Maroc-Allemagne | Les «profonds malentendus» et les attentes de la Diplomatie Marocaine

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Une note datant du 1er mars, signée par le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita et adressée au Chef du Gouvernement et à l’ensemble des membres du Gouvernement, braque les projecteurs sur les relations entre le Maroc et l’Allemagne, en révélant «des malentendus profonds avec la République fédérale de l’Allemagne au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc». Quels sont ces malentendus ? Et que vise cette démarche inédite de la Diplomatie marocaine ? Éléments de réponse d’une source proche du dossier au ministère des Affaires Etrangères et analyse.    

Par Bahia Amrani

La note du ministre des Affaires Etrangères, Nasser Bourita, est concise. S’y alignent l’objet, succinct: «Suspension de tout contact avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc» ; et 3 paragraphes.

Le 1er où l’on peut lire: «En raison des malentendus profonds avec la République Fédérale d’Allemagne au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc, les départements ministériels et l’ensemble des organismes qui relèvent de leurs tutelles, sont priés de bien vouloir suspendre tout contact, interaction, ou action de coopération, en aucun cas ou sous aucune forme, aussi bien avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés».

Le second qui met en garde: «Toute dérogation à cette suspension, ne pourra se faire que sur la base d’un accord préalable explicite du ministère des Affaires étrangères».

Et le 3ème qui informe: «le ministère des Affaires étrangères a, également, pris la décision de suspendre tout contact ou démarche avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc».

Aussi bien dans le fond que dans la forme, la démarche est inédite. Au point que la plupart de ceux qui ont pris connaissance du document, bien que portant en-tête du ministère, numéro de courrier, cachet et signature, ont d’abord cru à un faux.

Le document était pourtant authentique et tout, dans cette démarche, a une signification. C’est ce que nous explique une source proche du dossier, approchée par nos soins. 

Concernant la forme…

Comment comprendre tout d’abord cette approche diplomatique ? Ce n’est pas sans raison que la note est partie du département en charge de la diplomatie. S’il a été demandé à l’ensemble des départements ministériels de suspendre tout contact avec l’ambassade d’Allemagne, comme le fera le ministère des Affaires Etrangères, lui-même, c’est pour rappeler et souligner un principe élémentaire, en vigueur dans tous les pays: les relations entre deux Etats sont un tout. Il y a une cohérence qui s’impose, de part et d’autre, dans ces relations. Et, sachant qu’en amont, c’est au niveau diplomatique que s’établissent les relations entre États, «il est logique qu’ensuite, les grandes décisions soient arrêtées au niveau diplomatique». Notre source développe: «Nous avons des malentendus avec nos amis allemands sur des questions fondamentales. Ils ne peuvent pas, ici, avoir de bonnes relations avec le Maroc et là, multiplier les malentendus avec le Maroc. Les relations avec un pays ne se fonctionnent pas à la carte».

C’est donc par le ministère des Affaires Etrangères que tout ce qui concerne les relations avec l’Allemagne passera ? A cette question, notre source répond «oui».

Cela explique la teneur du 2ème paragraphe de la note, qui précise que toute dérogation à la suspension «ne pourra se faire que sur la base d’un accord préalable explicite du ministère des Affaires étrangères».

Pour autant, la «Suspension de tout contact avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc» et avec «les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés», ne signifie pas rupture des relations diplomatiques avec la République Fédérale d’Allemagne.

Le fait de «suspendre» (le mot est précis et n’a pas été employé au hasard) les relations avec l’ambassade, est une décision qui dit bien ce qu’elle dit. Suspendre n’est pas rompre ; et l’ambassade n’est pas la République Fédérale. 

…Et concernant le fond

Mais quels sont ces «malentendus profonds» qui ont conduit à cette situation ?

Notre source n’en citera que quelques-uns… Avant de lancer: «et il y en a bien d’autres…».

Parmi les malentendus cités, il y a d’abord la réunion de Berlin sur la Libye, organisée par l’Allemagne en janvier 2020 et dont le Maroc avait été exclu, alors qu’il avait abrité plusieurs rounds du dialogue inter libyen à Skhirat (avec l’ONU) et à Bouznika.

