Institution Parlementaire | Des scandales à répétition qui souillent l’image de l’hémicycle

Au moment où le Parlement marocain célèbre ses 60 ans d’existence, voilà qu’un scandale de corruption, de blanchiment d’argent et d’abus de pouvoir éclate au grand jour au sein de l’hémicycle. De quoi relancer le débat sur l’intégrité de ceux qui sont censés défendre les intérêts de la nation et des citoyens.

Alors que les Marocains s’apprêtaient à tourner la page de l’année 2023, un méga scandale est venu secouer le microcosme politique. Connue médiatiquement sous le nom d’«Escobar du Sahara», cette affaire implique un vaste réseau de trafic de drogue et de blanchiment d’argent, lié à un certain Haj Ahmed Ben Ibrahim, surnommé «Le Malien». Incarcéré depuis 2019 dans la prison d’El Jadida, ce dernier a décidé quatre ans plus tard, de balancer ses complices, parmi lesquels des parlementaires et des présidents de collectivités territoriales, entre autres responsables.

L’affaire «Escobar du Sahara» a fait tomber le député PAM et patron du Wydad de Casablanca, Saïd Naciri, ainsi que le Président du Conseil Régional de l’Oriental, Abdenbi Bioui, lui aussi affilié au Parti Authenticité et Modernité.  Tous deux sont poursuivis en état d’arrestation pour multiples chefs d’accusation, notamment trafic international de drogue, spoliation immobilière, blanchiment d’argent, faux et usage de faux, recel et abus de pouvoir. Si ces Chefs d’accusation se confirment, S. Naciri et A. Bioui risquent de passer un bon moment derrière les verrous.  

Avidité destructrice

Depuis 2021, un grand nombre d’élus sont tombés dans les filets de la justice. Si certains sont en prison, d’autres attendent leurs procès.

Le 3 janvier 2024, la Cour Constitutionnelle a décidé de déchoir de son mandat de député, Saïd Zaidi, élu à Benslimane sous les couleurs du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), par ailleurs Président de la Commune Oued Cherrat à Bouznika. La décision de la Cour Constitutionnelle a fait suite au verdict prononcé par le Tribunal Administratif de Casablanca, en date du 29 décembre 2022. Un verdict confirmé le 21 mars 2023, par la Cour d’Appel administrative de Rabat.

Le 26 décembre de la même année, la Cour Constitutionnelle rendait publique sa décision de destituer de son siège parlementaire, un député du Parti du Rassemblement National des Indépendants (RNI). Mohamed El Hidaoui qui, à l’instar de Said Naciri, était à la tête d’un club de football, celui de l’Olympique de Safi. El Hidaoui a été condamné à huit mois de réclusion pour détournement de billets destinés aux supporters de l’équipe nationale de football, lors de la Coupe du Monde, Qatar 2022.  

D’autres élus du RNI ont été impliqués dans des affaires judiciaires. Il s’agit d’Abdeslam Bakkali, Président du Conseil communal de Fès et Hassan Tazi Chalal, Président du Conseil préfectoral de la même ville. Il convient de rappeler que Abdeslam Bakkali avait succédé à Jawad El Fayek, un autre élu RNI, condamné en juin 2023, à huit ans de prison ferme et une amende d’un million de dirhams dans le cadre d’une affaire de corruption, de dilapidation de deniers publics, et de falsification de documents officiels.

En octobre 2022, le député RNIste, anciennement membre du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Younes Benslimane, a été condamné à un an de prison avec sursis, assorti d’une amende de 20.000 Dirhams. Il avait été poursuivi pour «détournement de fonds publics», alors qu’il était adjoint du Maire de Marrakech, Larbi Belcaid. Avant lui, le parlementaire de la circonscription de Guéliz-Nakhil à Marrakech, Ismail El Barhoumi, avait écopé en février de la même année, à deux ans de prison pour «détournement» et «dilapidation de deniers publics».

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De son côté, le député RNI et président du Conseil municipal de Ksar El Kébir, Mohamed Simo, poursuivi dans une affaire de dilapidation de deniers publics, avec 24 autres accusés, s’est vu saisir l’ensemble de ses biens immobiliers. La décision a été prise le 26 décembre 2023 par le juge d’instruction près la Chambre chargée des crimes financiers à la Cour d’Appel de Rabat qui a également ordonné une saisie conservatoire sur les comptes bancaires du député, à l’exception de son salaire mensuel en tant que parlementaire.

Le Parti Authenticité et Modernité (PAM), compte outre Saïd Naciri et Abdenbi Bioui, trois autres parlementaires impliqués dans des affaires de corruption et de malversations. Il s’agit d’Ahmed Touizi, Chef du groupe parlementaire du parti à la Chambre des représentants, poursuivi pour «failles financières dans la gestion des affaires» de la commune d’Ait Ourir, relevant de la province d’Al Haouz. De son côté, Hicham Mhajri, député de Chichaoua, a été poursuivi dans une affaire de «dilapidation de deniers publics».

Parmi les poursuites judiciaires enclenchées contre des parlementaires et membres du PAM, figurent celle de Thami Meski qui a été déchu de son siège à la Chambre des représentants, après avoir été condamné à un mois de prison et une amende de 10.000 Dirhams, dans une affaire de corruption.

