«Le Maroc est privé de 1,5 à 2 milliards de dirhams de vente d’Espadon par an»

Youssef Benjelloun, armateur et mareyeur

Au nord du pays, si le dossier des filets maillants dérivants et des pêcheries de l’espadon n’est pas traité convenablement par le département de tutelle, le Maroc cédera à d’autres pays sa chance de pêcher quelque 2.500 tonnes d’espadon, selon Youssef Benjelloun.

Youssef Benjelloun

On pensait que ce problème des filets maillants dérivants avait été réglé, surtout après leur interdiction et la concertation avec les professionnels autour de cette question, il y a deux ans. Mais depuis quelques jours, cet engin de pêche suscite, de nouveau, de vives réactions au sein de la profession ?

Le filet maillant dérivant est un engin de pêche utilisé par les opérateurs de la pêche côtière. Il ciblait l’espadon dans la partie nord du pays. Il a fait l’objet d’une interdiction par un décret du 11 avril 2011. Une interdiction qui est en effet venue après une concertation au sein d’une commission mixte représentant l’administration et les professionnels du secteur. Suite à cette décision, certains opérateurs ayant choisi le départ volontaire ont été indemnisés par le ministère de tutelle. Mais ceux qui ont choisi la reconversion ont pris une petite indemnisation (250 à 400 mille DH) pour l’élimination de l’engin de pêche afin de pouvoir se reconvertir vers un autre outil de travail. Mais même avec cette indemnisation, le problème est resté posé.

 

Mais d’où vient la divergence avec le ministère de tutelle?

Le ministère a bien travaillé sur le premier volet, c’est-à-dire celui de l’indemnisation des professionnels ayant choisi le départ volontaire et aussi l’indemnisation de ceux qui ont éliminé ce type d’engin de pêche, dont les caractéristiques ont été spécifiées par le décret de 1973. Le premier volet de ce dossier a donc bien été traité. Mais le problème se pose toujours au niveau du deuxième volet qui est celui de la reconversion. C’est d’ailleurs ce volet qui nous a menés aujourd’hui au tribunal. Ce deuxième volet qui nous donnait pourtant la continuité était totalement abandonné. Ce n’est pas normal. Même sur le plan de la législation de suivi, on n’a rien fait. Pourtant, on devait penser à un décret de réorganisation de cette pêcherie au moment de l’interdiction de cet engin-là. Ce n’est pas normal qu’à ce jour, il n’y ait pas encore d’autre outil de travail permettant aux opérateurs de continuer d’exercer leur activité. Ces gens, qui sont restés pour conserver les postes de travail d’un nombre important de marins, n’ont pas été accompagnés par le ministère de la Pêche. Aucune assistance, aucun comité de suivi, aucune alternative. Et là, on se retrouve aujourd’hui avec un secteur qui représente des milliers de familles qui sont abandonnées à leur sort. La grande question qui reste donc posée -et c’est de là que vient la divergence avec le département de tutelle- c’est de savoir ce que ces professionnels vont faire après l’interdiction de cet engin. De quelle manière va-t-on pêcher? Quel est l’engin qu’on va utiliser pour pêcher? Et surtout qu’adviendra-t-il de la quantité que nous pêchions avant avec le filet maillant dérivant?

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Qu’en est-il justement de la quantité pêchée par cet engin de pêche?

On pêchait avec cet engin une quantité de pêche énorme qui dépassait les 2.500 tonnes de poisson migrant, en l’occurrence l’espadon, sachant que près de 80% de cette capture étaient assurés par les palangriers de la pêche côtière. Mais maintenant que ce filet maillant dérivant est éliminé, cela veut dire que toute cette quantité de pêche est éliminée. Le Maroc, qui a ainsi perdu ce quota de pêche, est donc privé de 1,5 à 2 milliards de dirhams de vente par an. Une chose est sûre: si on ne traite pas ce dossier parfaitement, le Maroc cédera tout simplement à d’autres pays sa chance de pêcher cette quantité de poisson migrant. Ces pays, notons-le, utilisent le filet maillant dérivant dont les caractéristiques et la nomination ont été changées. C’est le cas par exemple de l’Italie, de la France ou encore du Portugal.

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Est-ce à dire que, depuis l’interdiction des filets maillants dérivants, les opérateurs ayant détruit cet engin de pêche sont en arrêt d’activité?

Certains opérateurs font des tentatives de pêcher avec des hameçons et d’autres font des tentatives avec le long line. Il y a aussi le secteur artisanal qui n’a pas suivi cette interdiction. Il est en train de pêcher avec l’hameçon à main fixe ou à main libre. A noter qu’il y a plusieurs manières de pêcher l’espadon dont également le bonneta, un autre filet qui est utilisé depuis 1930. Cela fait trois ans qu’on pensait à éliminer le filet maillant dérivant. Mais le fait est qu’on n’a rien fait. Il n’y a eu ni commission, ni suivi du travail, ni étude pour trouver une alternative, ni initiative, ni législation, ni rien du tout… Aujourd’hui, une étude bien approfondie est nécessaire. Une commission doit être constituée, comprenant des professionnels et des représentants du ministère de la Pêche et de l’INRH dans le but d’aboutir à une alternative valable.

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