Zenata : Retour sur les lieux du drame

Depuis la tragédie du naufrage d’un zodiac sur la côte de Zenata, causant la mort de 21 migrants marocains et d’une vingtaine de disparus, les proches des victimes affluent sur les plages de Zenata et d’Anahla pour attendre le corps de leur proche. L’endroit est devenu sinistre. Une semaine après, Le Reporter y était…Reportage.

Samedi 5 octobre, à 17 heures, nous sommes sur la plage de Zenata dans la Commune de Ain Harouda. Une belle journée chaude en ce début d’octobre donne un charme particulier à cet endroit d’habitude vide, en cette période de l’année. Des jeunes des douars environnants profitaient du soleil et jouaient au football sur cette plage où étaient également présentes des femmes et des enfants.

Pourtant, l’ambiance était tendue et la colère des jeunes rencontrés sur cette plage était plus qu’intense. Ces jeunes, qui habitent à douar harbil, à quelques mètres seulement du lieu de la tragédie, s’étaient rendus sur cette plage, ce samedi 28 septembre, lorsqu’un canot clandestin pneumatique s’est échoué, à un kilomètre plus au nord. Ils se disent encore choqués devant l’ampleur de la catastrophe.

El Kelaâ des Sraghna enterre ses cadavres

Il y a tout juste une semaine, un zodiac surchargé de 56 migrants marocains -tous des jeunes issus de la région rurale d’El Kelaâ des Sraghna- sombrait dans les eaux de la plage de Zenata.

Les familles des naufragés retournent encore sur les lieux du drame, là où ils attendent, depuis samedi 28 septembre, que la mer rejette les corps de leurs proches encore portés disparus. Ce samedi 5 octobre, le bilan du naufrage faisait état de 19 morts. Seules 10 personnes sur les 56 migrants ont survécu au naufrage, indique le coordinateur du comité des familles des victimes, Al Ayachi El Ferfar, joint par téléphone. Ce dernier précise qu’au moins une vingtaine de personnes étaient encore portés disparues.

Depuis la tragédie, la région de Kelaâ d’El Sraghna continue ainsi d’enterrer les cadavres des migrants noyés, arrivés sur les plages situées entre Paloma et Anahla à Ain Sebaa.

Quelques heures seulement avant notre arrivée, un nouveau corps a été repêché et deux autres ont été rejetés par la mer dans la nuit de vendredi, selon des témoignages recueillis sur cette plage. Les familles sont parties à la morgue de Casablanca pour l’identification des trois corps crachés par la mer. Il faut dire qu’au fil des jours, l’identification des corps devient très difficile, c’est ce qui exige la réalisation de tests ADN, indique  Al Ayachi.

Migrants clandestins: la croissance de la filière turque

Dans l’après midi de ce samedi, les corps allaient être inhumés dans leur douar, à Kelaâ d’El Sraghna, dit-il.

A l’heure où nous mettions sous presse, une source sécuritaire à Ain Sebaa soutenait que le bilan officiel a grimpé à 21 morts. Deux nouveau corps ont été repêchés au niveau de la plage Anahla, lundi 7octobre, selon cette même source.

Chômage, misère, pauvreté, injustice….Ce qui fait fuir les jeunes !

Comme tous les habitants des douars environnements de la plage Zenata, les jeunes rencontrés sur place ont encore en tête les images de ce samedi 28 septembre… Sept corps sont arrivés sur cette plage en une journée (samedi 28 septembre). L’endroit est devenu sinistre. Depuis la tragédie du naufrage, des pêcheurs ont cessé leur activité, racontent les jeunes de Zenata.

«Je suis resté choqué par ce drame» lance Salah, un jeune de douar Harbil. «C’est une tragédie, ce qui s’est passé ! Voir ces corps noyés arriver sur les plages de notre région, c’est vraiment trop d’émotion», souligne ce jeune. «Quand on a repêché les corps de ces migrants marocains, les habitants ici pleuraient», raconte Hamza, un autre jeune également de Harbil.

