Emergence, émergences… Et nous, en silence, nous comparions !

Vous est-il déjà arrivé de sortir d’une conférence en regrettant que tous les décideurs du pays n’y aient pas assisté ? Ce mardi 5 juin, un grand nombre de décideurs étaient présents à la conférence sur l’émergence (processus mondial, réalités locales – le cas de la Turquie sous la loupe et celui du Maroc en filigrane). Mais pas tous, hélas. Si tous les membres du gouvernement y avaient assisté –Abdelilah Benkirane en tête- ils n’auraient pas perdu leur temps. Invités par Driss Bencheikh (non pas au nom de Centrale Laitière, mais à celui de l’association «Dauphine Alumni Maroc» des anciens lauréats de l’université dauphinoise), les participants ont pu écouter deux intervenants, l’un français, l’autre turc. Et il y en avait des enseignements à tirer pour le Maroc !

 

Avec Alain Simon, juriste et économiste qui a fondé en 1985 un cabinet de consultants -le Groupe Phileas- spécialisé dans la globalisation et l’internationalisation des activités et des comportements, le démarrage était déjà désarçonnant pour ceux qui croyaient qu’il suffisait qu’un pays le décide –et y travaille- pour devenir «émergent». Il est vrai que le conférencier a choisi l’approche géopolitique. Tel l’historien Michelet (dont la célèbre phrase «Messieurs, la Grande Bretagne est une île. J’en ai fini avec la Grande Bretagne» résume, depuis, l’importance de la géopolitique), Alain Simon a expliqué, tout au long de son intervention que l’émergence était d’abord la conséquence du contexte géopolitique. Liant l’émergence des pays à leur part dans le commerce international et remontant jusque avant les années 40, il a montré comment certaines puissances avaient émergé et, surtout, comment les Etats Unis avaient maîtrisé le jeu, encourageant l’émergence de pays qu’ils voulaient, quand ils le voulaient (ainsi, la hausse voulue du dollar, en 1985, a-t-il soutenu, a permis l’émergence de la Chine).

Selon A. Simon, depuis quelques années, une contradiction est apparue. Alors que jamais le monde n’a été aussi internationalisé,

jamais l’export n’a offert aussi peu de perspectives. Il s’est constitué des «citadelles commerciales». La nouvelle solution, alors ? Investir à l’intérieur des pays candidats à l’émergence… C’est ce qui se fait aujourd’hui. Le conférencier s’est quand même voulu rassurant: «le Maroc représente un intérêt géopolitique», a-t-il dit. Cependant, l’assistance s’était fait son opinion…

Mais c’est l’exposé du second orateur qui allait enlever aux invités toutes leurs illusions sur l’émergence du Maroc ! Ahmet Insel, économiste, politologue, professeur à l’université de Galatasaray et de Paris I, n’a rien fait de plus que d’expliquer les forces et fragilités de la Turquie sur la voie de l’émergence. Néanmoins, plus il détaillait le cas turc, plus s’imposait une vérité cruelle: l’émergence du Maroc est encore loin.

En 10 ans, le PIB de la Turquie a été multiplié par 3. Il est aujourd’hui de 1118 milliards de dollars (il y a 10 ans, à peine, la Turquie avait le même PIB que celui, actuel, du Maroc). Son PIB la classe 15ème dans le G20, passant même devant l’Allemagne (les pays étant classés au G20 selon leur PIB). A quoi cela est-il dû ? Ahmet Insel explique.  Il y a eu 3 grands changements. A partir de l’été 2001, la Turquie a mis en place un programme budgétaire très strict. Puis elle a axé ses efforts sur la réduction de la dette –et donc du taux d’intérêt réel- plutôt que sur celle du déficit (qui était de 4%). Enfin, elle a misé sur l’éducation. Une scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans a fait qu’aujourd’hui, l’alphabétisation chez les Turcs de moins de 45 ans est de 100%. A partir de l’an prochain, la scolarité sera obligatoire pendant 10 ans. Autres données économiques qui font de la Turquie ce qu’elle est: la monnaie turque est convertible depuis 1989 et il n’y a pas de création monétaire, de même qu’il n’y a pas de comptes extra-budgétaires, insiste A. Insel qui dit, au passage, avoir jeté un œil sur la loi de Finances marocaine et avoir noté qu’au Maroc, il existe des Comptes spéciaux du Trésor… (1/5ème des dépenses).

