L’aveuglement

Benkirane Chabat Mezouar

Alors que le Maroc ne sait plus comment faire face à ses difficultés économiques -qui vont croissant- ceux qui sont censés les prendre à bras le corps, pour empêcher le pays de couler, semblent préoccupés par leur propre sort. Les uns continuent d’amuser la galerie avec leurs guéguerres. Les autres n’arrivent à prendre aucune décision valable. Et pendant ce temps-là, un sentiment d’immobilisme gagne le pays, le monde des affaires est de plus en plus frileux, les rumeurs les plus folles courent sur la situation financière du Maroc.

Jusqu’où ira l’aveuglement de la classe politique marocaine ?

Si les plus optimistes parmi les Marocains commencent à s’inquiéter, c’est qu’il y a matière à inquiétude…
Tout le problème du Maroc, actuellement, c’est que la crise est économique, mais qu’on la croit politique.

La pseudo- crise politique

En effet, sur le plan politique, il y a bien eu, voici un mois, la décision du parti de l’Istiqlal de se retirer du gouvernement. Ce parti ayant accompagné sa décision d’une demande d’arbitrage royal, le Roi –qui venait à peine de quitter le Maroc pour un déplacement à l’étranger- proposait alors que les ministres istiqlaliens soient maintenus à leur poste jusqu’à ce qu’il revienne au pays, reçoive un mémorandum expliquant les griefs de l’Istiqlal et trouve une solution au problème. Depuis, sans attendre l’arbitrage royal, chaque partie s’est exprimée publiquement sur ce qu’elle attendait de cet arbitrage, sur les concessions qu’elle pourrait éventuellement faire et celles qu’elle ne ferait pas… Voire sur la -ou les- solution (s) qui lui semblaient les plus appropriées.
Ainsi, les Marocains ont passé un mois à entendre toute chose et son contraire. L’Istiqlal, lors des meetings menés tambour battant par son chef de file, Hamid Chabat, a claironné qu’il voulait se retirer de la majorité, avant d’expliquer qu’il y resterait bien si, toutefois…
Le PJD, à travers les déclarations de son N°1 et chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a fait savoir qu’il n’avait pas peur de basculer dans l’opposition, avant de déclarer (devant ses troupes, ce week end) qu’il n’avait aucune intention de démissionner.
Le RNI, dont la voix est redevenue audible depuis l’annonce de retrait de l’Istiqlal (après sa quasi-aphonie qui a suivi la défaite de la coalition qu’il avait conduite aux élections de novembre 2011), a également exprimé plusieurs positions. Son Secrétaire général et ex-ministre des Finances, Salaheddine Mezouar, a d’abord annoncé que son parti n’était pas «une roue de secours» (qui remplacerait l’Istiqlal pour préserver la majorité). Puis, quelques-unes de ses déclarations ont laissé entendre que le RNI pourrait bien intégrer l’actuelle majorité. Enfin, les plus récentes sorties médiatiques du parti ont écarté cette éventualité… Pour le moment.

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L’arbitrage royal a bon dos

Tout ceci crée une ambiance qui plonge les citoyens marocains dans une sorte de désappointement, les poussant à se demander, avec de plus en plus d’inquiétude, où en est la classe politique ? Et surtout, qui s’occupe de la situation économique du pays qui ne cesse d’émettre des signaux d’alerte, cumulant déficits, dettes et mauvaises notes…
Hypocrites, les partis politiques de l’actuelle majorité tentent de mettre cette situation de blocage sur le compte de l’arbitrage royal qu’ils attendraient avec impatience. Un arbitrage que le Roi n’a ni demandé, ni imposé et qui ressemble davantage à «une patate chaude» dont la classe politique, incapable de résoudre ses problèmes elle-même, s’est débarrassée. Et ce, sans réfléchir à l’embarras dans lequel elle met le Souverain qui doit trancher un différend entre les deux plus grands partis politiques nationaux, en évitant d’en favoriser un, ou de léser l’autre et surtout en tenant compte des intérêts supérieurs du pays (qui a une crise à surmonter). Ce paradoxe, soit dit en passant, poursuit le Roi Mohammed VI, depuis son intronisation: s’il s’éloigne de la gouvernance, il est accusé d’insouciance (on se souvient des écrits de JP Tuquoi) ; s’il s’y investit, il est accusé de concentration des pouvoirs…
Mais aujourd’hui, est-ce l’attente de l’arbitrage royal qui crée cette situation de blocage ? On pourrait sans doute le croire si l’immobilisme n’était bien antérieur à tout cela ! Car, cela fait un an que gouvernement et parlement donnent l’impression de faire du «sur place». Où en est la réforme de la Caisse de compensation, Caisse qui engloutit quelque 55 milliards, portant le déficit budgétaire du pays à plus de 7% du PIB ? Où en est la réforme de la retraite, bientôt les retraités ne pourraient plus recevoir la pension pour laquelle ils ont cotisé toute leur vie professionnelle ? Où en sont les lois organiques qui doivent préciser et compléter les dispositions de la nouvelle Constitution ? Où en sont les lois électorales qui devraient permettre d’achever le processus enclenché après l’adoption de la Constitution de juillet 2011 (élections communales, mais aussi régionales, pour procéder enfin au renouvellement de la deuxième Chambre, conformément à la loi fondamentale) ? Où en est la feuille de route qui devrait, non seulement conduire le Maroc à faire face à la crise mondiale qui l’impacte, mais à lui valoir un vrai statut de pays émergent… Comme la Turquie ?

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Le problème, c’est moins la crise que…

La Turquie ? Allons bon, l’exemple est loin d’être suivi. Il y a une dizaine de jours, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, accompagné d’une très forte délégation d’hommes d’affaires, accomplissait une tournée dans trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), qui mettait de facto ces pays en compétition pour l’établissement de nouveaux liens économiques avec la Turquie. En ces temps de crise, notamment chez les partenaires traditionnels du Maroc en Europe, l’ouverture sur de nouveaux marchés serait la bienvenue… Et plutôt cent fois qu’une ! Or, cette visite a été si mal préparée, si maladroitement gérée que le Maroc a vu une occasion lui passer sous le nez. Certes, la Turquie dont la forte croissance repose essentiellement sur ses exportations, n’était pas venue faire de cadeaux, mais à Rabat, elle n’a rencontré aucune disposition à la combativité pour des deals win-win.
C’est que la classe politique ne met pas aujourd’hui la crise économique en haut de son agenda.
Faut-il qu’elle y soit obligée par le FMI, qui vient d’achever une mission de contrôle au Maroc, pour évaluer l’état d’avancement des réformes que le pays s’est engagé à lancer, lorsqu’une ligne de précaution de 6,1 milliards de dollars lui avait été accordée, il y a un an ?
La rumeur court déjà –ce qui n’arrange pas le moral des Marocains- que le Maroc serait à deux doigts d’un PAS (programme d’ajustement structurel, imposé par les institutions financières internationales) comme il en a connu dans les années 80.
Tous les responsables marocains sont donc suspendus au verdict du FMI qu’il ne devrait pas tarder à rendre (la mission, qui a duré plusieurs jours, a pris fin ce 11 juin).
Mais, à supposer que le FMI maintienne la ligne de précaution et ne resserre pas davantage l’étau autour du Maroc, cela ne suffirait pas.
Ce qu’il faut, c’est que gouvernement, parlement et tout ce que le pays compte de décideurs, s’attèlent sérieusement et en priorité des priorités à définir une vision claire pour sortir de la crise et à la mettre en œuvre.
Car le vrai problème, tout le monde le sait, c’est moins la crise que le manque de vision pour en sortir.

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