SOS, nos enfants s’ennuient !

villes du Maroc

Le jeu et la distraction ont toujours leur place dans la vie de chaque enfant. Ils sont vitaux et conditionnent le développement harmonieux de son corps, de son intelligence et de son affectivité. Mais est-ce qu’ils sont ancrés dans notre société marocaine? Est-ce que nos enfants disposent d’aires de jeux, de parcs d’attractions ou autres dans leur quartier ou leur ville?

Toutes les villes du Maroc connaissent un déficit patent en espaces de jeu et de distraction pour les petits enfants et les jeunes. Ces derniers sont très nombreux à ne pas trouver de terrain de football dans leur quartier pour y pratiquer leur sport favori. Ils ne trouvent pas non plus de terrains pour les autres sports collectifs, comme le basket-ball, le hand-ball, le volley-ball… Ni des aires de jeux.
Le Grand Casablanca n’échappe pas à la règle puisqu’il souffre, lui aussi, malgré son statut de capitale économique, d’un manque chronique et flagrant d’espaces de jeu et de lieux d’animation et de divertissement. L’on se demande donc si Casablanca n’a pas suffisamment de moyens pour permettre à ses enfants de se distraire, de rompre avec la routine et de s’épanouir?
«L’espace vert, c’est important pour les enfants. C’est là où ils se retrouvent, courent et se dépensent en toute sécurité. C’est un lieu idéal où ils partagent de bons moments avec leurs semblables à l’extérieur de chez eux. J’habite au quartier des Roches Noires mais, malheureusement, nous n’avons qu’un petit jardin. Et comme j’habite loin, je suis obligée d’accompagner mes deux enfants à ce seul et unique jardin, pour qu’ils jouent avec les autres enfants, même s’il n’est pas attrayant et pas très bien entretenu», témoigne Khadija, une mère de famille. Même son de cloche chez Naïma, mère de deux enfants. Elle explique: «Notre quartier (Belvédère) dispose d’un terrain de football et d’un jardin mal entretenu. Malgré cela, le jardin permet à nos enfants de se dépenser. Comme les allées du jardin sont en terre battue, nos enfants sont constamment exposés aux blessures, mais il est notre seule issue contre la routine».

Attention à la dérive !

«Mes enfants s’ennuient à mourir. A part leurs cours de karaté, ils ne trouvent pas d’endroits où se distraire. Une fois au quartier, ils sont soit réunis entre amis, soit en train de jouer dans une salle des jeux. Ils ne trouvent pas dans notre quartier d’espaces de sports collectifs pour qu’ils se dépensent. Ce n’est qu’en fin de semaine qu’on peut leur offrir la possibilité de se distraire. On les emmène à l’extérieur de Casablanca», témoigne Nora, mère de trois enfants.
Le manque d’espace de jeux et de distraction dans les différents quartiers pousse donc la majorité des enfants à passer leur temps à traîner dans les rues et à «jouer» dans leurs quartiers. Les parties de football se jouent souvent sur la chaussée, malgré la circulation des véhicules. Cette situation, on la voit fréquemment dans nos quartiers, en dépit des dangers qu’elle présente. Enfants et jeunes n’hésitent pas à jouer au football à chaque fois qu’ils en ont envie. Les jeunes, eux, quand ils cherchent à se distraire, finissent par désenchanter. Ils se tournent alors vers des distractions dangereuses ou recourent à des pratiques malsaines: aller dans des salles de jeux où ils peuvent rencontrer des trafiquants de drogue, fumer entre amis… Certains choisissent de naviguer sur le net, alors que d’autres restent chez eux, oisifs. D’autres encore vont dans des endroits absolument déconseillés, tels les bars, pour jouer au billard, fumer, s’essayer à la boisson d’alcool…
Le manque flagrant d’espaces de jeux et de distraction ouvre la voie à des pratiques malsaines. «L’absence de passe-temps chez les jeunes peut mener à la dérive, comme la consommation du tabac, du hachich… Les plus vulnérables restent les collégiens. Il faut que l’Etat, donc le ministère de la Jeunesse et des Sports, crée des centres pluridisciplinaires pour absorber l’énergie de cette jeunesse», lance Othman, un enseignant et père de quatre enfants. Le ministère de la Jeunesse et des Sports a procédé, il y a quelques années, au lancement de centres socio-culturels au niveau du Maroc. Mais cela reste insuffisant. Une ville comme Casablanca, qui avait à une certaine époque des maisons de jeunes très actives, des clubs omnisports dans presque tous les quartiers, des salles de cinéma, des aires de jeu, des parcs d’attractions… est aujourd’hui sans ces clubs animés, sans ces maisons de jeunes actives, sans ces aires de jeu et ces salles de cinéma -à part le Mégarama et quelques anciennes salles de cinéma qui résistent toujours (Rialto, Rif, Lynx…)-. Même les bibliothèques, endroit idéal de lecture et d’instruction, sont désertées, voire fermées, comme la Bibliothèque municipale de Sidi Belyout qui, avant, accueillait de nombreux étudiants et chercheurs venus emprunter ou consulter sur place les livres.
On assiste donc à une absence quasi-totale de tous ces lieux vitaux, nécessaires au développement des enfants et des jeunes. Les clubs de sport sont aujourd’hui payants et leurs tarifs ne sont pas à la portée de tout le monde. Seules les personnes qui ont assez de moyens financiers peuvent inscrire leurs enfants dans ces clubs ou les emmener dans des parcs de jeux (bien que rares) pour se distraire et passer de bons moments. Mais les enfants et les jeunes issus de milieux modestes n’ont plus cette chance. Ils peuvent donc jouer et se distraire à leur manière, comme ils peuvent et selon leurs moyens.