PJD : Pas de 3ème mandat pour Benkirane à la tête du parti

La classe moyenne est le moteur principal de la croissance (dont le taux est de 8,5% en 2012). Une croissance qui table sur la consommation intérieure. Le pouvoir d’achat en Turquie est de 14.000 dollars (au Maroc, il est de 4.500 dollars. Il n’y a pas photo !). La Turquie table aussi sur l’investissement. A. Insel parle d’une «conception pragmatique» qui consiste à soutenir une bourgeoisie émergente, conservatrice, mais avec obligation de résultats. Les entreprises qui bénéficient de marchés doivent être performantes, le gouvernement devenant très exigeant sur la contrepartie. Et puis, en Turquie, il n’y a pas de subventions. «Le Maroc me rappelle la Turquie des années 70», a lancé le conférencier. Ce que le Maroc dépense pour la compensation, la Turquie le dépense pour l’éducation.

Enfin, il y a l’élément confiance. Dans les années 90, la Turquie avait le taux de pessimisme le plus élevé. Aujourd’hui, elle a le taux d’optimisme le plus élevé. Le citoyen turc croit en l’avenir et en la «Grandeur nationale». Tous les électeurs potentiels sont inscrits et le taux de participation aux élections est des plus élevés (+ 80%). Bien sûr, il y a aussi les éléments de fragilité. Notamment le taux d’épargne de la Turquie qui est faible, le déficit des opérations courantes… Ou encore les fragilités d’ordre politique: problème kurde, problème chypriote… La résolution du problème chypriote est indispensable, lance A. Insel (Chypre est membre de l’UE, or, la Turquie qui veut intégrer l’UE occupe Chypre). Mais la Turquie peut se targuer d’être un pays émergent. Pour le Maroc, il y a du travail… Isuffit de comparer les chiffres.{socialbuttons}

Vous est-il déjà arrivé de sortir d’une conférence en regrettant que tous les décideurs du pays n’y aient pas assisté ? Ce mardi 5 juin, un grand nombre de décideurs étaient présents à la conférence sur l’émergence (processus mondial, réalités locales – le cas de la Turquie sous la loupe et celui du Maroc en filigrane). Mais pas tous, hélas. Si tous les membres du gouvernement y avaient assisté –Abdelilah Benkirane en tête- ils n’auraient pas perdu leur temps. Invités par Driss Bencheikh (non pas au nom de Centrale Laitière, mais à celui de l’association «Dauphine Alumni Maroc» des anciens lauréats de l’université dauphinoise), les participants ont pu écouter deux intervenants, l’un français, l’autre turc. Et il y en avait des enseignements à tirer pour le Maroc !

Avec Alain Simon, juriste et économiste qui a fondé en 1985 un cabinet de consultants -le Groupe Phileas- spécialisé dans la globalisation et l’internationalisation des activités et des comportements, le démarrage était déjà désarçonnant pour ceux qui croyaient qu’il suffisait qu’un pays le décide –et y travaille- pour devenir «émergent». Il est vrai que le conférencier a choisi l’approche géopolitique. Tel l’historien Michelet (dont la célèbre phrase «Messieurs, la Grande Bretagne est une île. J’en ai fini avec la Grande Bretagne» résume, depuis, l’importance de la géopolitique), Alain Simon a expliqué, tout au long de son intervention que l’émergence était d’abord la conséquence du contexte géopolitique. Liant l’émergence des pays à leur part dans le commerce international et remontant jusque avant les années 40, il a montré comment certaines puissances avaient émergé et, surtout, comment les Etats Unis avaient maîtrisé le jeu, encourageant l’émergence de pays qu’ils voulaient, quand ils le voulaient (ainsi, la hausse voulue du dollar, en 1985, a-t-il soutenu, a permis l’émergence de la Chine).

