Entretien avec Ahmed Derrab, Secrétaire général de l’Association des producteurs d’agrumes du Maroc (ASPAM)

Les producteurs d’agrumes espagnols cherchent la petite bête…

L’association des producteurs d’agrumes de la province de Huelva, en Espagne, a récemment mis en garde contre les risques de contamination des produits importés de certains pays du sud, dont le Maroc. Qu’en dites-vous ?

Ce qu’on peut dire, c’est qu’on ne rentre pas dans les marchés européens -dont notamment l’Espagne- comme on rentre dans un moulin. Nous exportons sur les pays de l’Union européenne (UE), et la première frontière -et la seule d’ailleurs que nous avons actuellement avec l’UE- c’est l’Espagne. Dès qu’on rentre dans ce pays, il y a un certain nombre de normes phytosanitaires et d’exigences qui sont respectées. Nous faisons tout notre possible pour que nos producteurs soient en conformité avec les produits de cet espace communautaire. Avant que les produits soient exportés, il y a un contrôle qui se fait déjà, au niveau du Maroc, par l’Etablissement autonome de contrôle et coordination des exportations. Lequel établissement public est chargé de contrôler la qualité et la conformité des produits agroalimentaires et agricoles qui sont exportés à partir du Maroc. Pour qu’un producteur puisse exporter vers certains marchés, dont celui de l’UE, il faut qu’il soit certifié et agréé, et qu’il ait une certaine traçabilité. C’est ce qui permet de savoir quels sont les produits utilisés pour le traitement contre les maladies ravageuses. Bref, il y a toute une procédure qui doit être respectée avant même que le produit ne soit exporté. A commencer par les analyses qui sont faites au départ, en plus d’un certain nombre d’éléments permettant de garantir que le produit est sain et sauf et qu’il est donc apte à être consommé dans de bonnes conditions. Arrivé à la première frontière européenne, en l’occurrence celle de l’Espagne, le produit subit un double contrôle. A savoir le contrôle des autorités sanitaires espagnoles et celui des autorités européennes qui vérifient la conformité du produit. Et ce, à travers les documents, mais, bien entendu, on procède aussi à l’échantillonnage. En général, il n’y a pas de problèmes qui se posent. Il y a parfois des petites erreurs et de petits incidents à signaler. Mais cela représente epsilon. Ce qu’il faut savoir c’est qu’au Maroc nous sommes quand même responsables, majeurs et vaccinés ! Nous n’exportons pas n’importe quoi. Et lorsque nous avons des problèmes nous faisons tout pour éviter qu’on puisse exporter des produits qui ne répondent pas aux normes. Parce que dans tous les cas de figure, ils vont être refoulés par les agents de contrôle phytosanitaire de l’UE.

Selon vous, qu’est-ce qui explique donc cette campagne des producteurs espagnols contre les agrumes marocains ?

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D’abord il y a la concurrence de certains pays, comme la Turquie et l’Égypte, qui ont multiplié leurs exportations au cours des dix dernières années par cinq, voire même par six. Les producteurs espagnols -comme nous d’ailleurs-, font face  à  la concurrence de ces deux pays qui ont augmenté leur tonnage de manière exponentielle. Ces pays déversent des quantités importantes d’agrumes et d’autres fruits sur les marchés européens. Ce sont eux qui causent, en fait, le plus de tort aux producteurs espagnols et qui créent des déséquilibres chroniques au niveau du marché. Ces pays, notons-le, ont certains avantages que ni nous ni les Espagnols n’avons. Ils ont des prix de revient au plus bas, notamment en ce qui concerne la main d’œuvre, surtout l’Egypte. Sachant qu’il y a aussi la concurrence des pays de l’hémisphère sud. A savoir, les pays de l’Amérique latine (Brésil, Argentine,…). Le problème, c’est que ces pays ont développé des variétés précoces qui leur permettent d’être présents plus longtemps. Et aujourd’hui, ils commencent à empiéter sur la campagne des producteurs d’agrumes d’hiver (Espagne, Maroc, etc.). Puisqu’ils restent plus longtemps sur les marchés. C’est pourquoi les Espagnols commencent maintenant à crier. A signaler que notre production arrive aussi en concurrence frontale avec ces producteurs de l’hémisphère sud. Ces pays, qui produisent les agrumes d’été, commencent leur campagne après que nous arrêtons la nôtre. C’est-à-dire, à partir de fin juin-début juillet et jusqu’à octobre.

