Darija La réflexion et le folklore

Le premier point qui frappe, dans cette polémique lancée autour de l’utilisation de la «Darija» (dialecte marocain) dans l’enseignement préscolaire, c’est qu’elle n’est pas le fait d’hommes politiques.

Elle est née de réactions aux recommandations d’un colloque sur l’éducation qui avait été organisé à Casablanca, les 4 et 5 octobre derniers, à l’initiative de Noureddine Ayouch, publicitaire ayant pignon sur rue, président de la Fondation Zakoura-Education et grande figure de la société civile. Ce colloque qui avait permis à des experts nationaux et internationaux de débattre de l’enseignement au Maroc, pendant deux jours, avait clôturé ses travaux avec 44 recommandations. C’est la publication de ces recommandations qui a déclenché la polémique. En particulier, celles concernant l’utilisation de la langue maternelle dans l’enseignement préscolaire.
Que disent-elles ? Elles disent qu’il faut: «Faire des langues maternelles, dès le préscolaire puis dans les premières années du primaire, la langue d’enseignement pour l’acquisition des savoirs fondamentaux» ; et qu’«Il est essentiel d’accueillir les enfants à l’école dans leur langue maternelle. Chaque enfant doit maitriser sa langue maternelle avant d’apprendre une langue seconde, afin d’éviter toute rupture linguistique précoce. L’école maternelle étant davantage destinée à apprendre des compétences transversales que la lecture, l’écriture et le calcul, l’enfant ne doit pas souffrir de barrière linguistique à l’apprentissage de la vie».
Apparemment, rien de plus logique. D’autant que ces recommandations partent d’un constat peu reluisant selon lequel «Aujourd’hui 38% des enfants marocains en âge de préscolarisation n’en bénéficient pas» ; et «67% des enfants préscolarisés le sont dans les Msid et Kouttab». De plus, les institutions onusiennes vont dans le même sens. L’UNESCO, par exemple, fait exactement la même recommandation d’utilisation de la langue maternelle dans l’enseignement préscolaire…
Pourtant, jamais débat sur l’enseignement n’aura suscité autant de remous !
Notamment, lorsqu’interrogé par les médias sur les conclusions du colloque, Noureddine Ayouch a réaffirmé haut et fort son souhait de voir la «Darija» introduite dans le préscolaire. Ses déclarations ont soulevé un tsunami de réactions allant dans tous les sens.
Les uns y voyant la volonté d’un lobby francophone de marginaliser la langue arabe parce que ne la maîtrisant pas ; les autres, une attaque de plus grande envergure contre la langue du pays en tant que telle ; les troisièmes, une grave menace de dépréciation du système éducatif ; et les quatrièmes, un avis dangereux, pouvant isoler le Maroc sur la scène internationale, la «Darija» n’étant pas une langue de communication reconnue au niveau des institutions mondiales (Ligue arabe, ONU)…
Il y a même eu une tentative de récupération politico-politicienne du débat, par le bien connu député islamiste Abdelbari Zamzami, qui a vu dans les recommandations du colloque et les déclarations de Ayouch une atteinte à la religion, la langue arabe étant celle du Coran.
Mais la plupart de ces réactions relevaient du folklore plutôt que de la réflexion.
Le débat a commencé à devenir réellement intéressant lorsque l’historien et écrivain marocain, agrégé de langue et civilisation arabe, Abdellah Laroui, s’en est saisi. C’est alors que les vraies questions ont été posées, appelant à la réflexion: celles que se sont posés plusieurs pays arabes avant le Maroc (l’Egypte, il y a 4 décennies, s’était posé les mêmes questions). A savoir… Quel rôle du dialecte courant pour accéder à la langue écrite ? Y a-t-il une seule langue arabe, ou plusieurs ? La langue arabe enseignée à l’école est-elle sacrée, ou peut-on y introduire quelques simplifications? Quels liens entre la langue et l’identité nationale…?
Pour la 1ère fois, on voyait se dérouler un débat public de haut niveau, avec en apothéose le face à face, à la télévision, de Abdellah Laroui et Noureddine Ayouch. Face à face qui s’est terminé sur des conclusions partagées (les mêmes que celles auxquelles était arrivée l’Egypte, au terme de son débat où l’éminent écrivain Taha Hussein était intervenu). D’une part, non, le dialectal ne peut pas remplacer l’arabe enseigné. Et de l’autre, oui, l’arabe enseigné, dit classique, peut –voire doit- être simplifié.
Le débat a eu le mérite d’exister, même si les conclusions semblaient dès le départ s’imposer d’elles-mêmes. L’école est le premier lieu où l’enfant va pour accéder au savoir. Il y apprend à «bien» parler, à écrire, à compter, selon des règles établies. Cela constitue forcément une rupture avec sa vie de tous les jours. Et cela est valable pour tous les élèves de la terre. Prenons la France qui est notre référence la plus courante, le français enseigné a connu bien des simplifications depuis deux siècles. La langue utilisée dans la littérature classique n’est plus tout à fait celle du français d’aujourd’hui. Cependant, le français enseigné garde ses règles. Un enfant peut dire à sa mère: «on fait quoi ?», mais à l’école, il lui faudra dire: «qu’est-ce qu’on fait ?». Pour les «ados», c’est pire. A la maison et avec leurs amis, ils peuvent dire «cette meuf, je la kiffe grave» ; dans leur dissertation, ce sera «cette femme, je l’aime beaucoup».
La langue arabe est belle et riche. Ce n’est pas elle qui pose problème à l’enfant, c’est la capacité pédagogique de l’enseignant. Celui-ci a échoué s’il n’a pas réussi à rendre accessible la langue qu’il enseigne, à la faire aimer.
Nous autres francophones essayons de nous rattraper avec certaines chansons classiques qui sont de pures merveilles de poésie… Mais aussi d’enseignement de la langue.

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Bahia Amrani

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