Kaiss Saied | Le grand leurre !

En octobre 2019, Kaiss Saied est élu Président de la République tunisienne. Bénéficiant d’une image de droiture et d’intégrité, cet universitaire, spécialisé en droit constitutionnel qui était inconnu de la sphère politique tunisienne, va très vite séduire par ses promesses en faveur des classes sociales moyennes et défavorisées, ainsi que par son attitude ouverte, avenante et bienveillante, surtout vis-à-vis des jeunes.

Candidat indépendant, Kaiss Saied rempotera le scrutin (72,7 % des suffrages exprimés) face à l’homme d’affaires Nabil Karoui, grâce à la confiance placée en lui par les électeurs qui le considéraient comme un homme providentiel, capable de mettre la Tunisie sur les rails de la modernité et de la démocratie participative.

Au lendemain de son élection à la tête du pays, Kaiss Saied passait pour un homme modeste et discret, soucieux de faire respecter la loi. Les Tunisiens ne doutaient guère des intentions de leur nouveau président. Rien de plus normal lorsqu’on sait que Kaiss Saied justifie d’une longue carrière en tant qu’enseignant en Droit Constitutionnel. Au début de son mandat, le nouveau président de la Tunisie s’est fait remarquer par un air modeste, et une attitude ouverte et avenante vis-à-vis de ses concitoyens, dessinant ainsi dans l’inconscient collectif des Tunisiens, une nouvelle image du pouvoir. Promettant d’accélérer la transition démocratique dans le pays et d’améliorer les conditions de vie des citoyens, Kaiss Saied est alors considéré comme le sauveur de la Tunisie, ce pays riche d’histoire qui douze ans après la révolution du Jasmin, cherchait toujours le chemin de la démocratie et de la liberté.

Espoirs et désillusions 

Après avoir fait profil bas pour un moment, Kaiss Saied n’a pas tardé à montrer son vrai visage, faisant glisser doucement, mais sûrement, la Tunisie vers une autocratie pleine et entière. Une douche froide pour tous ceux et celles qui escomptaient un nouveau départ pour leur pays. Il y a un peu plus d’un an, la jeune démocratie tunisienne était mise à rude épreuve. Après avoir nommé son frère (Naoufal) comme Conseiller, Kaiss Saied multipliera les décisions et mesures antidémocratiques. Le 25 juillet 2021, il limoge le Premier ministre Hichem Mechichi, avant de suspendre le Parlement et de s’emparer du pouvoir Exécutif. Pour justifier ces décisions antidémocratiques, Saied invoque l’article 80 de la Constitution de 2014 qui permet au Président de la République d’instaurer l’état d’exception, dans le cas d’un péril imminent qui menacerait la sécurité du pays. Présenté comme une mesure provisoire, cela ouvrira la voie vers un durcissement du régime en Tunisie. Les détracteurs de Kaiss Saied, et ils sont nombreux, comparent le pouvoir actuel en place dans le pays, à celui de Zine El Abidine Ben Ali qui a régné en maître sur la Tunisie pendant de longues décennies jusqu’à la chute de son régime despotique en janvier 2011.

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Dans sa croisade, Kaiss Saied achèvera tout espoir de démocratie en Tunisie. Après un bref répit imposé par la pandémie due au Covid-19, le Président tunisien donnera un nouveau signal, encore plus explicite, de ses intentions à long terme pour la Tunisie et les Tunisiens. En septembre 2021, il publie un décret présidentiel (2021-117), pour légitimer le transfert des pouvoirs du Parlement dissous, à la Présidence. Après avoir suspendu la Constitution tunisienne de 2014 et soumis des centaines de journalistes, de militants et de politiciens à des arrestations arbitraires. En décembre 2021, le tribunal de première instance de Tunis condamne par contumace, l’ancien président tunisien Moncef Marzouki, qui était pourtant l’un de ses supporters, à 4 ans de prison pour «atteinte à la sécurité de l’Etat». Kaiss Saied poursuivra le démantèlement des contre-pouvoirs en Tunisie. Le 1er juin 2022, il révoque 57 magistrats par décret présidentiel, notamment pour «adultère» et «entrave à plusieurs enquêtes». Bien que le tribunal administratif ait suspendu ladite révocation, le 10 août 2022, plusieurs ONG ont qualifié la mesure présidentielle d’attaque à l’Etat de droit.