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On s’en souvient, cela avait été très mal pris par Rabat. Le ministère des Affaires Etrangères du Maroc avait publié un communiqué aux termes directs et francs. «Le Royaume du Maroc ne comprend ni les critères ni les motivations qui ont présidé au choix des pays participant à cette réunion», pouvait-on y lire. Ou encore: «Le Royaume du Maroc a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne (…). Le Royaume du Maroc a joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Skhirat qui sont, à ce jour, le seul cadre politique –appuyé par le Conseil de Sécurité et accepté par tous les protagonistes libyens– en vue de la résolution de la crise dans ce pays maghrébin frère». Puis enfin cette riposte, à la mesure de la vexation subie: «Le pays hôte de cette conférence, qui est loin de la région et des complexités de la crise libyenne, ne saurait la transformer en instrument de promotion de ses intérêts nationaux»… Le Maroc venait de réaliser le peu de cas que l’Allemagne faisait du Royaume et de son rôle à l’international. Aussi, lorsqu’il avait été invité à participer à la seconde réunion (en ligne) de Berlin ( «Berlin 2»), 9 mois plus tard, il a répondu par une représentation a minima, à un «niveau autre que ministériel» et optant pour «un rôle d’observateur» seulement…

L’autre source de malentendus, bien plus grave aux yeux du Maroc, ce sont les prises de position de l’Allemagne dans le dossier du Sahara.

Tous les «malentendus» recensés par le Maroc, mais encaissés avec retenue pour préserver les relations entre les deux pays, ne sont pas évoqués…

Mais notre source cite les deux grands chocs qu’ont représenté pour le Maroc, d’abord, le positionnement allemand après la reconnaissance par les Etats Unis de la Souveraineté du Maroc sur le Sahara ; ensuite, la convocation -à l’initiative de l’Allemagne- du Conseil de Sécurité, pour l’examen de cette reconnaissance.

En effet, dès que l’administration Trump avait annoncé reconnaître la pleine et entière Souveraineté du Maroc sur le Sahara (10 décembre 2020), la diplomatie allemande avait publié un communiqué (14 décembre 2020) pour faire savoir que sa position sur la question du Sahara «n’a pas changé» et s’était empressée de réclamer une réunion du Conseil de sécurité, qui s’était effectivement tenue à huis-clos le 24 décembre 2020.

Très virulent, l’ambassadeur représentant de l’Allemagne auprès de l’ONU, Christoph Heusgen, y avait prononcé un véritable plaidoyer pour la partie que les Etats Unis ne soutiennent pas… «Il faut avoir à l’esprit l’intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international», avait-il lancé, après avoir tancé vertement les États-Unis, leur reprochant de manquer de responsabilité. «Quand on est porte-plume, il faut être responsable !», avait-il adressé à la partie américaine, lors de ces débats du Conseil de Sécurité, sachant que ce sont les États Unis qui sont le pays «porte-plume» dans le dossier du Sahara (le pays «porte-plume» rédige les projets de résolutions du Conseil de Sécurité, proposés ensuite au vote).

Des propos perçus comme un positionnement contre le Maroc également, où les milieux politico-médiatiques ne comprennent pas que le Polisario puisse collectionner les reconnaissances (plusieurs Etats lui ont accordé la leur), sans que nul ne trouve à y redire ; tandis que dès que le Maroc en recueille une, cela est considéré comme sortant «du cadre du droit international»… Et ce, alors-même que ni les Etats Unis, ni le Maroc, n’ont dit vouloir se retirer du processus onusien. Bien au contraire, tous les deux ont réaffirmé leur attachement à ce processus en cours, la solution d’autonomie élargie proposée par le Maroc et appuyée par les résolutions de l’ONU gardant plus que jamais son actualité. 

