Reportage : Etudiants subsahariens au Maroc

Subsahariens au maroc

Depuis de nombreuses années, le Maroc correspond à la dernière escale d’un long périple conduisant des Africains, tous pays confondus, à quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Cette Europe, considérée comme la seule manière d’échapper à une vie misérable, à un pays ne reconnaissant pas le potentiel de ses jeunes.

Mais que savons-nous de ceux qui sont partis? Que sont-ils devenus? Leur rêve de bonheur a-t-il été réalisé? Des questions demeurant sans réponse. Parce qu’ils ne reviennent (presque) jamais et ne disent pas toujours la vérité à leurs proches sur leur vécu loin de chez eux. Ceux qui s’en sortent envoient de l’argent aux leurs. Les autres se retrouvent confrontés tantôt à la dureté de la réalité, tantôt à la clandestinité ou se perdent en chemin…
Parmi ceux qui viennent au Maroc avec l’intention d’aller en Europe, il y en a qui y restent. Notamment les étudiants.
Pour la plupart des Subsahariens, l’Europe est un eldorado. «Là-bas, les droits humains sont respectés; là-bas, on trouve un boulot bien payé, on peut y construire un avenir; là-bas, la chance nous sourit et on est heureux, enfin», pensent-ils très fort. Mais l’Europe n’en veut pas. Ils essaient donc d’y entrer illégalement, espérant y arriver et régulariser leur situation un jour.
Pour d’autres, le Maroc n’est pas la dernière étape avant l’Europe. C’est la dernière étape tout court. C’est notamment le cas des étudiants pour qui le royaume s’est montré accueillant, malgré quelques contraintes inhérentes à la nouvelle vie de tout étranger dans un autre pays. Ils ne pensaient pas se plaire ici, encore moins construire eux-mêmes une famille adoptive constituée d’amis venus de tous bords. Après une période d’adaptation, ils ont trouvé leur rythme, ils étudient et ont une vie sociale épanouie; ils ne manquent de rien si ce n’est de l’affection de leur vraie famille. Un crève-cœur que de vivre loin des siens, loin de ses origines…

Aspirer à une vie meilleure loin de chez soi

«Je ne vais pas dire que vivre ici, c’est le bonheur chaque jour. Il y a des jours avec et des jours sans», relativise Abdoulaye, un étudiant malien de 22 ans. Il se fait pointer du doigt par des enfants dans la rue, le traitant de «Azzi» et récemment d’«Ebola».Tous les «noirs», étrangers ou Marocains, sont appelés «Ebola» depuis une large médiatisation de l’épidémie déclarée en Afrique de l’Ouest, après le décès en 2013 d’Emile Ouamouno, le patient zéro, un enfant guinéen de deux ans, entraînant la mort de sa sœur ainsi que de sa mère alors enceinte. A ce jour, l’épidémie a fait près de 6.000 morts, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Abdoulaye pardonne parce que ce sont des enfants et on ne peut pas en vouloir à des enfants. Leur franchise, un peu brutale, est la même partout dans le monde… De plus, il le voit bien, même les Marocains de souche qui sont noirs sont traités de la même manière. Pour les enfants, ce n’est pas de la méchanceté, c’est juste une taquinerie.
Le reste du temps, Abdoulaye le passe entre la Faculté, ses amis de différentes nationalités et le terrain de basket.
Opter pour le Maroc comme pays où effectuer ses études n’a pas été son premier choix. Il avait postulé pour la France, pensant qu’elle allait l’accueillir à bras grands ouverts. Des bras qui se sont révélés crispés et n’ont pas donné suite à sa demande, faute de moyens. «Pour étudier en France, il faut être riche, avoir de bonnes notes, passer des examens, etc». Une longue liste de critères d’éligibilité qui butent sur un refusen fin de compte. «Ici, c’est comme ce qu’on aurait aimé vivre en France: intégrer des écoles étatiques dotées d’un certain prestige, découvrir une nouvelle culture, voyager, manger de bons plats et s’amuser. C’est vrai que ce n’est pas le même cadre, mais c’est tout aussi beau. Quand j’ai des vacances, j’enfile mon costume de baroudeur et je voyage seul, à la découverte du pays. Le sud du Maroc ressemble un peu au nord du Mali, ça réchauffe le cœur». Mais il préfère Marrakech et Tanger; ce sont ses villes préférées. Il fréquente des boîtes de nuit célèbres, animées par des DJs mondialement connus qui viennent mixer et faire danser les foules. Il connaît les «place to be» de chaque ville et s’y affiche. A ce jour, il se réjouit de ne pas avoir subi le racisme outre-méditerranée, celui relayé par les médias.