«Chi Haja» : «Dekhla B Ktab»

Absence d’aires de jeux pour enfants

En termes d’infrastructures d’attractions, Casablanca ne compte actuellement que peu de parcs, lesquels connaissent une grande affluence pendant les week-ends, les jours de fête et les périodes de vacances. Ce sont des structures qui offrent une panoplie de jeux adaptés aux différents âges. La visite de ces sites coûte cher aux bourses modestes, outre le fait qu’ils ne sont pas situés au centre de la ville comme ça été le cas pour le Parc Yasmina installé en plein milieu du Parc de la Ligue Arabe. Ces sites se situent majoritairement à Aïn Diab, à El Oulfa et au Quartier Ferdous. «J’accompagne mes enfants, une fois par mois, au parc d’attractions. Cela me revient un peu cher, mais c’est pour leur offrir quelques moments de bonheur», souligne la même Naïma du quartier de Belvédère.
Par ailleurs, les personnes non motorisées ou aux revenus modestes ne peuvent pas s’offrir le luxe de se rendre dans des cafés huppés, des restaurants chics, des clubs et tout ce qui entre dans le cadre du divertissement privé. Même les bourses moyennes trouvent que c’est un peu cher.
Le parc Sindibad à Aïn Diab fait l’objet d’un mégaprojet. Tel qu’il est repensé par le consortium qui en a la charge (Somed, Alliances, Actif Invest et la Compagnie des Alpes), il comprendra un parc d’attractions d’une capacité de 30.000 visiteurs/jour, un parc animalier, un parc écologique et une forêt récréative. Mais il faut compter sur un budget moyen de 150 DH par personne pour une journée au parc. Selon les autorités, le Parc Sindibad by Walibi sera opérationnel en décembre 2013. Le tarif d’entrée sera entre 15 et 20 DH. Avec un tel tarif, une grande partie des Casablancais en sera privée. «L’accès à ce parc sera très coûteux et je ne pense pas que les enfants issus des milieux modestes pourront en profiter», souligne un Casablancais, père de deux enfants.

Les raisons de l’absence de ces espaces de jeux

Les dirigeants de la ville de Casablanca ne se soucient ni de la chose culturelle de la ville, ni de la création des parcs d’attractions et de sports pour enfants et jeunes. Et rien n’a encore été fait à ce niveau. La situation reste ainsi inchangée, selon Mustapha Rahine, membre du Conseil de la ville. «Le plan d’aménagement sexennal de la ville de Casablanca ne résout pas cette importante problématique. Les petits lots de terrain appartenant aux communes et appelés chutes, qui sont généralement d’une superficie de 500 à 1.000 m2, sont cédés aux promoteurs immobiliers, au lieu de les transformer en espaces verts ou en terrains de sports collectifs pour jeunes. Ces parcelles sont donc vendues de façon illégale à d’autres bénéficiaires. La vente de ces parcelles de terrain figure souvent à l’ordre du jour du Conseil de la ville», explique Rahine. Et d’ajouter: «Les résultats de ce genre de pratiques est que la ville de Casablanca est devenue une source de stress. Le manque de terrains de sports et d’attractions a poussé les jeunes à consommer la drogue, au lieu de pratiquer leurs loisirs ou de se déstresser dans des aires de jeux. Le lobbying des promoteurs immobiliers est très fort et les enfants et les jeunes sont leurs derniers soucis». Donc, ce qui importe pour ces promoteurs, c’est de s’approprier des lots de terrain pour y construire des immeubles et gagner plus d’argent. Ces dernières années, ils recourent à une pratique très dangereuse: la dérogation. Par exemple, quand un promoteur immobilier construit une résidence sur un lot de quelques hectares, la loi lui impose de consacrer une partie de ce lot à la construction d’un jardin pour enfants, d’une mosquée, d’un dispensaire, voire d’une école. Les promoteurs, qui ne cherchent généralement qu’à s’enrichir, recourent à la dérogation pour réduire la superficie consacrée à ces infrastructures. Et ils obtiennent «gain de cause» grâce à la corruption, selon Rahine. «Cette politique a fait que Casablanca souffre d’une crise de béton. Il n’y a pratiquement pas de verdure, ni d’aires de jeux. Pour sauver la ville de ce genre de situations, il faut que les partis politiques s’engagent à respecter leurs programmes annoncés pendant les périodes d’élections. Ils (les promoteurs) doivent également être soumis à des contrôles et par le gouvernement et par les partis politiques», estime-t-il.

