Pascal Lambolez, conseiller, expert à la Fédération des Mines et Energie (CGT) et intervenant international dans les questions de vie syndicale

«Les syndicats sont en difficulté, mais attention…»

Pascal Lambolez, conseiller, expert à la Fédération des Mines et Energie (CGT) et intervenant international dans les questions de vie syndicale

Pour Pascal Lambolez, le syndicalisme a connu des années noires. Remonte-t-il la pente ? Peut-être, mais les difficultés sont encore nombreuses. Il en parle et met en garde contre la surdité des décideurs politiques qui pousse vers une spirale de la violence. Outre son appréciation de l’actuel bras de fer entre les syndicats français et Emmanuel Macron au sujet de la réforme du code du travail, Pascal Lambolez donne un avis sur les syndicats marocains.

On assiste de plus en plus à un désengagement des syndicats. Cela s’explique-t-il par le fait que les centrales ont changé un peu d’action, en s’intéressant beaucoup plus à la politique qu’à la défense des intérêts des travailleurs? Quelles explications y donneriez-vous?

Disons qu’il y a plusieurs phénomènes. La désaffection des salariés vis-à-vis des syndicats. En France, on en a vécu la période la plus noire dans les années 90. C’est à ce moment-là qu’effectivement, on a vécu le taux le plus bas de la syndicalisation, notamment à la CGT. Aujourd’hui, on ne peut certes pas dire qu’on ait réellement remonté la pente. Mais si l’on prend l’exemple des derniers conflits que nous avons vécus en France -je ne parle pas des conflits en cours, mais des conflits précédents sur la loi dite «El Khomri» qui visait à l’époque à réformer certains droits sociaux dans les entreprises- on s’aperçoit que le taux de soutien à ce mouvement-là était très important dans les sondages. Alors que c’était une action qui était purement portée par les syndicats et plus particulièrement par la CGT. Et on a à la fois ce sentiment qu’en termes d’adhésion à une organisation syndicale, il y a en effet un désintéressement de la part des salariés.

Pour ce qui nous concerne en termes de mouvement syndical, on couvre plus de 1.300 salariés (EDF) sur notre centrale et, lors de la loi El Khomri, on est monté à un taux de 63% des grévistes.

Cela dit, la difficulté aujourd’hui avec les salariés, c’est effectivement le sentiment qu’ils ne s’engagent dans  les syndicats que quand ils ont la conviction de pouvoir y faire quelque chose. En effet, beaucoup de salariés viennent se syndiquer à la CGT en nous demandant de prendre des responsabilités (soit des mandats d’élus, soit des mandats pour représenter le syndicat quelque part). Il y a donc une volonté d’engagement et c’est cette démarche-là qu’on essaie justement de travailler en ce moment, en expliquant qu’adhérer au syndicat, c’est aussi militer. C’est un peu difficile, évidemment, mais c’est comme ça. Il y a aussi l’aspect financier qui pose également un certain nombre de problèmes à l’engagement des salariés. En effet, la précarisation, aujourd’hui, dans le monde du travail fait que l’argent se compte au plus près dans les budgets des familles, y compris celui destiné à une adhésion dans une organisation syndicale. Même si ce n’est pas très important, ça reste malgré tout un budget.

Qu’advient-il de la solidarité syndicale? Sachant que le monde des syndicats est marqué par l’existence de plusieurs centrales qui, semble-t-il, ne sont plus sur la même longueur d’onde…

Dialogue social | Accord entre le gouvernement et les syndicats d’enseignement

Le fait qu’il y ait plusieurs syndicats, c’est aussi une richesse.

En ce moment, en France, on est en bataille contre les fameuses ordonnances visant à réformer le code du travail. Au départ, sur cette bataille-là, il y avait la CGT qui est la plus ancienne confédération syndicale au monde, laquelle était déjà présente lors des grands mouvements de 1936. Malgré toutes les difficultés, la CGT est toujours à la pointe de toutes les batailles qui ont pu être menées pour défendre les acquis sociaux (congés payés, sécurité sociale, retraites, etc.) et pour gagner de nouveaux droits. La CGT était seule contre ces ordonnances, avec des organisations qui sont ce qu’elles sont, mais qui ne sont malheureusement pas très importantes. Comme FUC ou Solidaires. Aujourd’hui, malgré le comportement de son Secrétaire général -qui a été un peu ambigu au départ- le syndicat «Force ouvrière» est de plus en plus présent dans les cortèges et dans les grèves. La CFDT, quant à elle, est dans une phase de réflexion. Pour sa part, la CGC (Confédération française de l’encadrement), appelle à la grève depuis le début. Elle a affiché son opposition quant au projet de loi. Je pense qu’il y a de plus en plus de coordination entre les syndicats en France. Il y a d’ailleurs beaucoup de débats, en ce moment, entre les grandes organisations syndicales en France, sur ce projet de réforme du code du travail.