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Un Marocain

Dans son petit deux-pièces loué en colocation, Ali, d’origine sénégalaise, accueille ses invités d’un large sourire. «Marhba bikoum! Entrez!». Il prépare un thé à la menthe et au «fliou» (menthe pouliot) qu’il sert dans un «berrad» traditionnel; des verres décorés l’accompagnent. Ali est ce qu’on peut qualifier de modèle d’intégration. Il parle couramment la darija; il connaît même une panoplie de proverbes marocains et en sort un de temps à autre pour rythmer la conversation, ce qui fait rire ses amis marocains qui n’en finissent pas d’être surpris par son éloquence.
«J’étudie au Maroc depuis des années. J’ai passé ma licence ici, puis mon master. J’ai même été membre du bureau des étudiants… Je suis quelqu’un de joyeux par nature et je vais vers les gens facilement. Je n’ai pas fait comme les autres étrangers. Ils restent entre eux et ne cherchent pas à connaître les Marocains. Au fond, aucun Marocain n’est raciste. Quand ils te connaissent, tu n’es plus un étranger, tu es leur ami; ils te défendent contre ceux qui voudraient faire des allusions racistes», explique Ali. Pour lui, l’erreur des étrangers nouvellement arrivés au Maroc est qu’ils se recroquevillent sur eux-mêmes, cherchent la compagnie des gens de leur nationalité et laissent s’installer les préjugés au lieu de briser la glace et parler librement. Il fait sa prière à la mosquée tous les jours et prépare un couscous tous les vendredis. Il a appris à faire des tajines qu’il cuisine à ses amis lors d’occasions…«Je me sens marocain et je crois que je vais rester ici», conclut-il avec un sourire.

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Une femme qui assume ses choix

Sokhna ne changerait sa vie actuelle pour rien au monde. Elle dit vivre le bonheur. Elle a toujours rêvé de voyager, de vivre dans un autre pays, pour découvrir une culture différente. Quelque soit le pays, elle n’a jamais été exigeante pour cela. Par contre, en ce qui concerne les hommes, elle se montre cette fois très exigeante, si bien qu’elle a refusé les avances de plusieurs jeunes hommes avant de céder. «Depuis que je suis ici, c’est la liberté totale: pas de couvre-feu, pas d’interdiction des parents… Je peux voyager comme je veux, je suis responsable de moi-même! J’ai un budget que je gère bien, je ne me prive de rien. Et je me sens grandir. Je suis devenue une femme qui assume ses choix». Elle est amoureuse de son petit-copain qu’elle a rencontré lors d’une sortie entre amis. Ils projettent de se fiancer d’ici la fin de l’année et se marier une fois leurs études terminées. «J’ai tellement apprécié de vivre ici -même si les hivers sont rudes- que je voudrais faire un double mariage, un marocain et l’autre sénégalais».
«Je peux porter ce que je veux ici: des robes très courtes que je ne me permettais pas chez moi. On ne me dérange pas dans la rue. Ce n’est pas le cas des Marocaines. Elles ne sont pas libres de porter ce qu’elles veulent. En même temps, je suis chrétienne. Mais ça ne change rien», témoigne Stéphanie, une Burkinabaise. Elle trouve le niveau des études correct. Elle a préféré s’orienter vers une formation privée plutôt que la Faculté. Actuellement en deuxième année de commerce, elle voudrait se spécialiser dans la logistique et le transport d’ici un an. Ses parents ne savent pas exactement ce qu’elle fait comme études, elle leur a juste dit qu’elle reviendrait avec un bon diplôme et un métier. Ils lui font confiance et elle ne compte pas les décevoir.
Ces étudiants sont contents de leur vie au Maroc. Est-ce dû au niveau intellectuel? Au fait qu’ils sont jeunes et instruits? L’intégration fonctionne-t-elle mieux dans ces cas-là? Il y a bien d’autres étudiants comme eux qui ont des problèmes et protestent (les Gabonais, par exemple, qui souffrent en ce moment du fait que les autorités de leur pays ne leur renouvellent pas les passeports et autres papiers officiels assez rapidement, ce qui les empêche de recevoir de l’argent, ou de faire des stages).
Le fait est que le cas des étudiants satisfaits donne l’espoir de voir l’immigration en général mieux vécue et mieux perçue, notamment dans un pays comme le Maroc où les pouvoirs publics font des efforts pour cela.

YS

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