Vision industrielle : Au Maroc comme en Malaisie ?

De temps à autre, notamment dans les milieux économico-financiers, il arrive que pour nous parler de nous, de nos problèmes, de ce que nous réalisons et ce que nous ne réalisons pas, on nous parle d’un autre pays –présumé comparable au notre à un moment de son histoire- et de ce qui pourrait nous inspirer dans sa trajectoire réussie. Il nous est ainsi arrivé d’écouter des experts nous raconter ce qu’étaient le Portugal et l’Espagne avant d’intégrer l’Union Européenne et ce qu’ils sont devenus, depuis.

D’autres nous ont détaillé le Modus operandi qui a permis à la Turquie de booster sa croissance jusqu’à réaliser les scores qui sont les siens depuis une dizaine d’années.
La semaine dernière, lors d’une conférence économique réservée à une assistance triée sur le volet (ministres, industriels, hauts cadres, patrons de presse…), la Fondation Attijariwafa Bank a braqué les projecteurs sur la stratégie d’accélération industrielle 2014-2020 dont le Maroc vient de se doter. Trois intervenants étaient invités à en expliquer les tenants et aboutissants: le ministre qui a conçu et récemment présenté cette stratégie au Roi, Moulay Hafid Elalamy (ministre du commerce, de l’industrie, de l’investissement et de l’économie numérique) ; le Président du groupe Attijariwafa bank, Mohamed El Kettani, en sa qualité de représentant du secteur bancaire (secteur fortement sollicité dans la mise en œuvre de cette stratégie) ; et le directeur de McKinsey-Suisse, Amine Tazi Riffi, qui avait accompagné le Maroc dans la stratégie industrielle précédente du Royaume (Plan Emergence et métiers mondiaux du Maroc).
La conférence a duré 4 heures, échanges entre ministre et industriels compris. Mais il n’est pas sûr que tous les participants en aient tiré les mêmes conclusions.
Moulay Hafid Elalami, invité à expliquer la nouvelle stratégie industrielle, l’a fait avec force détails, s’attardant sur l’idée centrale de cette stratégie: les écosystèmes industriels. Il s’agit de pousser les industriels, dont les activités sont complémentaires, à se regrouper pour fabriquer un produit qui deviendrait ainsi compétitif. Exemple donné par le ministre, pour un rétroviseur: l’industriel qui fabrique le miroir, celui qui fabrique le support et celui qui fabrique le contour, gagneraient à créer un écosystème pour fabriquer et vendre ensemble le rétroviseur et non chacun sa pièce. Pour My Hafid, le Maroc s’en sort pas mal mais a du mal à décoller. L’actuel taux de participation de l’industrie au PIB a reculé de 15 à 14%. La concurrence est féroce, notamment celle de la Chine, devenue l’usine du monde. Mais le Maroc a des capacités qui intéressent les partenaires. Il lui faut juste être davantage compétitif et plus vigilant contre le dumping… Voire plus protectionniste. La vigilance, le ministre s’en charge («j’ai déposé 6 plaintes de dumping. Ma réputation est faite à l’OMC», a-t-il raillé). Mais pour la compétitivité, il faut un saut qualitatif du secteur industriel, d’où la stratégie. Une stratégie qui reçoit un financement annuel (3 milliards de DH de l’Etat et du Fonds Hassan II) pour résoudre les problèmes du foncier (désormais fourni en location), de l’accompagnement bancaire, de la formation, de l’export, etc.
Lui emboitant le pas, le Président du groupe AttijariWafa bank, a longuement expliqué «l’engagement fort» des banques aux côtés des industriels. Sans manquer pour autant de rappeler que la responsabilité des banquiers vis-à-vis de l’argent qu’ils prêtent et «qui n’est rien d’autre que l’épargne des clients, confiée à la banque», ainsi que les règles prudentielles du secteur bancaire, les obligent à être très regardants sur le risque. «Les gestionnaires du risque n’ont pas de cœur», a lancé le Président El Kettani. Cela n’empêche que les banques ont pris des engagements signés devant le Roi. Ils les tiendront…
Enfin, il revenait au directeur de McKinsey de donner corps au rêve des écosystèmes industriels, en présentant l’exemple de la Malaisie à laquelle cette politique a particulièrement réussi. Amine Tazi Riffi a alors livré quelques recettes de réussite tirées du modèle malaisien. «Le plus intéressant, ce n’est pas ce que les Malaisiens ont fait, mais comment ils l’ont fait», a-t-il souligné. Et de dévoiler le «comment»… Ils ont défini des solutions sectorielles, chaîne de valeur, par chaîne de valeur, le ciblage étant important, le secteur du textile n’ayant pas les mêmes problèmes que celui de l’automobile, par exemple. Ils ont procédé à la réforme de l’administration et à sa gestion comme se gère le privé. Ils se sont occupés de l’assainissement du climat des affaires, avec une attaque frontale contre la corruption et la criminalité. Ils ont réinventé le «capitalisme national» (différent du capitalisme d’Etat). Et ils se sont surtout préoccupés du passage de l’ère des stratégies à celle de l’exécution. A. Tazi Riffi a conclu son exposé en martelant: «exécution, exécution, exécution»…
Quand tout a été dit et que stratégie, vision et grands principes ont été déployés, portant l’assistance aux cieux, la parole a été donnée à la salle. Les industriels s’en sont emparée et là, brutal atterrissage. Il n’était plus question de plan à horizon 2020, ni d’écosystèmes, ni de capitalisme national… Mais de grève, de code du travail, d’informel, de représentativité des fédérations… Interpellé par l’un après l’autre, le ministre a dû puiser dans toutes ses réserves de patience pour répondre à la plus petite récrimination et multiplier les promesses, même si pour résoudre le tout, il lui eût fallu être chef de gouvernement !
Le Maroc, comme la Malaisie ? Peut-être, mais une stratégie sans un environnement qui lui soit favorable, passerait difficilement à l’ère de l’exécution. C’est ce que les industriels ont exprimé en ignorant les hauteurs de la stratégie, pour aborder avec le ministre des problèmes terre-à-terre qui les touchent au quotidien… Et qui le dépassent parce que dépendant d’autres départements que le sien. En définitive, plus que l’exemple malaisien, tel que décrit par le directeur de MacKinsey, les débats auront mis au jour une réalité toute simple: pour réussir, le ministre a besoin d’une mobilisation de tout le gouvernement.

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