Maroc/Séisme politique : Le Roi et les deux pouvoirs oubliés

Maroc/Séisme politique : Le Roi et les deux pouvoirs oubliés

Une semaine après ce qui a désormais pris l’appellation de «Séisme politique» et les commentaires à chaud qu’il a suscités, le temps est à présent à la vigilance. Car SM Mohammed VI semble bel et bien déterminé à utiliser deux pouvoirs dont les effets changeront de fond en comble la vie politique marocaine.

Il est vrai que la décision prise par SM Mohammed VI, le 24 octobre dernier, alors que le Président de la Cour des comptes, Driss Jettou, venait de lui présenter le rapport final sur le programme «Al Hoceima Manarat Al Moutaouassit», a eu l’effet d’une foudre.

Le limogeage collectif de ministres –ce qui est déjà en soi un évènement sans pareil- et a fortiori de ministres considérés comme de grosses pointures des gouvernements actuel et précédent (Mohamed Hassad, Hocine El Ouardi, Nabil Benabdallah, Larbi Bencheikh)… C’est de l’inédit.

Inédites également, les sanctions qui ont frappé le deuxième groupe de ministres. Ceux, au nombre de 5, qui n’ont plus de portefeuille, aujourd’hui, mais qui figuraient dans le gouvernement précédent (Rachid Belmokhtar, Lahcen Haddad, Lahcen Sekkouri, Amine Sbihi et Hakima El Haïte). Il a été décidé de leur «notifier» la «non satisfaction» royale (une expression jamais utilisée officiellement) «pour n’avoir pas été à la hauteur de la confiance placée en eux par le Souverain et pour n’avoir pas assumé leurs responsabilités». Et, coup de grâce, de leur signifier «qu’aucune fonctions officielle ne leur sera confiée à l’avenir». Une sanction définitive !

Positionnements différents

Il est donc normal que tous les acteurs politiques, responsables administratifs, opérateurs économiques, politologues, analystes, éditorialistes et autre observateurs de la vie politique marocaine, voient dans l’évènement un véritable séisme… Ce «séisme politique» évoqué par le Roi dans son discours devant le Parlement, à l’ouverture de la session d’octobre.

Comme il est normal –c’est inévitable- que tout ce petit monde se répartisse entre les enthousiastes volontaristes qui considèrent qu’il y aura «un avant» et «un après» 24 octobre ; les éternels sceptiques qui doutent et attendent de voir si ce sera vraiment le cas… Mais aussi entre ceux qui déplorent que l’un ou l’autre des ministres limogés ait été frappé de sanction (de nombreux citoyens se sont émus de l’éviction de Mohamed Hassad, qui était considéré comme le «Mr redressement des situations en difficulté», suite aux missions qui lui avaient été confiées ces 30 dernières années, pour redresser la situation des ports, de la RAM, de Tanger… Ou encore, de l’enseignement)… Et, enfin, ceux qui en demandent davantage, s’étonnent que certaines têtes ne soient pas tombées et s’impatientent de voir lesquelles vont bientôt rouler.

Une chose est sûre, ceux qui ont applaudi sont infiniment plus nombreux que ceux qui s’interrogent encore sur les tenants et aboutissants des sanctions.

Et ce, même s’il y a souvent confusion sur la nature-même de ces sanctions. Le communiqué du Cabinet royal est pourtant clair. Ce ne sont pas des sanctions pour fraude, malversations, ou détournements. Ce sont des sanctions pour exécution défaillante du programme «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit».

Le fait est que le séisme est de magnitude si forte que toutes les réactions en deviennent compréhensibles.

Mais, passée l’effervescence des commentaires à chaud -donc, par définition, brouillons- la réflexion fait ressortir 3 constats.

Les réponses d’un Etat souverain

1er constat : c’était annoncé

En effet, les décisions royales ont, certes, surpris l’opinion publique, parce que ce qui devient concret surprend toujours. Mais en réalité, ces décisions ont largement été annoncées par le Souverain. Si l’on remonte au Conseil des ministres du 25 juin dernier, le communiqué d’alors indiquait déjà que «SM le Roi a fait part au gouvernement, notamment aux ministres concernés par le programme «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» de sa déception, son mécontentement et sa préoccupation (les mots sont forts) au sujet de la non-exécution des projets inscrits dans ce grand programme de développement, dans les délais impartis». Des instructions avaient été données aux ministres de l’Intérieur et des Finances pour que l’inspection générale de l’administration territoriale et l’IGF mènent les enquêtes nécessaires à ce sujet, fixent les responsabilités et établissent un rapport. Lesdits «ministres concernés» ont même été privés de congé. Un mois plus tard, le 30 juillet, à l’occasion de la Fête du Trône, c’est un Discours entièrement consacré aux dysfonctionnements dont pâtit le pays que prononce le Roi. Jamais désapprobation royale à l’égard de ceux qui sont en charge des affaires du pays n’a été plus claire. «N’ont-ils pas honte ces responsables qui n’accomplissent pas leur devoir, alors qu’ils ont prêté serment devant Dieu, la Patrie et le Roi ? Ne conviendrait-il pas de destituer (le mot est prononcé !) tout responsable à chaque fois qu’on établit une négligence ou un manquement de sa part dans l’exercice de ses fonctions ?», avait lancé le Souverain. Enfin, le 13 octobre, en s’adressant au Parlement, à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de l’année, qu’il préside conformément à l’article 65 de la Constitution, le Roi avait quasiment prononcé la sentence, en appelant les responsables à proposer «des solutions innovantes et audacieuses, quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles, appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique».

