Coup d’Etat médical contre Bouteflika ?

Grand débat en Algérie et dans les chancelleries… Et conséquences pour le Maroc.

A Bouteflika Ph AFP

Samedi 27 avril dernier, le Président algérien, Abdelaziz Bouteflika, était transféré en France, pour y être hospitalisé au Val-de-Grâce à Paris,suite à un accident vasculaire cérébral. Le communiqué officiel qui a annoncé cela, à Alger, a été suivi d’autres précisions tendant à rassurer sur l’état de santé du Président. L’«ischémie transitoire», à l’origine de son malaise, a ainsi été présentée comme étant sans gravité et sans séquelles et son transfert en France expliqué par une demande de ses médecins à seule fin d’examens complémentaires.
Mais au lieu de rassurer, la démarche –plutôt exceptionnelle en Algérie, l’hospitalisation des grands responsables relevant généralement du confidentiel- a aussitôt mobilisé médias et opinion publique du pays et, par-delà, chancelleries et observateurs internationaux.

Un tir groupé

En Algérie, ce sont les médias connus pour être les plus proches de la Sécurité militaire qui ont ouvert le feu les premiers. Un feu nourri. Le tir groupé portait sur un seul point : l’impossibilité désormais pour Abdelaziz Bouteflika de briguer un 4ème mandat présidentiel.
Il est vrai que le sujet faisait débat depuis plusieurs mois.
Porté à la présidence du pays en 1999, Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, entamait la dernière année de son troisième mandat de chef d’Etat et, à moins d’un an de l’élection présidentielle de 2014, les rumeurs allaient bon train sur ses intentions de briguer un 4ème quinquennat.
Certains de ses proches avaient même pris les devants, annonçant leur soutien à un nouveau mandat du Président. C’était le cas du ministre de l’Environnement et secrétaire général du Mouvement populaire algérien (MPA), Amara Benyounes et du ministre des Travaux publics et chef de file du parti TAJ (Tajamoô Amal Jazair), Amar Ghoul. Deux petits partis qui n’auraient, en tout état de cause, pas suffi à assurer la victoire au Président candidat à sa propre succession. Ce qu’il lui aurait fallu, c’est l’appui du FLN (qu’il préside depuis 2005) et du RND, les deux grands partis sur lesquels il s’est appuyé depuis 1999. Or, ces deux partis, précisément, sont minés par des crises internes.

Le duel DRS-clan Bouteflika

Et ce qu’il lui aurait fallu, surtout, c’est un nouvel appui du DRS (Département du renseignement et de la Sécurité) et de son tout puissant et inamovible chef, le Général Mediène, alias «Tewfik».
Mais les deux hommes se livrent, depuis quelques temps, une guerre des tranchées que A. Bouteflika n’est pas en mesure de gagner face à son redoutable adversaire.
Un adversaire, sans doute, mais un nouvel adversaire… Car tous les observateurs que le pouvoir algérien intéresse, savent que sans la bénédiction du Général Mediène, Abdelaziz Bouteflika n’aurait pas pu accéder à la présidence en 1999. De même que c’est suite à un deal entre Mediène et Bouteflika que ce dernier a pu rempiler aux élections de 2004, pour un deuxième mandat. Le deal ayant consisté à évincer le général Lamari et à se partager le pouvoir.
Les prémices de la discorde, comme l’explique une excellente analyse du professeur Jeremy Keenan, de l’école des études orientales et africaines, université de Londres (voir le quotidien d’Algérie :  http://www.lequotidienalgerie.org/2010/09/30/general-toufik-god-of-algeria/), remontent au début du troisième mandat que Abdelaziz Bouteflika a décroché après avoir fait modifier la constitution qui limitait les mandats présidentiels à deux seulement. Juste après son élection, en 2009, son frère Saïd Bouteflika est entré en scène, se comportant comme le dauphin du Président et son successeur assuré. Les liens qu’il s’est alors mis à tisser, tant avec les milieux d’affaires qu’avec les sphères politiques, étaient perçus par le patron du DRS comme autant de remises en cause du partage du pouvoir, à l’avantage des Bouteflika.

Les fantômes du passé

Saïd Bouteflika a semblé même narguer, voire menacer le chef du DRS, lorsqu’il s’est rapproché de l’ex-patron du Général Mediène, le Général Mohamed Betchine. Le même Général Betchine que le Général Liamine Zeroual (alors Président) avait tenté d’utiliser pour réduire les pouvoirs du Général Mediène en 1996 et en 1997 et sur lequel les foudres du DRS s’étaient abattues, le broyant jusqu’à le forcer à la démission.
Pour le Général Mediène, il n’est pas encore né, celui qui lui tiendrait tête, dans son pays ! Le clan Bouteflika l’a encore vérifié, à ses dépens. Et ce, à travers de nombreuses affaires de corruption –savamment dépoussiérées- qui ont éclaboussé, voire mis en cause, nombre des siens. Notamment, l’affaire Sonatrach qui a conduit à l’arrestation de plusieurs hauts cadres et à la fuite en Suisse de l’ex-ministre de l’énergie, Chékib Khélil ; celle des travaux publics qui touche le ministre (et fervent soutien de Bouteflika) Amar Ghoul, N°1 du parti TAJ ; ou encore, toutes celles au milieu desquelles s’est trouvé empêtré Saïd Bouteflika, le frère cadet. Ce qui aurait conduit à son limogeage du poste de conseiller du Président. Un licenciement qui serait intervenu, cette semaine-même, juste avant l’accident cardio-vasculaire de celui qui a dû prendre la décision.

