Et pourtant, j’étais un bon tailleur!

Abdeslam, 58 ans, a travaillé sans répit. Des marques prestigieuses ont profité de son travail. Mais après sa maladie, le monde s’est écroulé autour de lui: plus de travail, plus de famille et plus d’argent. Il sent que la vie a été ingrate et sans pitié pour lui. Son histoire.

«Je suis tailleur professionnel, ‘‘patronnier’’ dans le jargon du métier. J’ai travaillé pendant longtemps pour les plus grandes unités de confection du pays, spécialisées dans l’export. J’étais cité en exemple et recherché pour ma droiture et mon professionnalisme. Mais je me rends compte, après tout ce temps, que ces qualités… J’aurai dû les mettre au placard! Elles ne m’ont servi à rien, parce qu’aujourd’hui, je suis complètement désespéré, démuni, sans retraite, sans économies et seul. Je me dis même que je dois porter en moi la poisse et ce, depuis ma naissance. Ma vie avait déjà si mal démarré…

 

Je suis fils unique et orphelin de père et de mère. Ma mère est morte à ma naissance et mon père quelques mois plus tard, dans un accident de la circulation. Mon tuteur, mon grand oncle, celui chez qui j’ai grandi, m’a dépossédé de tout. Des indemnités de l’assurance et des parts de terrains qui me revenaient par succession. Il a tout falsifié en sa faveur en me faisant signer des papiers avec des adouls corrompus et de faux témoins, alors que je n’étais qu’un enfant. Il se disait dans l’incapacité de subvenir à mes frais d’études et autres. Cette injustice m’a toujours rongé les tripes, même si tout cela est si vieux. Je suis encore tout retourné quand je me remémore quelques scènes du passé avec mes cousins du même âge que moi. Ils marmonnaient de temps à autre quelques vacheries, sous-entendant que j’étais maudit, que j’avais tué mes parents, que je les empêchais de manger à leur faim et qu’eux, ils étaient chez eux mais pas moi. Quand j’eus 20 ans, ce vieux larron d’oncle et rapiat de surcroît prétendit qu’il avait toutes les peines du monde à m’annoncer que je n’avais plus aucun centime. Il disait que j’étais devenu un homme et qu’il fallait donc que je m’en aille trouver du travail pour construire ma vie. Il disait aussi qu’il m’avancerait 200 DH de sa poche, un prêt, insistait-il, pour m’aider: pour le transport et de quoi vivoter quelques jours. Une honte, mais grâce à ça, il faut le reconnaître, je me suis rendu compte qu’il fallait me secouer et qu’il était effectivement grand temps que je vole de mes propres ailes. Sans en avoir le choix, je quittai le coin où je vivais pour aller chercher du travail dans la grande métropole. J’ai atterri chez une cousine et, par chance, son mari travaillait dans la confection. C’est lui qui m’a décroché mon premier job comme couturier dans une petite entreprise de confection. Ma bonne humeur, ma soif d’améliorer mes connaissances et de les mettre en pratique et ma disponibilité m’ont permis de devenir assez vite chef d’atelier. Je travaillais sans répit et respectais scrupuleusement les consignes. Mes patrons étaient très satisfaits de mes services. Pourtant, jamais mon salaire n’augmentait. Au bout de 4 années de travail, cette petite entreprise était devenue très prospère. Un soir, alors que je sortais tard de l’atelier, j’ai été accosté avec discrétion par un homme. Il me souffla qu’il fallait -et ce, dans mon strict intérêt- que je contacte de toute urgence Monsieur Fouad. Il me tendit un numéro de téléphone griffonné sur un bout de papier. Il était si compliqué, autrefois, de joindre quelqu’un par téléphone; ce n’est pas comme aujourd’hui avec les portables. J’oubliai vite cette proposition et continuai de travailler. Mais après une semaine, le même homme revint me voir et me pria de le rencontrer le dimanche. Je fis ainsi la connaissance du fameux Monsieur Fouad qui était le patron de plusieurs ateliers de confection dans le royaume. Cet homme me proposait un poste à Tanger et un salaire incroyable. Au bout d’un mois, me voilà installé dans une autre ville. C’est dans cette ville que je connus ma femme avec laquelle j’ai eu 2 enfants. J’ai changé plusieurs fois de patron, de ville et de salaire aussi. Tout ce que je gagnais, je le dépensais pour ma petite famille. Ma femme me reprochait de ne pas être souvent à la maison et de trop travailler. Le pire arriva: ma santé me lâcha. J’ai ainsi été longtemps hospitalisé, toutes mes petites économies y sont passées. Ma femme aussi me lâcha. Elle décida de divorcer, alors que ma santé est devenue précaire et que j’avais perdu mon dernier emploi. Mes enfants, eux, se sont mariés et ont quitté le pays. La dernière fois que j’ai vu mes enfants, c’était il y a 3 ans alors qu’ils partaient pour l’étranger. Ils ne peuvent pas me prendre en charge, c’est si dur pour eux aussi. Ma femme est retournée vivre parmi les siens dans un petit village de son bled où elle a hérité d’un hectare de terre. Elle y a fait construire une petite maison. Je me retrouve aujourd’hui vivant seul dans une petite ville où je loue un studio avec un tout petit loyer que j’arrive à peine à payer. J’exécute dans une minuscule mezzanine tous les travaux de réparation et de confection pour un petit tailleur dans une petite boutique de la médina. Je survis grâce à ce tailleur. Il me paye à la semaine et je ne perçois que 10 pour cent de ce que les clients lui versent pour leur commande. Je continue d’avoir la foi; d’autres jours heureux m’attendent. Enfin, c’est ce que je me force à espérer. Heureusement, mon humour continue d’effacer mes peines et tourments. Il y a aussi la gentillesse et la satisfaction de certains clients qui, avec le temps, sont devenus presque des amis. Mais mon orgueil du Tafilalet, je l’ai là ‘‘sur le bout du nez’’. Donc, tout cela, je le garde sur le cœur, mais n’en parle pas. C’est la 1ère fois que je me confie. Je suis tellement mal quand j’évoque mon passé…».

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