Reportage : Comment vivent les SDF au Maroc ?

Badia Dref

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Interview : Mohsine Benzakour, psycho-sociologue

Mohsine Menzakour 2013

«On doit prendre le jeu au sérieux»

Le jeu, qu’il soit sportif ou autre, est un facteur important dans l’éducation des enfants. Il doit prendre la place qui lui revient dans la société.

Quelle est la place qu’on peut accorder au jeu dans le développement personnel de l’enfant et du jeune?

Le jeu permet, aussi bien aux jeunes qu’aux adultes, d’exprimer beaucoup de choses d’une manière autre que celle du langage. C’est un moyen de développement qui leur permet, surtout durant leur évolution, la découverte du virtuel, le partage, l’ouverture sur l’autre, la créativité, le développement de l’intelligence… Et tout cela n’a rien à voir avec l’apprentissage normal qui impose l’ordre et le sérieux, alors que le jeu est pratiqué de façon ludique et attrayante. Le jeu permet ainsi de se distraire et de s’exprimer sans trop de limites psychologiques. Ce n’est surtout pas quelque chose qu’on impose. Pendant le jeu, on essaie de faire plusieurs connexions en même temps: le toucher, le cognitif, la créativité, le partage social, la satisfaction personnelle qui est d’ordre psychologique, etc. C’est un tout qu’on ne peut remplacer d’aucune manière. Mais il y a un autre volet dans le jeu qui va à l’encontre de ce qui a été avancé. En effet, le jeu, quel que soit sa nature, possède des règles qui le régissent. Ces règles, on les respecte, on les aime et là, on est devant une autre façon de voir la vie: on vient pour se distraire, on essaie d’adhérer à ce jeu et on invite l’autre à y adhérer et à en accepter les règles. Le jeu permet donc d’appartenir à un ensemble de personnes qui s’imposent certaines règles et cela est extraordinaire. Il est quelque chose qui a effectivement un rapport avec le développement des jeunes. Un rapport qui est fait de manière plus simple, plus acceptée et avec beaucoup de plaisir.

Comment les Marocains conçoivent-ils le jeu?

La conception ou la perception du jeu diffère chez nous, au Maroc, à savoir la famille et l’institution publique. Comment se représente le jeu au sein de la famille? Ce n’est plus un moyen de distraire les enfants comme il n’est pas non plus un moyen de les calmer. C’est devenu un moyen d’éducation. Mais cette conception, malheureusement, n’a pas changé chez toutes les familles. Chez certaines familles, le jeu est lié uniquement à certaines occasions telles l’Achoura et les occasions de fête… Il faut donc revoir cette conception du jeu. Il permet à l’enfant d’exprimer ce qu’il veut et ce qu’il comprend. Par le passé, au «jamaâ» (école coranique), c’était le premier contact avec les études. Le fkih, par excès de zèle et de sérieux, se permettait de frapper les enfants. Et au niveau de la maternelle, l’éducatrice, celle qui s’occupait des enfants, les considérait comme des élèves. Là encore, le jeu perdait son utilité, alors que c’est un moyen d’éducation et un outil pédagogique très importants. Le jeu, pour l’institution publique, surtout les centres locaux du ministère de la Jeunesse et des Sports, est un moyen politique pour l’Etat afin de contrôler les jeunes, mais jamais un moyen leur permettant d’éclore en tant que citoyens. Ce qui pose problème, c’est cette représentation du jeu. Il faut donc la revoir. Il faut qu’on commence à voir le jeu, qu’il soit ludique, sportif ou autre, comme moyen de communication et de plénitude pour l’enfant. Car il permet à ce dernier de développer ses compétences et est la voie obligée de la communication et du développement.

Que va-t-il se produire après le changement de la perception du jeu?

Après le changement de la perception du jeu, on pourra en développer les stratégies et les jeux eux-mêmes. On doit surtout prendre le jeu au sérieux: c’est un moyen qui permettra certainement à nos futures générations de se distraire, de se dépasser et surtout de s’épanouir. C’est un outil communicatif social qui permet l’imagination et le rêve. Le jeu doit prendre sa part d’existence dans notre société. D’ailleurs, même les grands y prennent part, d’où la création des jeux de société.

Propos recueillis par Badia Dref

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