Le coup de grâce porté par le Président tunisien aux espoirs de démocratie dans le pays a été de se tailler une Constitution sur mesure. Pire encore, le Comité trié sur le volet par Kaiss Saied, a rédigé le projet de loi fondamentale tunisienne en seulement deux semaines. Mais ce n’est pas tout, car l’universitaire qui s’est chargé de sa rédaction, désavouera vertement le texte publié au Bulletin officiel. Pour Sadok Belaid, le projet de nouvelle Constitution publié au Bulletin Officiel tunisien, le 30 juin 2022, ne correspondait pas à celui présenté au Président de la République. Un désaveu cinglant pour Kaiss Saied, d’autant plus qu’il vient de la part d’un juriste respecté et réputé proche des cercles du pouvoir. Soumise au référendum, le 25 juillet 2022, la Constitution imposée par Kaiss Saied est adoptée avec environ 95% des voix (sic !), en dépit d’une forte abstention. Seuls 30% des électeurs ont participé au référendum.

La prise de pouvoir de Kaiss Saïed a réussi parce qu’il a pu capitaliser sur trois crises interdépendantes mais en même temps liées les unes aux autres. Premièrement, la pandémie du Covid-19 a atteint un pic en Tunisie durant l’été 2020, révélant les faiblesses du fragile système de santé dans le pays. Deuxièmement, une économie tunisienne à l’arrêt. Troisièmement, un système de gouvernance fortement fracturé. Aujourd’hui, la Tunisie traverse une crise économique aigue qui a porté un coup dur au pouvoir d’achat, déjà fragile, des ménages. La Tunisie est également confrontée à une inflation galopante (+8,2% en juillet 2022 selon l’Institut national de la statistique tunisienne), ainsi qu’à d’importantes pénuries alimentaires et énergétiques, qui contraignent certaines enseignes à rationner les marchandises telles que l’huile et le beurre, entre autres denrées alimentaires. Parallèlement à cela, la Tunisie enregistre un taux de chômage de près de 20% au niveau national. Face à cette situation et l’absence de perspectives d’avenir, de plus en plus de jeunes tunisiens tentent d’émigrer clandestinement vers le continent européen, au risque de leur vie.

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L’instabilité politique que connaît la Tunisie, en raison des mesures antidémocratiques imposées par le Président Kaiss Saied a également porté un coup fatal à l’image du pays à l’international. Aujourd’hui, Tunis n’est plus considérée comme un partenaire fiable pour les institutions financières internationales. Au bord de la faillite financière et ne parvenant plus à honorer ses engagements aussi bien en interne qu’au niveau international, le régime tunisien a troqué sa souveraineté contre des fonds. Après avoir soudoyé le régime tunisien à hauteur de 150 millions de dollars, début 2021, le pouvoir militaire algérien a accordé un deuxième prêt à Tunis de 300 millions de dollars à la fin de la même année. Un nouveau prêt devrait suivre. Il faut dire que le Président Saied a fait preuve d’une grande servilité à l’égard de son maitre algérien. L’accueil réservé par le Président tunisien au Chef des milices séparatistes du Polisario, Brahim Ghali (Ben Battouche pour les intimes), est la preuve flagrante que le locataire du Palais de Carthage reçoit ses ordres du Palais d’Al Mouradiya.

En agissant de la sorte, Saied a franchi la ligne rouge avec le Maroc. Le Royaume qui n’hésite pas à prendre sur soi pour asseoir les bases d’une véritable coopération solide et durable aussi bien au niveau régional (Maghreb Arabe), que continental (pays africains) et international. En réservant un accueil officiel au Chef des milices séparatistes à Tunis, le Président tunisien a fait preuve d’ingratitude envers le Maroc. Inutile de rappeler que le Royaume s’est toujours montré solidaire de la Tunisie, dans les moments les plus difficiles de son histoire. Souvenez-vous, en 2014, SM le Roi Mohammed VI avait effectué une visite privée en Tunisie, bien que le pays ait été à l’époque frappé de plein fouet par une série d’attaques terroristes. Durant la pandémie du Covid-19 et sur Hautes instructions Royales, le Maroc avait envoyé une aide médicale d’urgence à la Tunisie. Autant de gestes nobles qui dénotent une volonté sincère de la part du Souverain d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les pays du Maghreb. L’attitude du Président Kaiss Saied risque, hélas, de rendre plus difficile cette union maghrébine de plus en plus pressante, pour ne pas dire inévitable.

Après avoir lancé le Printemps arabe, la Tunisie combine aujourd’hui frustrations sociales, faillite économique, despotisme politique et isolement diplomatique. Quel gâchis!

Mohcine Lourhzal 

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