Ceci dit, il faut souligner que l’année précédente, en particulier, la campagne d’exportation -surtout pour les agrumes- à été très difficile pour tous les pays exportateurs, dont notamment le Maroc.

Les conditions climatiques que nous avons eues, l’année dernière, ont entraîné un certain nombre de problèmes au niveau de la qualité des fruits. En effet, les pluies précoces ont endommagé un certain nombre de produits, notamment la clémentine. Ces conditions climatiques ainsi que les grèves organisées par les transporteurs -pendant plus de deux mois- n’ont pas été favorables. En plus du fait que la maturité des fruits avait été retardée de 15 jours. Et c’est ce qui ne nous a pas permis de démarrer les exportations plus tôt, comme on avait l’habitude de le faire. Résultat de tout ça: nous avons cumulé des tonnages importants, dont des qualités inférieures et qui ne peuvent pas supporter de longs séjours au frigo et de longs séjours au transport.

Les producteurs marocains envisagent-ils de réagir à cette campagne contre les produits marocains ?

Les accords que nous avons, nous les avons signés avec l’UE et non pas avec l’Espagne. Ils ont été signés sur la base d’un certain nombre de conditions phytosanitaires, sanitaires et de salubrité publique que nous respectons. Et vous imaginez bien que s’il y avait une quelconque faille, les autorités sanitaires et phytosanitaires européennes n’auraient pas laissé passer un kilo.

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Ce qu’il y a, c’est que les Espagnols font un peu de politique. Ils sont en ce moment en période électorale. Et les syndicats professionnels dans ce pays veulent faire un peu de zèle. Ils cherchent donc la petite bête.

Nous, on n’a pas à réagir directement aux producteurs espagnols. D’autant qu’on n’est pas en choc frontal avec eux. Nous, nous n’avons pas de problèmes directs ou bilatéraux avec l’Espagne. Et puis la plupart de nos agrumes (90%) ne se vend pas en Espagne. A noter que pour nous, l’Espagne, qui produit près de 8 millions de tonnes d’agrumes (dont 5 millions sont exportés), est une voie de transit et de passage. Mais le gros de nos exportations va vers les autres pays de l’UE.

Comment se porte le secteur des agrumes aujourd’hui ?

Il y a une forte concurrence sur les marchés ciblés et plusieurs difficultés qui font que nous devons aujourd’hui nous battre pour continuer à fournir un bon produit sur nos marchés et pouvoir conquérir de nouveaux marchés.

Nous venons de finir la campagne précédente 2018-2019. C’est une campagne qui a commencé début octobre 2018 et qui s’est terminée fin juillet 2019. Pendant cette campagne, on a eu plusieurs difficultés. Comme je l’ai souligné. En particulier, en ce qui concerne les agrumes (conditions climatiques, grèves des transporteurs, maturité des fruits retardée, etc.). La production a atteint quelque 2,6 millions de tonnes, dont 720 mille tonnes ont été exportées. Cette année, le ministère n’a pas encore annoncé les chiffres. Mais on prévoit un tonnage de production plus faible d’à peu près 30 % par rapport à l’année dernière.

Côté exportation, on ne peut pas contrôler le marché. On doit donc attendre de voir ce que la nouvelle saison apportera. D’autant que l’export dépend en général de la conjoncture des marchés et de l’état qualitatif de nos produits. Il ne faut pas oublier que nous travaillons sur des produits périssables qui peuvent être altérés à tout moment par des pluies et par toutes sortes d’aléas climatiques, qui peuvent changer la donne du jour au lendemain. Comme cela a d’ailleurs été le cas lors de la campagne précédente, pendant laquelle les producteurs marocains ont cumulé des quantités très importantes ne pouvant pas être exportées en raison des qualités plus faibles. Actuellement,  nous travaillons sur la nouvelle campagne 2019-2020 que nous allons, d’ailleurs, lancer dans les jours qui viennent.

Interview réalisée par Naîma Cherii

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