Reportage : Abandonnées à leur vieillesse

Si certaines personnes âgées ont choisi de vivre dans des établissements de vieux pour échapper à leurs problèmes, d’autres, par contre, ont été obligées d’y vivre le restant de leur vie.

Maison de vieux

Elle s’appelle Khadija «Marrakchia». Elle jouit d’une mémoire infaillible et d’un sens de l’humour impressionnant. Elle a plus de 85 ans. Normalement, dans une société où l’on a toujours favorisé la solidarité familiale, Khadija Marrakchia, à cet âge-là, devrait être entourée de sa famille et de ses petits-enfants. Mais c’est dans une maison de vieux, «Annassim», située au quartier du même nom dans la périphérie de Casablanca, que nous l’avons rencontrée il y a quelques jours. Le visage ridé par le temps et bien qu’elle soit séparée de ceux qu’elle aime, c’est une femme qui déborde d’énergie et de dynamisme. Son secret?

«Tant que j’ai encore ma santé et une certaine autonomie, je n’ai pas à me lamenter sur mon sort. Malgré mon âge, je reste -alhamdoulillah!- autonome et active. J’ai choisi de mon plein gré de venir vivre ici, loin de tous. Je voulais avoir la paix et je l’ai trouvée dans cette maison, même si ma vie a carrément basculé. Mon seul souhait, c’est de rester autonome jusqu’à ma mort. Quant au reste, je n’y pense même pas et je n’y accorde plus d’attention», a souligné Khadija Marrakchia, qui a pourtant six enfants dont une fille, la seule qui vient lui rendre visite de temps à autre.
Hadja Habiba, native de Derb Ghellaf à Casablanca, raconte qu’elle aussi a fait le même choix. En effet, il y a quatre ans, elle n’a pas hésité à tout laisser derrière elle et à venir passer le reste de sa vie dans la maison Annassim. «J’ai pris cette décision, car je ne pouvais plus vivre avec les nombreux problèmes que j’avais avec mes belles-filles. J’étais très malheureuse avec elles», a-t-elle dit non sans émotion.
Mais si Khadija et Habiba ont elles-mêmes choisi de vivre dans cet établissement pour échapper à leurs problèmes, d’autres personnes ont par contre été obligées d’y vivre le restant de leur vie. C’est le cas de Fatna Omari qui est abandonnée à son sort. C’est une femme de 80 ans dont personne ne veut s’occuper, pas même sa propre famille! Pourtant, c’était elle qui entretenait son entourage quand elle travaillait et avait de l’argent à offrir. «J’avais quatre enfants et un mari. Ils sont tous décédés. Mes propres sœurs m’ont mise à la porte. Elles ne voulaient plus de moi. Mon péché? Je n’ai plus rien à leur offrir. Maintenant que je suis très âgée et que je ne peux plus travailler, on m’a abandonnée à mon sort. Cela me fait tellement mal», a confié Fatna, le cœur sérré. Elle a d’abord été placée à Tit Mellil avant d’être admise dans cet établissement. Et de confier: «Au début, je pleurais beaucoup. Mais aujourd’hui, je ne veux plus les voir. Mes sœurs m’ont fait beaucoup de mal et m’ont exploitée pendant plusieurs années».
Le cas de Fatna n’est pas le seul, bien au contraire. Abla Tamou est résidente, depuis deux mois, de la maison Annassim. Les larmes aux yeux, elle a noté: «Mon mari est décédé depuis plusieurs années. J’étais locataire au quartier de Sbata à Casablanca. Mais quand les propriétaires ont vendu la maison, je suis allée vivre chez ma sœur. Mais elle devait décéder suite à un cancer. Ses enfants se sont lassés de ma présence et ne voulaient plus de moi. Ils me l’ont fait comprendre. J’ai alors décidé de m’en aller sans rien leur dire».
De plus en plus de familles se lassent de leurs «vieux» et les abandonnent à leur sort. Pourtant, ces personnes de troisième âge n’ont pas besoin de grand-chose. Ce qu’elles demandent, c’est un peu d’amour et une présence chaleureuse. On les met dans des établissements pour vieux ou autres sans plus jamais leur rendre visite, déplore Ahmed Sfa, le directeur de la maison de vieux. C’est le cas de cet ancien champion de judo dont les ascendants ne sont jamais venus lui rendre visite. Il faut dire que «chaque cas a son histoire émouvante. Bon nombre de ces personnes ont des enfants qui les ont abandonnés à leur sort et à leur vieillesse. Aujourd’hui, mettre ses parents dans une maison de vieux, c’est un fait, une chose  »normale »», a relevé le directeur, avant de poursuivre: «De plus en plus de personnes de troisième âge, pour la plupart abandonnées par les leurs ou se trouvant dans une situation précaire, cherchent refuge dans les maisons de vieux». Un constat qui a d’ailleurs été confirmé par un rapport de l’Entraide Nationale, publié en 2005, mais qui, apparemment, n’a pas trouvé d’écho auprès des responsables, pour prendre à bras le corps cette question des personnes de troisième âge au Maroc. Lesquels se rabattent, à cause de leur situation précaire, de la faiblesse de leurs ressources et de leur pauvreté, sur ces établissements de bienfaisance. Mais quand est-ce que le Maroc officiel commencera à prendre conscience des défis concernant la problématique de cette catégorie de la société?

