J’ai peur de finir comme mon frère

Mouad, 19 ans, est étudiant en ingénierie. Etudier ou ne pas étudier? C’est toute la question pour lui. Le deuil l’a persuadé que les grandes études ne garantissent pas l’emploi. Il nous raconte comment son frère est mort…

«Je suis jeune, c’est vrai, mais je ne me sens pas bien dans cette vie. J’ai des crises d’angoisse terribles. Ce qui m’affecte, c’est que je redoute de perdre mon temps à étudier et que, même diplômé, mon avenir soit plombé. Bien que je fasse des efforts, je n’arrive pas à oublier mon grand frère.

Il était fraîchement diplômé, affichant un optimisme inébranlable, doublé de toutes les ambitions du monde qu’il a vu dégringoler une à une. Durant deux années, il n’avait cessé d’envoyer demandes d’emploi sur demandes. Sans jamais laisser filer aucune offre sur les journaux, celles tirées des sites et cabinets de recrutements, parfaites pour son profil et même celles qui n’avaient rien à voir. Tous ses amis racontaient que, sans piston ou fric, rien n’était possible. Il faisait fi de ces qu’en-dira-t-on en s’accrochant. Pourtant, il n’avait jamais eu de réponse positive, même après un nombre sidérant d’entretiens.

C’est révoltant que personne ne se soucie de l’espoir déchu qui terrasse les demandeurs d’emploi, ni des dépenses qu’ils engagent. Mon frère avait fini par comprendre que tout n’était que du pipeau. Parce que, disait-il, les jobs étaient vendus aux plus offrants et ce, à la source même. Selon lui, les circuits devaient forcément prendre leur part pour rendre crédibles les manigances. En tous cas, si ce n’était pas vrai, affirmait-il, pourquoi des gens au niveau plus que médiocre qu’il connaissait et qui avaient postulé en même temps que lui, avaient été embauchés? Je suis témoin, j’ai vu mon frère pleurer comme une fille durant des semaines à cause de ces injustices. Même nos parents ne l’avaient pas soutenu. Pour eux, il délirait complètement, ses échecs provenaient d’ailleurs. Ils lui reprochaient l’exubérance de son caractère, sa nervosité et sa tendance à être trop sûr de lui. Cela l’avait rendu fou de rage au départ puis, peu à peu, détruit. Avec le temps, sa colère s’est convertie en l’acceptation d’une poisse hors du commun.

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Je me souviens qu’il avait perdu son entrain. Il passait le plus clair de son temps à ne rien faire d’intéressant, sauf de traîner avec une bande d’amis logés à la même enseigne que lui ou pire même. Bien sûr, il m’avouait que c’était très insultant pour lui d’être nourri et blanchi à l’œil, surtout à son âge. Mais surtout d’avoir à quémander des sous et de se sentir comme un moins que rien abusant de la bonté des parents. De toute façon, certaines réflexions désobligeantes de leur part étaient inévitables. Elles avaient l’effet d’une décharge électrique sur son orgueil et, paradoxalement, annihilaient encore plus chez lui toute envie de faire un effort. C’est cela qui le mena directement à sa perte définitive, jusqu’à y laisser la vie.

Pour délivrer son mental, il s’était mis à consommer de la drogue. Vu qu’il n’avait pas les moyens de s’en payer, il s’était livré au deal. Le milieu dans lequel il trempait en était friand, mais sans le courage d’aller s’en procurer eux-mêmes. Mon frère, c’est certain, y avait vu le profit facile sur plusieurs plans. Que demander de plus? Il consommait, vendait et s’amusait. Nous ne le voyions presque plus, il désertait notre cocon familial, pour lui, une madeleine de Proust amère. D’autant plus que les plans, soirées ou sorties ne stoppaient jamais. Ensuite, il a visé plus haut: les drogues dures. Très vite, de l’argent, il en pleuvait jusqu’à ne plus savoir quoi en faire. Il avait une voiture de ministre, des montres, des chaussures et des vêtements signés. Il multipliait les voyages et nous promettait un changement de vie radical. Nous lui posions des questions sur l’origine de ces signes ostentatoires de richesse. Il nous rassurait en nous expliquant la confiance que son ami étranger immensément riche avait placée en lui et qu’il s’occupait de traiter ses affaires durant son absence.

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C’est vrai, nous ne l’avons jamais vu, cet ami et pour cause, il n’avait jamais existé. Mais cela nous ne le saurons que très tard ou trop tard. Rien n’a duré, pas même mon frère qui s’est tué dans un accident de la circulation. Ce jour-là, selon les dernières personnes qui l’avaient vu, il était complètement défoncé et saoul et ne voulait pas rester en leur compagnie. Il avait fallu un drame pour nous dévoiler ses déboires. Qui l’aurait cru? Mon frangin était pourtant un gars qui avait toujours été tranquille, très obéissant et bon élève. Il a sombré dans l’univers de la drogue, s’est tué parce qu’il n’avait pas réussi à décrocher un job. C’est aussi triste que ça! Moi, aujourd’hui, je souffre non seulement de cette perte, mais aussi de la terreur de me trouver, dans un avenir si proche, dans la situation qui l’a poussée aux extrêmes. Je n’ose jamais aborder le sujet avec quiconque, mais cela me travaille tout le temps».

Mariem Bennani

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