales en particulier. Il faut que le contribuable comprenne, d’une part, que l’argent qu’il verse à la collectivité locale est un argent qui est utile ; et, d’autre part, qu’il est correctement géré. Pour cela, il faut qu’il ait une vision très claire de l’utilisation des fonds publics, de l’argent public local et de la régularité de cet argent. Et ce sont les élus locaux qui peuvent satisfaire cela.

C’est une question de confiance ?

Oui, il ne faut jamais qu’il y ait un soupçon d’irrégularité. Il faut que cela soit clair comme eau de roche. La transparence !

Où vous en êtes de la 13ème édition du colloque international des finances publiques ? Quels résultats et quels acquis ?

Nous sommes satisfaits. Quand on voit, depuis le premier colloque réalisé en 2007, qu’il y a d’abord une affluence, chaque année, que les débats sont de plus en plus affinés, plus intéressants aussi et de plus en plus productifs… De notre intelligence collective, il sort chaque année des choses nouvelles qui sont appréhendables par les décideurs politiques ou économiques.

Interview réalisée par Mohammed Nafaa

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Elle a déclaré…

Hélène le Gal

Ambassadrice de la République Française au Maroc

 «Nous ne partons pas de la même situation, mais l’enjeu est le même»

«Je suis très heureuse d’avoir eu l’opportunité de participer aux travaux du 13ème colloque international des finances publiques, qui se tient autour du thème «Quelles finances publiques au Maroc et en France dans un monde en mutation ?». Colloque organisé en collaboration entre la Fondafip (Association pour  la Fondation Internationale de Finances publiques), un organisme français, la Trésorerie Générale et le ministère marocain de l’Economie et des Finances.

Ce colloque existe depuis 13 ans. Donc, c’est un rendez-vous annuel. Et pour moi, qui suis arrivée au Maroc il y a de cela deux semaines, c’est le premier évènement auquel je participe.

Pour ce qui est des défis communs auxquels la France et le Maroc ont à faire face, ce sont tous les défis de déconcentration et décentralisation. Nous ne partons pas de la même situation, mais l’enjeu est le même. Nous avons, en France et au Maroc, un certain nombre de citoyens qui vivent dans des territoires où ils se sentent un peu abandonnés par le centre -par la capitale- et il faut trouver les moyens, à la fois avec les finances publiques et les collectivités territoriales, pour que tout un chacun se sente concerné par le développement du pays».

Propos recueillis par Mohammed Nafaa

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