La menace de la «finance de l’ombre» s’amplifie !

Hedge funds

La finance de l’ombre (shadow banking) a pris une telle ampleur qu’elle inquiète les instances bancaires et financières internationales.

Au fil des années, le phénomène du «shadow banking» ou «finance de l’ombre» prend de plus en plus d’ampleur. Il s’agit de l’ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l’économie. Autrement dit, le shadow banking est le système d’intermédiation du crédit impliquant des entités et des activités se trouvant potentiellement à l’extérieur du système bancaire, comme notamment les firmes de capital-investissement, les banques d’affaires, les agences de notation, des spéculateurs sur les matières premières, les chambres de compensation et des sociétés hors bilan. Parfois, le terme est appliqué aussi aux mécanismes tels que les fonds de couverture (hedge funds) et les fonds du marché monétaire, ainsi que les placements structurés. La différence avec le système bancaire classique est que le dont l’activité est peu réglementée, dans un système soumis à un fort risque en cas de défaillance d’un maillon de la chaîne.
Aujourd’hui, l’ombre s’étend à grande vitesse. En effet, les activités de financement qui ne sont pas menées par les banques mais par des hedge funds, les fonds de private equity et des trusts ont progressé de 7% (hors effet de change) sur un an dans les principales économies du globe, selon le Conseil de Stabilité Financière (FSB). Dans ce décompte qui n’inclut pas les compagnies d’assurance, la finance de l’ombre pesait 75.000 milliards de dollars d’actifs au terme de l’année 2013, ce qui correspond à 50% du système bancaire et un quart du total des actifs financiers.

Plus en détail, la zone euro et les Etats-Unis se partagent les deux tiers du gâteau de ce phénomène avec 25.000 milliards de dollars chacun. Le Royaume-Uni vient en troisième position avec 9.300 milliards de dollars, soit 12% du total. La Chine, loin derrière, signe toutefois une véritable percée: sa part dans le shadow banking a quadruplé de 1% (fin 2007) à 4% du total, six ans plus tard. Cette somme astronomique de 75.000 milliards de dollars d’actifs ne cerne pas forcément le phénomène dans son ensemble. En particulier, les fonds alternatifs «hedge funds» restent sous-estimés dans leur évaluation, a précisé le FSB, qui entend affiner les données sur lesquelles il s’appuie pour les prochaines moutures de son évaluation annuelle.
Le problème central que pose la finance de l’ombre est technique, mais simple à saisir. La finance de l’ombre assure peu ses opérations par la possession d’actifs compensatoires (désignés en finance sous le terme de collatéral) permettant de limiter les pertes en cas de crise. A titre d’exemple, si une banque fait un prêt immobilier et que l’emprunteur arrive en situation de défaut de paiement, elle peut saisir son bien immobilier et le revendre pour compenser ses propres pertes qui seront donc a priori faibles. La finance de l’ombre dispose quant à elle de beaucoup moins de collatéral. Une perte ne peut donc pas forcément être compensée comme le ferait une banque.
Toutefois, le Fonds monétaire international (FMI) et le FSB reconnaissent que le shadow banking peut contribuer à soutenir la reprise économique. A condition d’en maîtriser la face sombre. Comment le faire alors? «Rétablir une stricte séparation des activités du secteur bancaire entre banques de dépôt et banques d’investissement, afin d’éviter un nouveau risque systémique en limitant les interconnexions entre le secteur bancaire réglementé et la finance de l’ombre», plaide Rachid Achachi, économiste et chercheur à l’université Ibn Tofail de Kénitra. Le point faible du shadow banking, c’est que le choc fragilise tout le système en cas d’ajustement rapide du marché. Voilà pourquoi il faut réguler tout acteur, bancaire ou non, qui génère ou transmet un risque de liquidité.

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Interview

Rachid Achachi, économiste et chercheur à l’université Ibn Tofail de Kénitra

Rachid achachi

«Rétablir une séparation entre banques de dépôt et banques d’investissement»

Faut-il avoir peur de la finance de l’ombre et pourquoi?