Justement, quelles sont vos critiques quant aux ordonnances visant à réformer le code du travail dans l’Hexagone?

Tout d’abord, je dois dire que nous sommes face à un président qui est le président le plus mal élu de toute l’histoire de la Constitution française. Il n’a pas été élu par rapport à son programme par une majorité de Français. Il faut rappeler qu’il a fait 23% des votants au premier tour.  Au second tour, sur le nombre des Français en âge de voter, il a fait à peine 40% aux élections. Il n’a aucune légitimité pour mettre en place une telle politique et faire passer des réformes qui vont globalement remettre en cause les principaux acquis des salariés en France, depuis maintenant plus d’une soixantaine d’années. En fait, je pense que ce gouvernement est un gouvernement qui est là pour revenir à des situations que l’on a connues avant 1945, quand le patronat se permettait tout dans les entreprises. Demain, la question qui va se poser, c’est la remise en cause de la protection sociale et du système des retraites en France. C’est déjà prévu dans le programme de ce gouvernement. En clair, c’est tout le modèle social français que ce gouvernement veut remettre en cause. Il veut créer des conditions pour faire de la France un pays libéral au niveau du droit de travail. C’est-à-dire un pays qui peut ressembler à n’importe quel pays de l’Europe de l’Est où le taux des «salariés pauvres» est extrêmement élevé. La réalité, c’est qu’on retourne vers une situation d’exploitation des salariés par  un patronat qui est revanchard.

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Est-ce à dire que le capitalisme est en train d’accomplir une poussée contre les acquis des travailleurs?

Oui. Globalement, je dirais que le capitalisme est en effet en train de réaliser, aujourd’hui, une nouvelle poussée contre les acquis des salariés. Les syndicats sont effectivement en difficulté par rapport à ces questions-là. A noter que l’on est en difficulté à la fois dans les syndicats et dans les entreprises. Mais, la plus grande difficulté, c’est le manque de répondant politique sur ces questions-là. Le problème, c’est que le politique accompagne aujourd’hui la politique capitaliste néo-libérale qui est d’ailleurs impulsée  partout, tant en Afrique qu’en Europe.

Qu’en est-il des syndicats dans tout ça?

Ecoutez, quand vous avez face à vous un gouvernement qui considère qu’il a le droit de casser la protection sociale des salariés et des familles, en les jetant dans des situations de précarité; quand vous avez en face de vous un gouvernement qui considère que le régime de retraite est trop cher (même si ce sont les salariés qui le financent), et qu’il veut entièrement le réformer; il est normal que vous n’ayez pas l’intention de baisser les bras. Le problème, c’est que ce gouvernement ne veut pas entendre raison. D’ailleurs, ça risque de se transformer en une situation de plus en plus difficile et même de plus en plus violente. Car, ce qu’il est en train de créer, c’est de la colère et pas autre chose. Il n’y a aucune volonté de la part de ce gouvernement d’être dans une situation de dialogue social. Puisqu’il a reçu des organisations syndicales et qu’il n’a pas tenu compte de ce qu’elles ont dit. Forcément, au point où on en est, il y aura une réaction des syndicats et elle est en train de se travailler. D’ailleurs, une grève des routiers a débuté lundi 25 septembre. Un autre blocage aura lieu dans d’autres secteurs. D’autres salariés se sont aussi donné rendez-vous, jeudi 28 septembre, pour une nouvelle journée de grève et d’action.  On ne va pas se contenter de descendre dans la rue avec des drapeaux, mais on va reporter aujourd’hui la lutte sur les grèves dans les entreprises. Je pense qu’on va se retrouver dans une situation qui  ressemblera, de plus en plus -et très rapidement- à un blocage économique.

Quel regard portez-vous sur l’action syndicale au Maroc et aussi sur la méthodologie du dialogue social avec le gouvernement «Benkirane» ou avec l’actuel Exécutif?

Je n’ai pas la prétention d’être un fin connaisseur de la situation sociale au Maroc. Je pense qu’aujourd’hui, il y a au Maroc des organisations syndicales qui sont dans une dynamique de développement et de déploiement et qui s’inscrivent dans des démarche revendicatives qui nous plaisent beaucoup à la CGT. Je pense qu’il y a des convergences dans nos manières de penser et nos manières de fonctionner. Et donc, je crois qu’aujourd’hui, vous avez des organisations syndicales qui sont en train de prendre une place de plus en plus importante.

Propos recueillis par Naîma Cherii

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