Quels autres «malentendus profonds» ? Notre source n’en citera pas expressément, laissant simplement entendre que les «malentendus» ne s’arrêtent pas à ceux évoqués…

Au Maroc, cependant, cela fait quelques années que le comportement de l’Allemagne intrigue… Non pas pour son retour en force sur la scène internationale -et notamment dans la région MENA où elle s’investit de plus en plus-  ni pour l’activisme grandissant de ses ONG, Associations et autre Fondations (telles celles de Konrad Adenauer, Friedrich Ebert, Friedrich Naumann et Hanss Seidel, au Maroc)… Il intrigue surtout depuis que Berlin s’intéresse de près au dossier du Sahara. Notamment, depuis que l’ex-Président allemand, Horst Köhler a été nommé «Envoyé personnel du Secrétaire Général de l’ONU au Sahara», en août 2017. Poste dont il a démissionné en mai 2019, officiellement pour «raisons de santé», mais l’opinion publique marocaine, qui l’avait vu pencher progressivement et plus ou moins discrètement vers la partie adverse, n’est pas loin de penser que «la vision Köhler» relative au dossier du Sahara inspire peu ou prou les positions de son pays.

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Et ce, tant au niveau de la diplomatie (y compris dans les dossiers maroco-européens, comme l’accord de pêche de 2018 auquel l’Allemagne s’est opposée), qu’au niveau de la radio officielle (la Deutsche Welle qui fait la part belle aux thèses du Polisario), ou à celui d’institutions parlementaires (où le lobby algéro-polisarien trouve des complaisances qui ne respectent pas cette impartialité que l’ambassadeur allemand auprès de l’ONU exige des autres parties)….

Une chose est sûre, les «malentendus profonds» s’accumulent et, ce courrier du ministère des Affaires Etrangères aux autres départements ministériels marocains, porte bien un message à l’adresse de l’Allemagne. 

Quelles attentes de la diplomatie marocaine ?

Et maintenant, que compte faire la diplomatie marocaine ? «Rien», répond notre source digne de foi. Que veut-on alors au département des Affaires Etrangères ? Que veut le Maroc ? La réponse fuse, courte, nette: «on a besoin d’une clarification. On l’attend».

Rien d’autre ne sera ajouté.

Effectivement, le ministère des Affaires Etrangères n’a pas fait suivre sa note de nouveaux éléments. Il n’y a eu ni déclaration, ni communiqué officiels.

Seuls, les médias qui suivent ces dossiers ont tenté d’en savoir plus…

Et notamment auprès de la partie allemande. Mais, de ce côté, il a fallu se contenter d’une déclaration laconique du ministre des Affaires Etrangères allemand, Heiko Maas, qui a dit avoir «pris note de ce qu’ont publié les médias marocains», sans autres commentaires…

Cela étant, globalement, les attentes de la diplomatie marocaine ne sont un secret pour personne.

Le ministre des Affaires Etrangères en a donné les principales indications dans ses dernières déclarations officielles.

D’abord, il y a la «cause sacrée» du Maroc: la défense de son intégrité territoriale et donc, de son Sahara.

Pendant longtemps, les partenaires du Maroc ont entretenu avec le Royaume une coopération à double détente. Le Maroc les a vus, d’un côté, s’activer à développer avec lui les relations commerciales qui servent leurs intérêts. Et de l’autre, l’ignorer -quand ce n’est pas lui tenir la dragée haute- lorsqu’il s’agit de son intégrité territoriale.

L’Europe est passée maître dans cet exercice.

D’où, aujourd’hui, ces appels de la diplomatie marocaine aux partenaires européens, afin qu’ils revoient leurs mécanismes de coopération et rééquilibrent leurs rapports avec le Maroc en lui rendant justice sur la question de son intégrité territoriale.

La France et l’Espagne sont les 1ers concernés, au vu de leurs longues et intenses relations avec le Maroc ; de leur parfaite connaissance du dossier du Sahara (et pour cause, ils ont tous les documents prouvant sa marocanité) ; et de leurs intérêts dans ce pays (ils se relaient à la 1ère place de partenaire commercial, depuis plusieurs années).

L’Allemagne s’est ajoutée à eux. Elle est devenue un partenaire commercial important du Maroc, occupant la 5ème place.

Au regard du Maroc, il devrait y avoir plus de réciprocité dans le partenariat. Plus de considération, aussi, chaque pays connaissant ses limites, mais aucun ne pouvant être regardé, ou traité, comme un subordonné. C’était le message du «coup de gueule» du Maroc, lorsqu’il avait été exclu de la réunion de Berlin sur la Libye.

Respect mutuel et respect des intérêts des uns et des autres, voilà ce qui est attendu de l’Allemagne, autant que cela est attendu des autres partenaires européens.

Bahia Amrani

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