Il est difficile de répondre par un oui ou par un non de manière catégorique, principalement du fait de l’extrême diversité des activités que regroupe ce terme. Cependant, la composante la plus dangereuse pour des économies de taille moyenne, le Maroc en faisant partie, est représentée par les fonds spéculatifs «Hedge founds». Ces derniers pèsent plus de 2.000 milliards de dollars en 2013 et sont très peu réglementés, opaques et souvent localisés dans les paradis fiscaux ou en offshore. Peu importe le marché sur lequel ils opèrent. Ces fonds ont très souvent constitué un facteur de déstabilisation du fait d’une logique de spéculations agressives de court-terme impliquant des montants colossaux. Ce ne sont malheureusement pas les exemples qui manquent. En 1997, ces fonds ont été à l’origine de la crise économique asiatique en déstabilisant par des mouvements spéculatifs massifs les monnaies, puis les économies de plusieurs pays de la région. En 2008, ils ont été à l’origine d’une brutale flambée des prix sur les marchés des matières premières et alimentaires, provoquant des crises alimentaires dans plusieurs régions du monde. Le dernier épisode marquant étant les attaques spéculatives à partir de 2010 sur les dettes souveraines des pays du sud de la zone euro, la Grèce ayant été le pays qui en a le plus souffert.

Est-ce que c’est un problème seulement américain? Si non, quel est son étendue dans le monde?

Selon le FSB (Conseil de Stabilité Financière), la finance de l’ombre a représenté 70.000 milliards de dollars en 2011, avec une croissance annuelle de l’ordre de 7% en moyenne. Bien que les Etats-Unis pèsent le plus lourd au niveau mondial dans cette finance parallèle (entre 15.000 et 25.000 milliards de dollars, selon le FMI), le phénomène n’en demeure pas moins mondial puisque, en zone euro, elle représente entre 13.500 et 22.500 milliards de dollars, au Royaume-Uni entre 2.500 milliards et 6.500 milliards de dollars et, pour les pays émergents, le chiffre s’approche des 7.000 milliards de dollars. De ce point de vue, le phénomène paraît somme toute mondial. Cependant, la crise financière américaine puis mondiale de 2007 a révélé le rôle majeur joué par la finance de l’ombre américaine dans la naissance de la bulle spéculative de l’immobilier, dont l’éclatement a été le premier facteur déclencheur. Cela tient à plusieurs facteurs, le principal étant que les Etats-Unis ont été depuis le début des années 90 les pionniers de la déréglementation du système financier, notamment par l’abrogation définitive du Glass Steagall Act en 1999. Abrogation qui permis aux banques d’utiliser les dépôts des clients pour investir sur les marchés, supprimant ainsi la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires, ouvrant ainsi la voie à un risque financier systémique qui se concrétisa en 2007 sous la forme d’une crise financière nationale puis internationale.

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Que faut-il faire pour l’encadrer

Il faut rétablir une stricte séparation des activités du secteur bancaire entre banques de dépôt et banques d’investissement, afin d’éviter un nouveau risque systémique en limitant les interconnexions entre le secteur bancaire réglementé et la finance de l’ombre. De même, les agences de notation qui ont joué un rôle crucial dans l’évaluation des titres adossés aux créances immobilières, ainsi que dans les dettes souveraines européennes, devront faire l’objet d’une supervision renforcée de la part des organismes de contrôle des marchés financiers. Cependant, ces deux mesures, bien qu’indispensables, demeurent insuffisantes face à l’ampleur qu’a prise la finance parallèle dans le financement des économies développées. Aucun encadrement efficace ne sera possible sans un changement de paradigme. Car s’il y a bien un concept que la crise financière de 2007 a remis en cause, c’est bien celui de l’efficience et de l’autorégulation supposée des marchés financiers. Face à l’ampleur de la crise, l’interventionnisme des autorités s’est avéré être incontournable en vue d’éviter un effondrement total du système financier. Cela laisset présupposer un rôle et un interventionnisme de plus en plus accrus des autorités dans la sphère économique, ce qui devra se traduire nécessairement par une réglementation de plus en plus accrue du système financier en général et de la finances non-réglementée en particulier.

Interview réalisée par Anas Hassy

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