Fuite des compétences : Pourquoi le Maroc peine à retenir ses pépites

Coincées entre le marteau et l’enclume, les compétences marocaines n’ont qu’une idée en tête, quitter le pays le plus tôt possible. Comment en est-on arrivé là?

Chaque année, plus de 600 ingénieurs quittent le Maroc pour aller faire carrière à l’étranger. C’est le ministère de l’Education nationale qui a révélé ces chiffres en janvier 2019. Une précédente étude réalisée par un cabinet de recrutement de renom sur le marché national, a montré que 56% des cadres marocains estiment que les conditions de travail sont inappropriées, d’où leur volonté de partir à l’étranger pour faire décoller leur carrière. La méthode simpliste voudrait que les nationaux désireux de quitter la mère patrie, soient tancés. Toutefois et à y regarder de plus près, il apparait clair que les facteurs qui incitent à l’exode des compétences marocaines sont multiples et somme toute légitimes. Par le passé, émigrer était l’apanage des plus démunis qui voulaient à tout prix et par n’importe quel moyen, échapper à la misère et s’offrir une seconde chance ailleurs. De nos jours, s’expatrier est devenu beaucoup plus un projet de vie partagé par tous, ou presque. Si certains Marocains s’installent à l’étranger pour des raisons purement professionnelles, d’autres quittent le pays pour assurer l’avenir de leurs enfants. Pour d’autres enfin, c’est l’efficacité du système de protection sociale qui les pousse à tout plaquer pour s’embarquer dans une nouvelle aventure. 

Le départ a des raisons que la raison ne connaît pas

Il est indéniable qu’au Maroc, les systèmes de santé, d’enseignement et d’emploi, pour ne citer que ceux-là, souffrent de dysfonctionnements multiples. En effet, les hôpitaux sont en si piteux état, au même titre que les établissements scolaires publics. Dans ce contexte, le citoyen n’a d’autre choix que de se tourner vers le secteur privé, avec tout ce que cela implique comme dépenses supplémentaires et souvent superflues. La défaillance du système de santé et de formation au Maroc, n’est pas le seul facteur de motivation des compétences pour l’émigration. Dans un contexte économique morose et instable, beaucoup de Marocains sont  menacés de perdre leur emploi. En effet, de plus en plus d’entreprises peinent à poursuivre leurs activités dans des conditions normales d’exploitation. Cette instabilité aggrave le sentiment de frustration chez  les petits salariés et les cadres supérieurs. Refusant de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, une grande partie d’entre eux préfèrent relever le défi de tout recommencer à zéro plutôt que de vivre dans un climat d’incertitude insoutenable. C’est justement pour fuir cette atmosphère pesante, devenue insupportable à la longue, que les pépites marocaines décident de partir malgré ce que cela engendre comme sentiment de dépaysement. Aujourd’hui rien n’est facile dans la vie et celle-ci n’épargne plus personne. Il est désormais incontestable que la dite classe moyenne, qu’on croyait à l’abri des aléas de la vie, est prise en sandwich. Entre fins de mois difficiles, le besoin de s’affirmer socialement et l’envie de mettre ses enfants à l’abri du besoin, cette frange de la population marocaine se retrouve malgré elle, happée par le tourbillon du surendettement. Ce dernier est considéré par les plus grands économistes, comme le principal accélérateur du déclassement social et l’un des facteurs déclenchants de l’exode des compétences.    

Le secteur de l’Éducation requiert des réformes profondes et urgentes

Le rêve canadien attire et ne déçoit pas 

Dans le classement des pays les plus attractifs pour les expatriés marocains, le Canada occupe la première position. Dans ce pays situé en Amérique du nord, tous les citoyens sont libres et égaux en dignité, en droits et en obligations. Au Canada, nul besoin de hausser le ton ni de se servir de ses relations pour bénéficier des meilleures soins, qui existent aussi bien dans les hôpitaux publics que dans les cliniques privées. Ajoutez à cela, une couverture sociale généreuse et stable. Au Canada, entre autres pays étrangers qui respectent leurs citoyens, l’enseignement public est un droit. Le droit à une école publique de qualité est un véritable acquis. Pour ce qui est du droit au travail, la plupart des pays développés privilégient les compétences en tant que facteur déterminant des recrutements en entreprise. Dans la même logique, l’engagement et les résultats définissent l’évolution de carrière pour tous les travailleurs sans exception. Dans les pays occidentaux, il n’y a aucune différence entre les salariés et les fonctionnaires. Tous sont tenus à une obligation de résultats. A l’étranger, il est rarissime que les pistons et les recommandations personnelles soient la voie certaine pour trouver un emploi, contrairement à ce qui se fait d’habitude dans le Royaume.

Maroc : Hassad revient à l’unification des vacances scolaires

Une étude réalisée en 2017 par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et la Banque Mondiale, a fait savoir que le réseau de connaissances au Maroc, représente 70,9% des moyens de recherche utilisés pour décrocher un emploi. Les spécialistes en développement humain, n’ont pas de mots assez forts pour dire à quel point le clientélisme et l’absence de méritocratie accentue le sentiment de non-appartenance à son pays. Une récente enquête est venue confirmer cette réalité, certes amère, mais difficile à occulter. Réalisée par un cabinet de recrutement au Maroc, cette étude a indiqué que 91% des Marocains sont prêts à quitter le pays pour s’installer à l’étranger. L’évolution de carrière passe avant tout, elle figure en 1ère position (66% des sondés), suivie de la qualité de vie (56%) et de l’environnement de travail. Les répondants ont été unanimes pour dire que la plupart des entreprises n’engagent pas les efforts nécessaires pour retenir et fidéliser les talents.

Pour appuyer les compétences nationales et encourager le «made in Morocco», il est prévu qu’un nouveau modèle de développement voie le jour dans le Royaume. En attendant que ce nouveau modèle de développement commence à porter ses fruits, il est urgent de stopper l’hémorragie des compétences marocaines. Le défi d’aujourd’hui consiste à convaincre la population qu’il est possible de construire son avenir au Maroc, non ailleurs. 

Mohcine Lourhzal

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