Que fait le gouvernement ?

 

Que fait l’Etat pour garantir la protection de ces personnes de troisième âge? La plus grande responsabilité concernant la question des vieux incombe au ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité. Le second département concerné par cette question est celui de la Santé. Il est surtout intéressé par le volet de la protection sanitaire de ces personnes de troisième âge, notamment en ce qui concerne la mise en place d’un service de gériatrie.
Sur le terrain, malgré quelques efforts, les problèmes des vieux sont loin d’être pris en considération. Des établissements pour les vieux ne figurent pas à l’ordre du jour du département de Bassima Hakkaoui, selon des sources à l’Entraide Nationale. En effet, ces mêmes sources affirment que la majorité des établissements existants sont dans un état critique et doivent faire l’objet d’un audit très rigoureux. Notons que la nouvelle stratégie de protection des personnes de troisième âge, qui est en cours de préparation, est toujours attendue. C’est une stratégie qui interpelle plusieurs administrations, mais connaît apparemment des difficultés pour son aboutissement, selon ces mêmes sources.

 

Comme en prison…

 

Selon des sources proches du dossier, plus de 800 personnes du troisième âge croupissent actuellement dans le centre Tit Mellil de Casablanca. Dans ce centre, l’un des établissements ayant toujours été dans le collimateur de la société civile, on trouve également des vagabonds, des repris de justice, des malades mentaux, des mendiants, des mineurs et des SDF pris dans les rafles de police. Lors des visites royales, par exemple, le nombre de ces personnes atteint 2.000 individus, affirment les mêmes sources. A savoir que la capacité d’accueil de ce centre ne dépasse pas 1.000 personnes. C’est dire, selon les mêmes voix, les conditions très précaires dans lesquelles les personnes âgées se trouvent dans ces lieux.
Ba Abdesslam, 74 ans, a passé six mois dans ce centre avant d’être placé dans la maison de vieux Anassim (située dans le quartier Anassim). Ce «grand vieux» nous a confié qu’il avait souffert de la solitude et de la maltraitance dans cet établissement. Pire. Ba Abdesslam, qui a été placé dans le pavillon 2 de ce centre, qualifie Tit Mellil de prison: «Le centre Tit Mellil est tout sauf un établissement pour la protection des vieux. C’est un dépotoir de chair humaine. La réalité dans ce centre n’est pas différente de celle d’une prison. C’est comme la célèbre prison américaine d’Alcatraz. Il y a plusieurs pavillons et on était avec des repris de justice». Dans ce cadre, le directeur de la maison de vieux Anassim a souligné que la loi 14-05, qui régit ces établissements d’assistance sociale, doit être révisée. «Les défaillances de cette loi-cadre, c’est qu’elle reste standard. Elle ne spécifie pas la catégorie sociale (vieux, étudiants…)».

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En rapport avec ce dossier, voir interview Mohamed Khadraoui

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