Soudan | Quels enjeux ?

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Le coup d’Etat au Soudan, quel que soit son issue, amène à se poser deux questions. La première leçon à tirer est intérieure. La deuxième est internationale.

La première leçon est donc intérieure. Au lendemain d’un coup de force, la mise en place d’un pouvoir mixte civils et militaires pour calmer la communauté internationale ne fonctionne pas. Dans un  premier temps il y a paralysie. Ensuite petit à petit, les militaires s’impatientent et tentent d’écarter les civils après les avoir épuisés et discrédités. C’est ce qui s’est passé au Soudan et en Birmanie par exemple. Le nouveau, c’est que les populations civiles tentent de résister aux militaires. La deuxième leçon est internationale. Dans les grands bouleversements du monde arabo musulman, le Soudan très marginalisé redevient un pays majeur.

La situation soudanaise est complexe. Le général Al-Bourhane dirigeait déjà le pays avant le coup d’Etat, mais dans une situation de partage obligé du pouvoir, et dans le cadre d’institutions liées à un calendrier de transition. Il aurait dû s’effacer bientôt –dès le 17 novembre, potentiellement– au profit d’un dirigeant civil. Ni l’armée, ni ses alliés à l’intérieur du pays, ni certains de ses alliés extérieurs –Egypte en tête– ne s’étaient résolus à ce passage de témoin à mi-chemin de la transition qui doit prendre fin en 2023 avec des élections. Le jeu qui se mène actuellement dans cette partie du monde implique aussi bien les ambitions américaines pour contrer la Chine, celles de la Russie pour étendre sa zone d’influence, ainsi que les visées des pays du Golfe, de la Turquie, et d’autres acteurs moins visibles, auxquels le chaos croissant offre des occasions favorables. L’Ethiopie, déjà en guerre, cherche frénétiquement des appuis à l’extérieur, notamment en Turquie. Le fragile pouvoir somalien est au bord de l’implosion. Seul le Soudan, depuis près de deux ans, faisait figure de pôle de stabilité en devenir.

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Les États-Unis viennent de suspendre une aide de 700 millions de dollars consacrée à la transition démocratique. Pendant ce temps, la Russie pointe « le résultat logique d’une politique ratée » accompagnée d’une ingérence étrangère d’ampleur dans les affaires intérieures de la république » qui « a abouti à la perte de confiance des citoyens du Soudan envers les autorités de transition (…), provoquant une instabilité générale dans le pays».

De Washington à Moscou en passant par Ankara, les ports soudanais aiguisent appétits commerciaux et intérêts militaires. S’étirant sur 714 kilomètres de l’Égypte au nord à l’Érythrée au sud, le riche littoral soudanais -en or comme en biodiversité marine- est depuis des décennies au cœur de batailles d’influence et d’alliances changeantes. Et ce déjà sous le dictateur Omar el-Béchir, emporté en 2019 après 30 années de règne sans partage par une révolte populaire. Les ports soudanais de la mer Rouge sont un carrefour commercial pour de nombreux pays continentaux comme le Tchad, l’Éthiopie et la République centrafricaine », explique Ahmed Mahjoub, directeur des docks sud de Port-Soudan, une vaste infrastructure dans le nord-est du pays qui compte plusieurs terminaux. Ainsi, fin 2017, Béchir avait signé avec le président turc Recep Tayyip Erdogan un bail de 99 ans pour qu’Ankara restaure le port de commerce Suakin, connu notamment pour ses somptueux bâtiments en calcaire corallien sous le pharaon Ramsès II et dont des vestiges sont encore visibles. Florissant sous l’empire ottoman, celui-ci avait été laissé à l’abandon depuis la construction par les Britanniques au début du XXe siècle de Port-Soudan, à une trentaine de kilomètres plus au nord.

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L’accord entre Ankara et Khartoum avait suscité l’inquiétude des grands rivaux sunnites régionaux de la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Égypte, toutes deux bordées par la mer Rouge et qui redoutaient qu’Ergodan n’étende son influence dans la région. Les États-Unis et la Russie tentent aussi d’obtenir leur part du gâteau. Le Soudan compte par ailleurs de nombreuses îles qui sont, assurent les experts, « vitales pour sa sécurité nationale ». « Mais elles sont inhabitées et peuvent donc être utilisées pour des activités illégales comme la contrebande », prévient le spécialiste de la mer Rouge Ahmed Abdelaziz. Sous Béchir, l’Iran y stationnait des navires au grand dam de son ennemi saoudien. En 2017, l’autocrate – alors sous sanctions américaines – s’était aussi tourné vers Moscou. Il avait négocié avec le Président Vladimir Poutine la construction d’une base navale à Port-Soudan pour accueillir jusqu’à 300 hommes, militaires et civils, et même des navires à propulsion nucléaire. L’an dernier, après la chute du despote, la Russie avait annoncé avoir signé avec Khartoum un accord prévoyant la construction et la gestion de cette base sous 25 ans. Mais en juin dernier, le Soudan, que les États-Unis venaient de retirer de leur liste des pays soutenant le terrorisme, a dit « réexaminer » l’accord. Car Washington a aussi un œil sur la mer Rouge. « C’est un couloir clé pour les flottes américaines », assure Chaima Abdelsamie, car « elle relie la VIe flotte », basée en Italie sur la Méditerranée « à la Ve flotte basée dans le Golfe » à Bahreïn.

L’enjeu international du Soudan est devenu colossal, la résistance de la population civile compte sur l’aide  internationale, mais les divisions et la divergence des intérêts jouent contre les forces démocratiques soudanaises qui se sentent bien seules.

Patrice Zehr

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