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Décréter l’incapacité du Président ?

Dans cette ambiance de guerre des étoiles, où les soupçons de «complotite aigue» se développent chez les uns, comme chez les autres, il n’est pas étonnant que les accusations fusent et que toute lecture de la vie politique algérienne se fasse à cette aune.
Ainsi, lors d’un entretien avec l’écrivain et journaliste algérien, Abid Charaf, la chaine de télévision qatarie «Al Jazeera» qui cherchait à en savoir plus sur l’accident de santé du Président Bouteflika, s’est interrogée sur l’éventualité d’un coup d’Etat médical ( http://www.youtube.com/watch?v=ON2xVlqoyu8).
En réalité, les médias algériens ont été tellement prompts à écarter toute future candidature de A. Bouteflika, que nombreux ont été ceux qui en ont conclu que le coup d’Etat médical n’était pas «loin»… L’antécédent du coup d’Etat médical contre le défunt Président tunisien Lahbib Bourguiba, banalise même l’idée.
D’autant qu’avant son accident vasculaire cérébral, une dizaine de partis politiques avaient appelé l’armée à mettre en oeuvre l’article 88 de la Constitution et décréter l’incapacité de Abdelaziz Bouteflika à exercer la fonction de président.
De plus, la majorité des commentaires de la presse algérienne a convergé vers l’idée d’un retrait de la vie politique du Président Bouteflika. Les uns se demandant s’il n’allait pas lui-même décider de ne plus se porter candidat. Les autres allant plus loin et se demandant (lui suggérant ?) s’il n’était pas plus honorable pour lui d’appeler à des élections anticipées et de partir avant même la fin de son actuel mandat.

Quelques précautions contre la trahison

Ses partisans ont beau le défendre, assurant que ses soucis de santé sont minimes et qu’il est totalement en mesure de poursuivre son sacerdoce, ses adversaires, eux, maintiennent que son état de santé ne lui permet plus de diriger le pays. Ils en veulent pour preuve qu’il était quasiment absent de la scène politique, depuis près d’une année.
Cependant, les observateurs notent que le Président Bouteflika –qui n’est pas né de la dernière pluie- a également pris la mesure du climat de «complotite» et s’est entouré de quelques précautions.
Ainsi, il a décidé de reconduire Boualem Bessayeh à la tête du Conseil constitutionnel, alors que la constitution algérienne précise que «le président de la République désigne le président du Conseil Constitutionnel pour une durée de 6 ans non renouvelable» et que les six années du mandat de Bessayeh ont expiré. Bouteflika –qui a vu comment le Conseil constitutionnel avait légitimé le départ de Chadli Bendjedid et l’arrêt du processus électoral, en 1992, tient en effet à laisser à la tête de cette haute institution son homme de confiance et ex-directeur de cabinet (du temps où il était ministre des Affaires étrangères).
De même, c’est un autre homme de confiance qui préside le Sénat: Abdelkader Bensalah. Et c’est le Président Bouteflika lui-même qui occupe le fauteuil du ministre de la défense…
Cela sera-t-il suffisant pour le maintenir au pouvoir ? Les prochains mois le diront.

Pas de Putsch qui tienne ?

Reste que si Abdelaziz Bouteflika devait quitter le pouvoir, les questions qui se poseraient alors seraient de savoir qui le remplacerait et comment s’effectuerait ce remplacement ?
Les plus réalistes disent que «le système» se chargera de trouver et d’installer le remplaçant. Le politologue Rachid Grim confiait à la presse qu’«il ne serait pas étonnant qu’ils nous sortent du chapeau une personne qu’ils auraient préparée et qui aurait fait l’objet de négociations. Dans ce cas, le futur candidat sera porté par tous les clans au pouvoir et il passera comme une lettre à la poste».
Les optimistes, eux, pensent que le départ de Bouteflika permettrait à l’Algérie d’entrer dans la transition démocratique. Pour le politologue Rachid Tlemçani «Le champ politique sera ouvert pour la première fois dans l’Histoire de l’Algérie. Le cabinet noir ne sera plus en mesure de choisir de candidat du régime. L’armée va se diviser en plusieurs groupes» (déclarations confiées à la presse).
Ils ne sont pas nombreux à faire ce pari…
Ce qui est sûr, c’est que l’opposition réclame le retour à la limitation du nombre de mandats présidentiels que le candidat Bouteflika avait supprimée en 2008.
Mais peut-être qu’il ne faut pas encore vendre la peau de l’ours…
De l’hôpital parisien où il se trouve, le Président Bouteflika a adressé une lettre à ses concitoyens. Il y écrit: «Alors que je continue de recevoir des soins médicaux, je tiens à remercier Dieu Tout Puissant de m’avoir permis de me rétablir et d’être à présent sur la voie de la guérison», ajoutant: «Il m’est très difficile, alors que je me trouve dans un hôpital à l’étranger, de ne pas être pour la première fois, aux côtés du peuple algérien pour célébrer la Fête des travailleurs et assister aux finales de la Coupe d’Algérie de football et de la Coupe d’Algérie militaire». Et de conclure: «Quelles que soient les circonstances, je partagerai avec les filles et les fils de ma patrie leur joie en cette journée»…
Pour lui et ses communicateurs, il n’y a pas de putsch médical qui tienne.

