Turquie : Les femmes et l’échec électoral d’Erdogan

Erdogan president turc

Il y a bien sûr plusieurs explications au relatif revers électoral du président Erdogan. Si son parti, l’AKP, reste le premier du pays et estime donc avoir gagné, il perd plus de 2 millions de suffrages.

Le président rate surtout la majorité des deux tiers qui lui aurait permis de modifier la Constitution en augmentant son pouvoir présidentiel.
Ce revers est dû à une détérioration de son image, sur le plan intérieur, avec la répression de manifestations d’opposants et, sur le plan international et avec son rôle très ambigu vis-à-vis de Daech.
Mais il y a autre chose. «C’est la vengeance des non voilées», pestait une élue islamiste. Il est certain que le vote des femmes a joué et qu’elles ont été nombreuses à manifester leur opposition à certaines évolutions de la société turque.
Le Parti démocratique du peuple, parti kurde mais devenu national au-delà d’un vote ethnique, qui milite pour la parité et compte de nombreuses dirigeantes, enverra, lui, 31 femmes à l’Assemblée, sur un total de 80 élus. Parmi elles, figure Dilek Öcalan, la nièce du dirigeant rebelle du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan qui purge une peine de prison à vie.

«Le parti kurde a mis au centre des choses la question des femmes», déclare la sociologue turque Gaye Petek, membre de l’association de lutte contre les violences, Eller, basée à Paris.
Dans le manifeste des candidates du parti, les signataires dressent la longue liste de leurs engagements: promesse de travailler sur une nouvelle Constitution intégrant davantage la question des droits des femmes, création de «budgets» centralisés spécialement dédiés aux questions de genre, mesures pour mettre fin aux mariages forcés, au travail précaire et au sexisme en entreprise, inclusion des travailleurs domestiques dans la législation du travail, lutte contre les meurtres de femmes, instauration de la parité pour chaque élection, création de cours de justice spécialisées pour traiter des cas de violence, création de nouveaux centres sportifs plus accessibles aux femmes que les centres actuels…
Dans un article du magazine Time, deux membres d’ONG fondent leur argumentaire sur cet aspect des choses: «Le parti du président Erdogan a déjà grignoté sur les droits des femmes -imaginez ce qui pourrait se passer si son pouvoir était étendu-», écrivaient-elles quelques jours avant les législatives, rappelant que le gouvernement actuel, régulièrement accusé de rétropédaler sur les acquis des femmes, a encouragé des lois «restreignant l’avortement» et s’est illustré par ses propos sexistes. Selon Erdogan, l’IVG (interruption volontaire de grossesse) empêcherait le pays d’accroître sa population. Le chef de l’Etat a même déclaré que l’égalité hommes-femmes était «contraire à la nature humaine». Le tout dans un pays où la violence progresse -300 femmes ont été assassinées en 2014, soit une centaine de plus qu’en 2012, selon les organisations de défense des droits des femmes- et où les crimes d’honneur continuent de faire des victimes.
Le Parlement turc issu des élections législatives comprend donc un nombre record de femmes, mais aussi de députés chrétiens, kurdes et arméniens. Dans un pays qui a longtemps considéré toute revendication communautaire comme une menace contre l’unité nationale, ce fait nouveau marque une évolution spectaculaire.
Au total, le nouveau Parlement comprendra 97 femmes, soit 17% des 550 députés, en progression de trois points par rapport à la précédente législature, selon les données de l’Union interparlementaire (UIP).
Des quatre formations représentées au Parlement, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan est le seul à voir son contingent d’élues baisser d’une législature à l’autre, passant de 46 à 41.
Autre avancée sur le front de la diversité: quatre députés issus de la minorité chrétienne ont été élus (deux sous l’étiquette du HDP, un issu de l’AKP et le quatrième du CHP, le Parti républicain du peuple). Trois membres de la communauté arménienne ont également remporté un siège.
Les Roms de Turquie, qui sont près de trois millions, auront eux aussi un député, Ozcan Purcu, 38 ans, qui briguait un siège sous les couleurs du CHP à Izmir. Deux membres de la petite communauté des Yazidis, dont l’une, ex-députée européenne allemande, apprend encore le turc, seront également présents lors de la session inaugurale du nouveau Parlement.
C’est donc la fin d’un parti, sinon unique, au moins totalement dominant et rêvant de normaliser la société à son image.
Reste à Erdogan à accepter ces résultats et à gouverner avec les autres, à passer en fait du modèle turc au modèle marocain.
En cas d’échec des consultations, ce sera bien sûr le retour aux urnes et, cette fois, le vote des femmes sera bien au centre de toutes les attentions. Elles ont de toute façon marqué des points.

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Patrice Zehr

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