Non sans colère, les jeunes se relayaient pour apporter leurs témoignages. «Nous avons vu ces morts et nous en sommes toujours traumatisés. Mais nous sommes prêts à tout pour fuir notre misère, les inégalités et l’injustice», lâchent-ils.

Certains d’entre ces jeunes affirment avoir déjà tenté la traversée, depuis le port de Casablanca. D’autres, comme Salah, ont dû emprunter de l’argent pour acheter un zodiac et tenter leur chance à partir de la zone nord. Mais ils ont échoué. Ils confient qu’ils n’hésiteront pas à revenir à la charge pour payer un nouveau voyage.

«Pour réaliser mon rêve européen, je risquerai ma vie dans une autre embarcation. Car ici, je n’ai plus d’espoir de trouver un boulot et, surtout, je n’ai plus d’espoir du côté de nos responsables», martèle Salah, non sans exacerbation.

«Nous avons eu beaucoup d’émotions et nous partageons la douleur des familles des victimes, qui attendent que la mer jette les corps de leurs proches. C’est important d’être là pour soutenir ces familles qui prient Dieu pour qu’il leur ramène le corps de leurs proches afin de pouvoir les enterrer», souligne Nacer Idriss, un associatif local à Ain Harouda.

«Le problème c’est le chômage et la pauvreté», estime cet associatif. «Tant qu’il n’y a pas une vision claire du gouvernement, ce phénomène continuera !», dit-il, fermement.

Ici, par exemple, la plupart des jeunes de douar Harbil et douar Al Aîn ne travaillent pas. Et, poursuit-il, ceux qui se sont noyés ici, il y a une semaine, c’est aussi la misère qui les a tués. «Si ces pauvres jeunes avaient trouvé un boulot, ils n’auraient pas quitté leur pays», insiste-t-il.

La pandémie et les migrants

«Ça suffit ! Nos responsables doivent penser à nos jeunes qui sont en chômage. Il est urgent que des mesures concrètes soient prises par le gouvernement pour éviter que ce genre de tragédie se reproduise sur nos plages. Nous ne voulons pas que nos jeunes meurent noyés de cette manière, laissant derrière eux des familles endeuillées. Sachant que, hélas, beaucoup sont hantés par cette idée de tenter la périlleuse traversée vers l’autre rive pour une vie meilleure», lâche cet associatif.

Attendre l’arrivée des corps !

Chez Adelillah Stipa, un autre associatif, c’est le même sentiment de désolation et de colère en même temps. «Il n’est pas facile d’admettre que tous ces jeunes, qui cherchent une vie meilleure sur l’autre rive, sont morts noyés. Le bilan des morts est lourd. Et il y a d’autres corps noyés encore portés disparus. Et pourtant on n’a pas vu un seul responsable ou un parlementaire venir à la plage, présenter ses condoléances aux familles des victimes», déplore Stipa, SG de l’instance marocaine des jeunes sahraouis (section Mohammedia).

Celui-ci se dit aussi en colère contre les autorités. «Les jeunes d’ici, dont des maître nageurs, connaissent très bien la mer de toute cette zone. Ils sont venus prêter assistance pour repêcher les corps des victimes encore dans la mer. Mais les autorités n’ont pas accepté leur aide -ni d’ailleurs celle des plongeurs- pour repêcher les corps qui gisent encore au fond de l’eau», explique cet acteur associatif local. Et de lâcher: «on préfère attendre l’arrivée de ces corps sur les plages situées entre Paloma et Anahla, plutôt que de déployer des moyens pour les repêcher».

A noter enfin qu’une enquête a été ouverte sous la supervision du parquet pour déterminer les circonstances de l’organisation de cette opération d’immigration clandestine. Six individus sont actuellement en garde à vue, pour leur implication présumée dans cette affaire d’immigration clandestine.

En attendant les résultats de cette enquête, les familles des migrants noyés continuent d’affluer, chaque matin, sur la plage d’Anahla, à Ain Sebaâ, pour attendre les dépouilles des jeunes migrants. Lesquels, en cherchant l’eldorado sur l’autre rive, ne savaient pas qu’ils allaient vivre un enfer sur la côte de Zenata.

Reportage réalisé par Naîma Cherii

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