Mer territoriale : Le Maroc doit agir d’urgence

Nama hamoumi

Entretien avec le Pr Naima Hamoumi

En ratifiant la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, en 2007, le Maroc avait 10 ans pour présenter aux Nations Unies sa demande d’extension du plateau continental au-delà des 200 miles de sa zone économique exclusive initiale. 7 ans plus tard, il ne l’a toujours pas fait. Comment peut-on expliquer cela ?

Franchement il m’est difficile de répondre à ce sujet. J’ai du mal à m’expliquer le retard pris concernant une question aussi stratégique qui touche aux intérêts du Royaume et à sa souveraineté sur son espace maritime et ses ressources naturelles
Il est vrai que la connaissance de nos espaces marins n’a jamais constitué un souci majeur pour nos décideurs. Dans la stratégie et la vision de la recherche pour la période 2005-2025, le thème «Connaissance des milieux marins» a été retenu pour l’horizon 2025.
Le Maroc ne dispose toujours pas d’une politique nationale pour la recherche et la formation en géosciences marines. Et ce, en dépit de leur rôle sociétal pour une gestion optimale du présent et du futur, puisqu’elles constituent un outil incontournable pour la connaissance, la gestion et la valorisation des espaces marins.

D’ailleurs, nous souffrons d’un retard considérable en géosciences marines. Ainsi, en dehors du Détroit de Gibraltar qui a fait l’objet de nombreuses études, dans le cadre du Projet Liaison Fixe, dans les autres marges il y a en général une méconnaissance des fonds marins et des ressources non vivantes qui leur sont associées.
Plus grave encore et ce, depuis plusieurs décennies, toutes les tentatives de création de centres océanographiques ou de lancement de programmes nationaux de cartographie géologique se sont soldées par un échec, suite à des blocages qui se situent à tous les niveaux, tant à l’échelle des individus que des institutions.
Ce qui est d’ailleurs paradoxal pour un pays tel que le Maroc compte tenu de sa vocation maritime favorisée par un contexte géographique exceptionnel qui lui permet de disposer de façades maritimes sur trois domaines marins différents: la mer Méditerranéenne, le Détroit de Gibraltar et l’océan Atlantique, totalisant une longueur de près de 3500 km.
Compte tenu aussi du rôle important que jouent ces espaces marins dans l’économie du pays (pêche, aquaculture, import / export, tourisme) et qui est appelé à se développer à l’avenir,
Et enfin, compte tenu des enjeux et défis qui se posent dans le cadre de la délimitation des frontières maritimes, du choix stratégique d’une politique de développement économique et humain, du changement climatique et autres risques naturels, des risques anthropiques et en particulier les marées noires, de la croissance démographique, de la mondialisation, des objectifs du millénaire et des engagements internationaux.

La date limite, c’est donc 2017 et vous tirez la sonnette d’alarme. Le retard est-il alarmant ? Pourquoi ?