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Quelles conséquences pour le Maroc ?

 

Un éventuel retrait de la vie politique de Abdelaziz Bouteflika, changerait-il quelque chose aux relations de l’Algérie avec le Maroc ? La réponse semble évidente: non.
Ce n’est pas lui, ni son clan qui tiennent véritablement les rênes du pays.
A son arrivée au pouvoir, en 1999, Bouteflika pouvait peut être imprimer une nouvelle orientation aux relations bilatérales entre les deux Etats voisins.
C’est d’ailleurs, ont rapporté des sources proches de la Présidence, ce qu’il aurait fait si le Maroc l’avait fortement soutenu, au moment où il mettait le pied à l’étrier et où l’équilibre des forces en Algérie se négociait encore.
Mais le Maroc aussi entamait une transition. En 1999, le changement de règne, suite à la disparition de Feu SM Hassan II, ne permettait pas de se préoccuper d’autre chose que de questions internes.
Peut-être que cela lui a sauvé la vie ? L’on a vu comment a fini un Président qui a voulu décider d’un rapprochement de l’Algérie avec le Maroc ! Paix à son âme, le Président Boudiaf a été assassiné de sang-froid, six mois à peine après son investiture…
Tous les politologues sont arrivés à la même conclusion: les généraux qui ont le pouvoir en mains en Algérie et que coiffe le DRS, pensent n’avoir aucun intérêt à un rapprochement avec le Maroc.
Les institutions internationales et les pays amis peuvent bien leur marteler que le non-Maghreb fait perdre à chaque pays de la région au moins 2 points de PIB, ce n’est pas leur priorité.
C’est lorsque changera la vision des maîtres d’Alger, sur l’impact d’une paix totale avec le Maroc, que les relations bilatérales changeront, pour se normaliser et prendre un nouvel élan. Pourtant, l’avant-goût de ce que serait la situation s’il y avait entente entre les deux pays a été donné plusieurs fois. Notamment, depuis le «Printemps arabe», pour ne prendre que les expériences les plus récentes…
Le temps résoudra peut-être cela ?

 

La saga des Présidents algériens depuis l’indépendance

A l’indépendance de l’Algérie, en 1962, le premier à être porté à la présidence du pays fût l’un des grands combattants de l’indépendance, Ahmed Ben Bella qui ne resta à la tête de l’Etat que trois ans (de 1962 à 1965), avant d’être destitué par le coup d’État de juin 1965, fomenté par celui qui était à l’époque vice-premier ministre: le colonel Houari Boumediène, chef suprême de l’armée de libération nationale pendant la guerre d’indépendance.
Ce dernier a exercé le pouvoir de 1965 à 1978, avant de mourir d’une maladie du sang, ou d’empoisonnement, selon les versions (il aurait été empoisonné par les services irakiens, lors d’un voyage en Syrie)…
C’est alors Chadli Benjedid, un autre militaire de carrière, qui lui succède pour un «règne» de 14 ans (1978-1992) auquel il met fin en démissionnant (en réalité, il a été destitué par l’armée).
Son successeur fût Mohamed Boudiaf, rappelé de son exil au Maroc pour exercer la magistrature suprême. Ce fût le mandat le plus court de l’histoire (six mois). Scandaleusement interrompu par son assassinat, en direct, sous les caméras de la télévision, en juin 1992. Il était le 1er Président du Haut Comité d’État, un organe de transition qui a pris en mains l’Algérie, suite à l’interruption par l’armée du processus électoral qui a failli porter les islamistes du FIS au pouvoir.
Le second Président du Haut Comité d’État –et le plus méconnu parmi tous ses prédécesseurs et successeurs- a été le colonel Ali Kafi (2 juillet 1992-30 avril 1994.
Est ensuite arrivé à la tête de l’Etat, Liamine Zeroual, Général de l’armée et ministre de la défense (1994-1999). Il comptera parmi les éradicateurs des islamistes. C’est sous sa présidence que les frontières maroco-algériennes ont été fermées, après l’attentat de Marrakech –attribué au DRS algérien par un de ses ex-agents, Karim Moulay- où deux touristes espagnols ont trouvé la mort. C’est aussi sous sa présidence que la première élection présidentielle pluraliste sera organisée. Mais les tensions intestines des hauts gradés de l’armée le pousseront à annoncer une élection présidentielle anticipée à laquelle il ne se présentera pas. C’est ainsi qu’il quittera le pouvoir en 1999.
Ce qui permettra à Abdelaziz Bouteflika de prendre le relais (1999 à ce jour de mai 2013).


 

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