«Séisme politique», formule-choc, tout naturellement appliquée par l’opinion publique aux sanctions du 24 octobre.

2ème constat : deux armes

Le deuxième constat qui s’impose a trait à la méthodologie royale. SM Mohammed VI, avant même de prendre les décisions du 24 octobre, avait annoncé qu’il utiliserait deux pouvoirs. Ces pouvoirs ont très souvent été invoqués, notamment à des fins populistes, mais jamais réellement et/ou pleinement exercés. Le PJD de Benkirane, en particulier, en avait fait son fonds de commerce, sans que l’acte ne suive la parole…

Le Roi, en quelques semaines, a averti qu’il userait de ces pouvoirs et l’a fait.

Il s’agit, en 1er lieu, des pouvoirs que prévoit l’article premier de la Constitution. C’est désormais l’arme N°1 du Souverain qui consiste à corréler la responsabilité à la reddition des comptes.

Dans son Discours du Trône du 30 juillet dernier, SM Mohammed VI avait dit: «Je mets l’accent sur la nécessité d’une application stricte des dispositions de l’alinéa 2 de l’article premier de la Constitution, alinéa qui établit une corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Le temps est venu de rendre ce principe pleinement opérationnel». Avertissement on ne peut plus clair… Mais la classe politique avait pris l’habitude d’écouter les Discours royaux, de les applaudir, puis de les classer…

Discours Royal | La CGEM pleinement engagée dans le cadre du Pacte National pour l’Investissement

Or, c’est au nom de cet article premier et de cet alinéa 2 que les ministres limogés le 24 octobre l’ont été.

La deuxième arme que le Roi semble déterminé à utiliser désormais régulièrement, n’est autre que la Cour des comptes. Cette Cour, de par ses compétences, devra permettre un contrôle constant de la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Ses pouvoirs, en la matière, avaient été quelque peu oubliés. Le Souverain entend les utiliser à plein régime.

3ème constat : Le séisme sera suivi de répliques

L’annonce en a été faite clairement par le Roi. Lors du mémorable Discours du Trône du 30 juillet dernier –que tous appellent «le Discours de la colère royale»- le Souverain a prévenu: «Nous donnons nos orientations à la Cour des comptes pour qu’elle remplisse ses missions de suivi et d’évaluation des projets publics lancés dans les différentes régions du Royaume».

En d’autres termes, de même que le Roi avait annoncé ce qui est arrivé, il annonce ce qui arrivera.

L’indication est nette dans le communiqué du Cabinet royal du 24 octobre, où l’on peut lire: «Il est à souligner que ces décisions royales (celles du limogeage) s’inscrivent dans le cadre d’une nouvelle politique qui ne se limite pas uniquement à la région d’Al Hoceima, mais englobe toutes les régions du Maroc ; et qui concerne tout responsable, tous niveaux confondus, en application du principe de corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, d’encouragement des initiatives constructives et de promotion des valeurs de patriotisme sincère et de citoyenneté engagée au service de l’intérêt général». Ça promet !

Cette fois donc, c’était le programme «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» qui constituait l’épicentre du séisme. Mais la Cour des comptes est appelée à se pencher sur tous les «projets publics lancés dans les différentes régions du Royaume»… A commencer par les CRI, le communiqué du Cabinet royal précisant que: «Sa Majesté le Roi a donné également ses hautes orientations au Premier président de la Cour des comptes pour l’examen et l’évaluation de l’action des conseils régionaux d’investissement (CRI)».

Autre réplique du séisme en vue. Le dernier paragraphe du communiqué informe: «Dans ce contexte, Sa Majesté le Roi a donné ses hautes Instructions au ministre de l’Intérieur en vue de mener les investigations nécessaires au niveau national au sujet des responsables relevant du ministère de l’Intérieur à l’Administration territoriale, tous grades confondus».

Ce sont toutes ces actions en perspective qui permettent de dire qu’en matière de gouvernance et de fonctions ou responsabilités publiques, rien ne sera plus jamais comme avant !

Cela fera désormais passer l’envie, aux opportunistes de tous poils, de briguer des postes qu’ils croyaient, jusqu’à présent, être juste des sources de revenus et d’honneurs… Même les postes de ministres…

Et les partis politiques réfléchiront à deux fois avant de proposer au Souverain, pour occuper tel ou tel département ministériel, le «dauphin pistonné» auquel on veut mettre le pied à l’étrier ; le méchant qu’on veut faire taire, ou le «moul chkara» qu’on veut remercier pour son financement du parti.

La règle est dorénavant claire: pour briguer un poste, il faut en avoir les compétences.  

Bahia Amrani

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