Pas le droit de donner la vie?

Ghita a 22 ans. Elle est née trisomique. Elle s’est mariée à 18 ans. D’abord heureuse dans sa vie de couple, elle ne l’est plus aujourd’hui. En cause, son mari qui rejette son désir d’enfanter. Une vraie douleur dans sa vie de femme.

«Quand je suis née, mon père et sa famille n’ont pas voulu de moi. Un bébé mongolien dans leur famille, c’était une catastrophe. Ils disaient que ma mère avait sûrement «apporté» cette grossesse dissimulée, d’une liaison précédente. Ils s’appuyaient sur le fait que je sois née tout de suite après la célébration du mariage. Mon ignoble père joua à fond leur jeu de médisance malhonnête pour se débarrasser de moi et de ma mère. Il s’était mis à battre ma mère en nous séquestrant, alors que je suis née avec de graves complications cardiaques et que je devais être hospitalisée de toute urgence. Cette histoire sordide ne s’arrêta pas à cela seulement. Mon père, sans honte, avait extorqué une somme considérable à ma grand-mère pour se défaire de cette union. Il avait même osé exiger plus d’argent encore pour un divorce définitif: il avait le droit de revenir sur sa décision. Il soutenait qu’il avait été pris pour un imbécile et que, par conséquent, il devait être dédommagé royalement.
Il a fallu encore une fois que ma grand-mère cède à ce qu’il réclamait. Elle le fit sans hésiter, malgré les réticences de son avocat. Elle avait bien compris les enjeux de la brutalité qu’il exerçait sur ma mère et ce, depuis le début. Elle disait seulement que, si Dieu avait pourvu sa fille d’un enfant comme moi, il fallait donc poursuivre la volonté du Tout-Puissant, tant pis pour eux. Pour effacer toute trace dans nos vies de cette racaille, ma grand-mère, qui est une femme forte, nous fit déménager pour aller vivre ailleurs, dans autre une ville. Si elle n’avait pas été là, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de nous. On ne le revit plus jamais, Dieu merci. Heureusement, nous n’avons jamais eu de souci financier: elle était héritière, veuve et n’avait que deux enfants. J’étais très attachée à ma Mima, ma grand-mère, qui s’est toujours occupée de moi avec amour, bonté et générosité. Ma mère, dont seule la présence me réconfortait, avait repris ses études. De ce fait, elle n’avait pas beaucoup de temps à me consacrer. D’autant que Mima l’y encourageait vivement en espérant qu’elle puisse oublier le drame qu’elle avait vécu. A mon septième anniversaire et ma dernière opération chirurgicale, ma mère a rencontré un autre homme, un étranger avec qui elle s’est remariée.
Mima s’est opposée fermement à l’éventualité que j’aille vivre aux côtés de ma mère et de son mari. Elle ne supportait pas l’idée que je puisse vivre loin d’elle. J’étais une enfant fragile, capricieuse et souvent malade. Pour contrer l’idée de ma mère qui s’inquiétait, du fait de mon incapacité de suivre une quelconque scolarité, Mima fit venir une institutrice à domicile. Cette femme, qui avait une infinie patience durant des années, m’a appris à écrire, lire, chanter et dessiner. J’allais aussi de temps à autre, les après-midi, jouer avec d’autres enfants dans une institution privée. Mais, je n’étais pas facilement acceptée et souvent même rejetée. Ça ne m’ennuyait pas. Je m’imposais ou alors je jouais toute seule. On avait essayé de me mettre à l’école, mais ce fut un réel cauchemar ; je n’ai jamais voulu y retourner. J’ai pu, grâce à Mima, grandir à mon rythme dans le bonheur et l’insouciance. Pendant l’adolescence, Mima était ravie par mon goût très prononcé pour la coquetterie et la cuisine. Elle m’achetait tout ce dont j’avais envie. Elle s’amusait à être mon modèle pour mon perfectionnement en maquillage et mon cobaye pour tous mes essais de mets et gâteaux. Elle était si fière de moi. Beaucoup de femmes dans son entourage la félicitaient d’avoir fait de moi une jeune fille jolie et bien éduquée.
A l’âge de 18 ans, j’ai été demandée en mariage par un fonctionnaire de 35 ans, pour mon plus grand bonheur. J’avais assisté à des mariages avec Mima et cela me fascinait. J’espérais pouvoir moi aussi vivre cela, ces séances grandioses d’habillage et de maquillage, de fanfare, de youyous. Mima ne s’y opposa pas, mais fit coucher quelques conditions sur notre acte de mariage. Depuis quatre ans, je vis comme une princesse avec mon mari qui est un homme tendre, affectueux et qui m’adore. Il jure que ma compagnie est ce qu’il y a de mieux au monde. Depuis que nous avons reçu la cousine de mon mari, son époux et leur bébé, il y a quelque temps, j’ai ressenti une jalousie pénible. Je veux moi aussi avoir un bébé. Cette idée n’enchante pas mon mari qui, depuis, essaie par tous les moyens de m’en dissuader. Il prétend que ma santé est fragile, qu’il ne supporterait pas de me voir souffrir. Il dit aussi que cela me rendrait vilaine et que je n’aurais plus le temps de me pouponner. Et plus bizarre encore, qu’il ne serait pas heureux que je m’occupe de quelqu’un d’autre que lui. Pas convaincue par ses dires et contrariée, je résiste et en parle tout le temps. Mima, elle aussi, est contre cette idée de bébé et l’a rejoint dans ses arguments. Pour me consoler, elle affirme que, si elle-même avait eu quelques années de moins, elle se serait chargée avec bonheur et joie d’élever notre enfant comme elle l’avait fait pour moi. Leurs dires m’indiffèrent, d’autant que mon envie s’amplifie. Je n’arrête pas de me répéter:  »Je veux avoir un enfant, m’en occuper toute seule et puis c’est tout! ». Je désire plus que tout avoir une descendance à chérir. La dernière trouvaille de mon mari a été de m’acheter un grand poupon. Il raconte que ce jouet pleure et mange, que je peux le laver, lui mettre des couches, les changer. Et que monsieur serait très heureux que je m’en occupe bien! Comment dois-je interpréter ce geste? De quoi ont-ils peur, mon mari et ma grand-mère? Ont-ils peur qu’une trisomique donne naissance à un trisomique? Les trisomiques n’ont donc pas le droit de donner la vie? On ne leur laisse aucune chance ? Les progrès scientifiques ne permettent-ils pas de déceler les anomalies d’un fœtus? Si c’est le cas, même la loi permet l’interruption de grossesse. Alors, quoi? Dois-je me plier à leur volonté et renoncer à la maternité? J’en crève chaque jour un peu plus».

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Mariem Bennani

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Un commentaire

  1. Je viens de lire cette histoire avec un immense sentiment d’une femme forte malgré les épreuves, je pense que son mari et sa « Mima » ont peur pour sa santé surtout et qu’elles subissent des épreuves … Ils veulent qu’elle soit heureuse tout simplement mais apparemment cette femme est plus que forte que ses épreuves passés l’ont rendu la femme d’aujourd’hui. Elle devrait aller consulter un médecin avec son mari et sa « Mima » qui pourra répondre à toutes leurs questions et la mieux conseiller après lecture de son dossier médical… Et qui sait Inch Allah un petit bébé viendra….

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