Du côté du Parti de l’Istiqlal (PI), le Président de la Commune de Bouznika est poursuivi dans une affaire de «détournement de fonds alloués à la viande rouge». La justice a décidé le 3 mai 2023 de démettre Mohamed Karimine de ses fonctions. Début janvier 2024, Saleh Oughbal, a été condamné par contumace par le Tribunal de 1ère Instance de Sidi Slimane à 5 ans de prison ferme et une amende de 250.000 Dirhams. Le député Istiqlalien est poursuivi pour «émission d’un chèque sans provision» «escroquerie». Saleh Oughbal avait représenté le Maroc, en octobre 2023, au Congrès de l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption. Il rejoint aujourd’hui la liste des élus de la nation, condamnés par la justice marocaine dans des affaires de corruption. Absent de son procès, le député de Khénifra aurait déposé un recours devant le tribunal.

Les élus des partis de l’opposition sont eux-aussi mêlés à des affaires de malversations et de corruption. Parmi eux, le parlementaire et ancien ministre issu du Mouvement populaire (MP), Mohamed Moubdie, incarcéré depuis avril 2023 pour dilapidation de deniers publics. Deux autres députés du parti de l’épi ont été condamnés par la justice dans des affaires similaires. Il s’agit d’Abdenbi El Aidoudi. Elu le 8 septembre 2021 à la circonscription de Sidi Kacem, il a été condamné en juin 2023 par la Chambre des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat à deux ans de prison avec sursis, assortis d’une amende de 5.000 dirhams. Idem pour le député MP et quatrième Vice-président de la Chambre des conseillers, Mehdi Atmoun, qui a été condamné à trois ans de prison, assortis d’une amende de 30.000 Dirhams pour «dilapidation» et «détournement de fonds publics» dans une affaire qui concerne la gouvernance locale au niveau de la Commune urbaine de Khouribga dont il assurait la présidence entre 2003 et 2009.

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Au sein de l’Union Constitutionnelle (UC), la situation n’est pas meilleure, puisque trois députés élus au nom du parti ont été condamnés par la justice. C’est le cas de Yassine Radi. L’ex-Maire de Sidi Slimane qui a écopé d’un an de prison ferme en novembre 2023. Les faits qui lui sont reprochés sont la «non-dénonciation d’un crime», «non-assistance à personne en danger» et «préparation d’un lieu à des fins de prostitution».

En octobre (2023), Abdelaziz El Ouadki, député UC à la circonscription de Larache a été arrêté et incarcéré à la prison locale d’Ain Sebaa. Il était poursuivi pour «constitution d’une bande criminelle», «faux et usage de faux», «participation à la dissimulation de données publiques et privées» pouvant faciliter la matérialisation de preuves de crimes, ou la révélation de ces preuves et l’identification des mis en cause, corruption et fraude délictuelle. En mars 2023, l’ancien parlementaire UC, Babour Sghir, a été condamné à cinq ans de prison, pour «escroquerie à une entreprise d’un montant supérieur à 600.000 Dirhams». De son côté, Hassan Arif, député du même parti est actuellement poursuivi pour «malversations frauduleuses dans la gestion et le recouvrement des taxes communales et outrage à agent public».

Concernant l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), en plus d’Abdelkader El Boussairi, Vice-président du Conseil de la commune de Fès, le parlementaire de la circonscription de Nador et Président de la Commune d’Iaazanene relevant de la Province de Nador, Mohamed Aberkane, a été traduit devant la Chambre des crimes financiers, pour «corruption», «falsification de documents officiels» et «mauvaise gestion des deniers communaux». Pour ce dernier, la Cour d’appel de Fès a reporté son audience au 23 janvier 2024.  Quant à Nourredine Ait El Haj, lui aussi député USFP à la circonscription d’El Kelaâ des Sraghna, a été condamné en 2023 à deux ans de prison, dont un avec sursis, dans une affaire de «détournement de fonds publics» et de «falsification» de documents officiels.

L’inculpation ou les poursuites judiciaires enclenchées contre un grand nombre de parlementaires, soulève la question des conditions réglementaires à remplir pour être élu et la nécessité de faire preuve d’intransigeance et de tolérance zéro en matière électorale d’abord, de représentation du citoyen ensuite.

Mohcine Lourhzal

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Ministère Public

24 parlementaires dans le viseur de Hassan Daki  

Des sources concordantes font état de correspondances adressées par le Président du Ministère Public aux Procureurs du Roi près la Chambre chargée des crimes financiers à Marrakech, Casablanca, Rabat et Fès.

Hassan Daki aurait en effet demandé l’accélération des investigations concernant l’implication de 24 élus des deux Chambres du parlement, dans des affaires de faux et usage de faux, abus de pouvoir, dilapidation et détournement de fonds publics. Parmi les parlementaires soupçonnés d’être impliqués dans ces affaires, certains occupent ou auraient occupé dans le passé, des postes décisionnels au sein de certains Conseils communaux et de Régions. En 2023, le ministère public a reçu pas moins de 14 Rapports de la part de la Cour des Comptes. Ce chiffre a été annoncé par le Président du ministère public, lundi 15 janvier 2024, à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle année judiciaire. Hassan Daki a expliqué que le nombre de rapports reçus par l’Institution qu’il préside au titre de l’année écoulée (2023) a été multiplié par deux par rapport à 2022.

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