Oui, il y a urgence ! Car nous risquons de perdre un droit que nous reconnaît la convention internationale, à savoir notre souveraineté étatique sur nos espaces marins. L’extension du plateau signifie à la fois la souveraineté politique et l’extension juridique, ainsi qu’une souveraineté économique exclusive permettant l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles vivantes et non vivantes.
Il donc est impératif d’être au rendez vous et si ce n’est pas avec un dossier bien ficelé pour la demande d’extension du plateau continental au delà des 200 miles, il faudrait au moins pouvoir présenter à la commission des informations préliminaires indicatives sur les limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 miles, une description de l’Etat d’avancement du dossier et une prévision de la date à laquelle le dossier sera soumis.
Oui, il y a urgence étant donné la taille de la marge atlantique et son état des connaissances ainsi que le temps nécessaire à la préparation du dossier technique et des argumentaires.
Oui, il était nécessaire de tirer la sonnette d’alarme au vu du rythme et de l’approche adoptée pour la gestion de ce dossier. Le Maroc devait entamer la préparation de sa demande dès l’entrée en vigueur de la convention internationale du Droit de la mer, c’est-à-dire en 2007. Cependant, ce n’est que fin 2012, qu’une commission nationale a été mise en place pour la préparation du dossier juridique et technique relatif à la demande de l’extension du plateau continental marocain. Et fin 2013 qu’un appel d’offre a été lancé par l’ONHYM pour la mise à disposition de 3 experts: un géologue, un géophysicien et un juriste en droit maritime international pour la préparation du dossier sur l’extension du plateau atlantique marocain.
Par ailleurs, les scientifiques universitaires (géologues et géophysiciens) marocains n’ont pas été impliqués dans la préparation du dossier. Et ce, bien que leur participation aux études océanographiques qui devront être menées et à l’élaboration des documents d’appui du dossier scientifique et technique de la demande d’extension, est incontournable.
En effet, d’une part, la demande doit être étayée par des données et des arguments géologiques, géophysiques et géomorphologiques, tel que stipulé dans l’article 76 (Partie VI) de la Convention internationale de la mer. D’autre part, plusieurs universitaires ont déjà participé à des études océanographiques dans le cadre de la coopération internationale et de ce fait, pourraient disposer de données scientifiques. De plus, l’implication des universitaires permettra de mieux cibler les partenaires des Etats développés qui pourraient aider à l’élaboration du dossier scientifique par leurs moyens financiers et techniques, conformément à la résolution A/RES/63/11, adoptée lors de l’Assemblée générale des Nations Unies du 5 décembre 2008.
Enfin, d’une part, aucune stratégie nationale incluant un programme d’études géologiques et géophysiques de la marge atlantique entre Tanger et Lagouira, n’a vu le jour. D’autre part, les thématiques des sciences de la mer ne figuraient même pas dans le dernier appel à projet qui a été lancé par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.

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Vous parlez de risque de chevauchement des demandes d’extension du plateau continental, notamment côté Atlantique. Le fait que l’Espagne et le Portugal aient déjà déposé leurs demandes, constitue-t-il un risque pour le Maroc de perdre son droit à l’extension ? La priorité joue-t-elle ici ?

En effet, Selon le droit international, l’étendue du plateau continental peut varier entre 200 miles marins (370 km) et 350 miles marins (648 km) et dans le cas de 2 Etats côtiers, la limite maritime est une ligne médiane qui coupe l’espace marin en deux. Concernant, la délimitation maritime entre le Maroc et les Iles Canaries, l’espace marin est bien inférieur à l’étendue du plateau continental et dans le cas de l’île Fuerteventura, il est de près de 100 km de largeur. L’Espagne exige l’application de la règle médiane c’est-à-dire le partage de l’espace marin en parts égales. Cependant, les Iles Canaries ne peuvent pas être considérées comme un archipel car elles ne constituent pas un pays. De ce fait, elles ne doivent pas disposer de la moitié de l’espace marin, mais seulement du 1/5, toujours selon le droit international.
Le fait que l’Espagne et le Portugal aient déjà déposé leur demande auprès de la commission du plateau relevant des Nations Unies, ne peut constituer un risque que si le Maroc ne dépose pas sa demande auprès de cette commission. Le Maroc ne peut donc perdre son droit à l’extension de son plateau que si il n’en fait pas la demande auprès de la commission du plateau relevant des Nations Unies, dans les délais requis.
La priorité ne joue pas dans ce cas là, le Maroc a d’ailleurs réagi en 2009 à travers sa mission permanente à l’ONU, concernant la demande unilatérale faite par l’Espagne en rejetant tout acte visant la délimitation unilatérale et en exigeant l’application du droit et de la jurisprudence en la matière

Vous évoquez deux problèmes. Celui de l’illégalité d’une demande unilatérale quand deux Etats sont voisins ou se font face, or l’Espagne et le Portugal l’ont fait, sans attendre le Maroc. Et celui des Canaries pour lesquels l’Espagne demande l’application de la ligne médiane. Quelles solutions pour ces problèmes ?

Le Maroc a pour lui l’argumentaire scientifique qui permettra de préciser l’étendue de son plateau continental et le Droit international. Selon l’article 83 de la convention internationale du Droit de la mer, la délimitation maritime entre deux Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face, doit être faite par voie d’accord conformément au droit international, tel que stipulé dans l’article 38 du statut de la cour internationale de Justice afin d’aboutir à une solution équitable. Ainsi il appartient aux Etats de trouver un accord leur permettant de fixer leurs frontières maritimes. Par ailleurs, on l’a dit, les Iles Canaries ne peuvent pas être considérées comme un archipel du fait de leur appartenance à l’Espagne.

