Chadia Arab, chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique

Chadia Arab, chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique

«Enfin, les sévices sexuels dans les champs de fraises à Huelva sont pris au sérieux !»

Auteur d’un livre sur la migration saisonnière marocaine en Espagne, la géographe et chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Chadia Arab, décortique, pour Le Reporter, la situation des saisonnières marocaines en Espagne. Entretien.

Dans votre livre intitulé «Dames de fraises, doigts de fée», vous avez enquêté sur la migration saisonnière marocaine en Espagne. Quelles ont été vos premières conclusions? 

Ce livre s’appuie sur une enquête de terrain de plusieurs mois, que j’ai réalisée entre 2009 et 2017. Une de mes premières conclusions a été que la migration saisonnière a été réfléchie par deux Etats (l’Espagne et le Maroc) qui  y trouvent leur compte. Pour pouvoir travailler en tant que saisonnière dans les champs de cueillette de fraises, à Huelva par exemple, il faut être une femme et avoir des enfants. Il est également obligatoire d’avoir des attaches, des racines qui vous obligent à retourner dans votre pays. Les saisonnières de Huelva cumulent plusieurs traits de fragilité. Elles sont  précaires, analphabètes, pauvres et rurales. Un autre résultat important de mon enquête a été de mettre en lumière les contradictions du système de migration circulaire. Cette dernière est extrêmement positive pour les pays du Nord qui ne sont plus obligés de subir les conséquences de la migration d’installation, clandestine ou irrégulière. La migration circulaire est également bénéfique pour les employeurs occidentaux, puisqu’ils recrutent les migrants de manière temporaire et sans aucune charge  sociale.

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Que pouvez-vous nous dire de l’enfer que vivent les Marocaines qui partent travailler dans les champs de fraises en Espagne, sur la base de vos constatations sur place?

Bien que le travail soit difficile, car la cueillette des fraises oblige les travailleuses à être courbées toute la journée et à ramasser les fraises à mains nues, pour ne pas les abîmer, ces femmes ne rechignent pas à la tâche. De plus, la chaleur dans les serres peut amener parfois à des malaises. Ajoutons à cela les pesticides qui sont utilisés dans ces champs. Ils peuvent sérieusement impacter la santé de ces saisonnières. Certes, les saisonnières marocaines en Espagne exercent et vivent dans des conditions difficiles. Néanmoins, elles tentent de relativiser, par rapport à la précarité dans laquelle elles auraient vécu si elles étaient restées sans emploi au Maroc.  Dans l’enquête que j’ai réalisée, près de 50% des saisonnières marocaines en Espagne avaient dit gagner plus ou moins 1.000 euros par mois. Cependant, plus de 42% d’entre elles gagnent moins que ce montant. C’est pourquoi elles se retrouvent souvent obligées d’accumuler les heures supplémentaires, pour améliorer leur revenu. La migration saisonnière en Espagne interpelle aussi au sujet des droits humains (droit à la mobilité, droit à la régularisation, droit à l’intimité), bafoués en permanence. 

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Des cas d’agressions sexuelles ont été relevés dans les champs de fraises et de tomates en Espagne. Selon vous, qu’est-ce qui doit être fait pour faire face à ces atteintes à la dignité humaine? 

Les dames de fraises ont longtemps été réduites au silence, car elles avaient peur de ne pas être recrutées pendant la saison de cueillette suivante. Plusieurs lois ont été adoptées en Espagne durant la décennie 2000 et avaient placé le pays à la pointe de la lutte contre ces maltraitances, avec la mise en place de numéros verts spéciaux, de magistrats spécialisés et de bracelets électroniques pour les agresseurs. Des arrestations ont été faites dans le cadre de ce dossier, des enquêtes par la police espagnole et une enquête parlementaire vont être lancées. Une délégation marocaine s’est déplacée pour tirer au clair cette affaire. Ceci révèle qu’enfin, les sévices sexuels dans les champs de fraises à Huelva sont pris au sérieux.

Propos recueillis par Mohcine Lourhzal

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