Selon A. Simon, depuis quelques années, une contradiction est apparue. Alors que jamais le monde n’a été aussi internationalisé,

Manuel Valls au Maroc

jamais l’export n’a offert aussi peu de perspectives. Il s’est constitué des «citadelles commerciales». La nouvelle solution, alors ? Investir à l’intérieur des pays candidats à l’émergence… C’est ce qui se fait aujourd’hui. Le conférencier s’est quand même voulu rassurant: «le Maroc représente un intérêt géopolitique», a-t-il dit. Cependant, l’assistance s’était fait son opinion…

Mais c’est l’exposé du second orateur qui allait enlever aux invités toutes leurs illusions sur l’émergence du Maroc ! Ahmet Insel, économiste, politologue, professeur à l’université de Galatasaray et de Paris I, n’a rien fait de plus que d’expliquer les forces et fragilités de la Turquie sur la voie de l’émergence. Néanmoins, plus il détaillait le cas turc, plus s’imposait une vérité cruelle: l’émergence du Maroc est encore loin.

En 10 ans, le PIB de la Turquie a été multiplié par 3. Il est aujourd’hui de 1118 milliards de dollars (il y a 10 ans, à peine, la Turquie avait le même PIB que celui, actuel, du Maroc). Son PIB la classe 15ème dans le G20, passant même devant l’Allemagne (les pays étant classés au G20 selon leur PIB). A quoi cela est-il dû ? Ahmet Insel explique.  Il y a eu 3 grands changements. A partir de l’été 2001, la Turquie a mis en place un programme budgétaire très strict. Puis elle a axé ses efforts sur la réduction de la dette –et donc du taux d’intérêt réel- plutôt que sur celle du déficit (qui était de 4%). Enfin, elle a misé sur l’éducation. Une scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans a fait qu’aujourd’hui, l’alphabétisation chez les Turcs de moins de 45 ans est de 100%. A partir de l’an prochain, la scolarité sera obligatoire pendant 10 ans. Autres données économiques qui font de la Turquie ce qu’elle est: la monnaie turque est convertible depuis 1989 et il n’y a pas de création monétaire, de même qu’il n’y a pas de comptes extra-budgétaires, insiste A. Insel qui dit, au passage, avoir jeté un œil sur la loi de Finances marocaine et avoir noté qu’au Maroc, il existe des Comptes spéciaux du Trésor… (1/5ème des dépenses).

La classe moyenne est le moteur principal de la croissance (dont le taux est de 8,5% en 2012). Une croissance qui table sur la consommation intérieure. Le pouvoir d’achat en Turquie est de 14.000 dollars (au Maroc, il est de 4.500 dollars. Il n’y a pas photo !). La Turquie table aussi sur l’investissement. A. Insel parle d’une «conception pragmatique» qui consiste à soutenir une bourgeoisie émergente, conservatrice, mais avec obligation de résultats. Les entreprises qui bénéficient de marchés doivent être performantes, le gouvernement devenant très exigeant sur la contrepartie. Et puis, en Turquie, il n’y a pas de subventions. «Le Maroc me rappelle la Turquie des années 70», a lancé le conférencier. Ce que le Maroc dépense pour la compensation, la Turquie le dépense pour l’éducation.

Enfin, il y a l’élément confiance. Dans les années 90, la Turquie avait le taux de pessimisme le plus élevé. Aujourd’hui, elle a le taux d’optimisme le plus élevé. Le citoyen turc croit en l’avenir et en la «Grandeur nationale». Tous les électeurs potentiels sont inscrits et le taux de participation aux élections est des plus élevés (+ 80%). Bien sûr, il y a aussi les éléments de fragilité. Notamment le taux d’épargne de la Turquie qui est faible, le déficit des opérations courantes… Ou encore les fragilités d’ordre politique: problème kurde, problème chypriote… La résolution du problème chypriote est indispensable, lance A. Insel (Chypre est membre de l’UE, or, la Turquie qui veut intégrer l’UE occupe Chypre). Mais la Turquie peut se targuer d’être un pays émergent. Pour le Maroc, il y a du travail… Isuffit de comparer les chiffres.

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