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Le Maroc peut-il sauver la mise d’ici au dead line de 2017 ? Comment ?

Oui, nous pouvons et nous devons sauver la mise car nous n’avons ni le droit de rater ce rendez-vous, ni celui de bâcler la demande d’extension du plateau continental. La souveraineté du Royaume sur son espace maritime et ses ressources naturelles est une cause nationale.
Oui, nous pouvons y arriver, mais il faudrait agir d’urgence, car le temps nous est compté et il faudrait mobiliser tous les acteurs œuvrant dans le domaine marin, en particulier la Marine Royale, le secteur universitaire et l’ONHYM. Et ce, pour d’une part, la mise en place d’une équipe opérationnelle d’hydrographes de géologues et de géophysiciens et d’autre part, la mise en commun des données scientifiques pertinentes dont disposent les différentes institutions.
Le Réseau Marocain des Sciences et Ingénierie de la Mer (MARSIMER) mis en place en janvier 2014, qui couvre toutes les disciplines liées à la mer : l’océanologie (géosciences, biologie sciences halieutiques et aquacoles, physique, chimie, mathématique et modélisation, météorologie, géodésie, géomatique, ingénierie etc..), les sciences économiques et juridiques, l’archéologie et l’histoire maritime, pourra également participer à l’élaboration des documents d’appui de l’argumentaire juridique et géologique. Son comité scientifique a retenu comme action prioritaire l’étude géologique et géophysique du plateau continental de la marge atlantique marocaine en vue de la contribution au dossier de préparation de la demande d’extension du plateau continental.
Enfin, l’élaboration d’un tel dossier nécessite dans un premier temps, la réalisation d’un état des connaissances qui devrait se baser sur un inventaire des données géologiques, géomorphologiques et géophysiques existantes, l’analyse de la pertinence et de la fiabilité de ces données, la corrélation des données et la réalisation de mosaïques afin de distinguer les zones étudiées et les gaps.

Dans un deuxième temps, il faudrait lancer un programme de campagnes océanographiques pour les levés bathymétriques et les études géologiques et géophysiques dans les zones où il y a des gaps de données scientifiques.

Y a-t-il quelque obstacle qui tiendrait au dossier du Sahara et aux lobbies qui soutiennent les séparatistes du Polisario et, si c’est le cas peut-il être contourné ?

Je ne pense pas que les lobbies qui soutiennent les séparatistes du Polisario puissent constituer un obstacle. Si il y a une volonté nationale pour faire aboutir ce dossier, rien ni personne ne devrait nous empêcher de lancer l’étude de notre marge atlantique.
La ratification de la convention internationale du Droit de la mer donne le droit au Maroc d’effectuer les études nécessaires et de présenter sa demande d’extension du plateau continental, auprès de la commission du plateau relevant des Nations Unies.
Par ailleurs, Il y a de nombreux pays qui ont fait leur demande d’extension auprès de la commission du plateau, bien qu’ils vivent des conflits territoriaux maritimes.

Propos recueillis par BA
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Bio-Express


Professeur nama hamoumi

Professeur Naima Hamoumi est enseignante-chercheure spécialisée en géologie marine et géodynamique des bassins sédimentaires anciens à la Faculté des sciences, Université Mohammed V Agdal, Rabat, depuis 1981. Elle est responsable de la structure de recherche : Océanologie Dynamique des Séries Sédimentaires – Environnements (ODYSSEE) et coordinatrice nationale du Réseau Marocain des Sciences et Ingénierie de la mer (MARSIMER). Elle a également été conseillère technique au Cabinet du Ministre Délégué, chargé de la recherche scientifique (2003- 2004) et consultante de la Société Nationale d’Etude du Détroit (SNED) dans le cadre du Projet Liaison Fixe (1989 à 1997). Elle a été honorée en 2006 par un «Certificat d’appréciation de la Commission Internationale d’océanographie (COI/UNESCO)» pour contribution aux activités de la COI et pour le renforcement des capacités au Maroc dans le domaine de l’océanologie.

 

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