Cette vie des Marocaines dans les pays du Golfe…

Emiratis

La migration des Marocaines vers les pays du Golfe s’est nettement développée durant ces dernières années. Les migrantes marocaines travaillent comme enseignantes, universitaires, médecins, infirmières, hôtesses de l’air, secrétaires, réceptionnistes, coiffeuses, esthéticiennes, domestiques… Certaines, malheureusement, vendent leurs charmes. Toutes ces femmes sont soit victimes de préjugés, soit exposées à l’exploitation par leurs employeurs et elles en souffrent.
Quelle vie mènent-elles?

Les principaux pays accueillant les Marocaines travaillant dans le Golfe, au début des années 90, étaient le Bahreïn et l’Arabie Saoudite. Les recrutées étaient majoritairement des nurses et des domestiques, surtout en Arabie Saoudite. Au Bahreïn, pays dont l’attraction principale est le tourisme, les migrantes marocaines travaillaient dans les domaines de l’hôtellerie, des soins de beauté et les secteurs qui leur sont liés.
La migration des Marocaines s’est nettement accrue, depuis les années 2000, vers d’autres pays tels les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Koweït… Le flux des migrantes est devenu de plus en plus remarquable. Ces femmes jouent le rôle de «population de remplacement».

Les Marocaines travaillent comme enseignantes, universitaires, médecins, infirmières, hôtesses de l’air, secrétaires, réceptionnistes, coiffeuses, esthéticiennes, domestiques… Certaines, malheureusement, font le trottoir. Toutes ces femmes sont soit victimes de préjugés, soit exposées à l’exploitation par leurs employeurs. Elles sont déprimées pour avoir quitté leur famille et souffrent des stéréotypes et des clichés qui les rendent coupables… jusqu’à preuve du contraire.

Que des souffrances!

«J’ai décroché mon diplôme d’éducatrice dans un centre de formation professionnelle étatique à Rabat. Juste après, j’ai chômé plus de deux années. Pour remédier à cela, j’ai pu avoir un contrat pour un poste de nurse au sein d’une famille vivant dans un pays du Golfe. Je devais m’occuper de deux enfants», raconte Nora, une jeune fille âgée de 28 ans. Elle ajoute: «J’ambitionnais de gagner honorablement ma vie et d’aller de l’avant, mais mon émigration pour le travail dans ce pays du Golfe s’est transformée en cauchemar dès le premier mois. Dès mon arrivée dans ce pays, mon passeport a été confisqué, ce qui m’a mise hors de moi, parce que mon employeur est devenu dans l’immédiat mon  »kafil ». J’ai su dès cet instant que je suis devenue prisonnière de mon employeur. Je me suis renseignée auprès des amis et j’ai découvert que la  »kafala » est un acte illégal, mais elle est reconnue comme tradition en faisant fi de la loi. Même les ambassades marocaines dans ces pays du Golfe n’osent pas la réfuter lors du traitement de litiges concernant leurs citoyens. Je me suis donc résignée durant les deux années du contrat du travail, parce que le salaire était moyennement bien et que j’étais surtout dans le besoin. Je devais m’occuper des enfants avec qui j’ai tissé une belle amitié et à qui je me suis attachée. Mais les rapports avec les parents n’étaient pas bons: il y a avait toujours des conflits». Et de poursuivre: «Dès mon arrivée, j’ai porté  »laâbaya » et le voile et je n’avais pas le droit de sortir toute seule. Ceci me dérangeait beaucoup. Et puis, mon employeur a toujours un droit de regard sur ma vie privée. A la fin du contrat, j’ai pu récupérer mon passeport et je suis rentrée chez moi. Quelques mois après, j’ai pu avoir un autre contrat de travail, mais avec des conditions meilleures que celles du premier».
Si Nora était un peu chanceuse, malgré les différents tourments qu’elle a vécus durant son premier boulot, Khadija, femme de ménage, a de son côté souffert le martyre. Elle a été chassée de la maison de son employeur qui lui a confisqué son argent, ses bijoux et ses habits, parce qu’elle lui a fait part de sa volonté de rentrer chez elle. «Je m’occupais du ménage et je cuisinais également. C’est pour cela que j’étais bien rémunérée. J’ai travaillé pendant plus de trois années chez mon employeur. La femme de ce dernier était très satisfaite de mon travail et j’ai dû travailler durement durant ces trois années. Mais quand j’ai informé mon employeur de ma volonté de retourner dans mon pays, il s’est mis hors de lui et m’a demandé de ne pas partir chez moi. Mais ma décision était irrévocable. Il était odieux et il s’est comporté avec moi de façon non civilisée: il m’a mise à la porte et m’a surtout confisqué mon argent, mes bijoux et mes habits. Il a également refusé de me rendre mon passeport. J’ai dû rester chez des amies qui m’ont chaleureusement accueillie et m’ont soutenue pour avoir mes droits. Grâce à leur intervention, j’ai pu récupérer mes biens, ainsi que mon passeport. Je m’étais donnée à fond à mon travail mais, au lieu de récolter la reconnaissance, j’étais maltraitée, chassée et privée de mes droits», raconte Khadija, une femme d’une trentaine d’années.

L’injustice aussi s’abat sur ces femmes

Publication : Une conversation marocaine

Pour sa part, Rabéa a longuement souffert avant de revenir au Maroc. Ses employeurs lui ont fait voir de toutes les couleurs. Elle a fait appel à d’autres personnes pour lui venir en aide et retourner au pays. «Ma cousine et moi avons contacté un Bureau de recrutement situé à Casablanca, pour aller travailler dans un pays du Golfe, plus précisément en Arabie Saoudite. J’avais envie de travailler dans ce pays, parce que je voulais accomplir la  »Omra » ou un  »Hadj ». Le responsable de ce Bureau de recrutement nous a informées toutes les deux qu’on sera cinq personnes ou cinq domestiques à travailler dans une même maison. Mais une fois en Arabie Saoudite, plus précisément à l’aéroport, nous nous sommes rendu compte que chacune de nous allait travailler dans une maison à part», raconte Rabéa, une femme de 44 ans. Et d’ajouter: «Le frère de mon employeur est venu à ma rencontre et, en route vers leur maison, il m’a annoncé la couleur en disant que sa mère était une personne très sévère et qu’il fallait la supporter. Une fois à la maison, on m’a confisqué mon passeport et tous les membres de la famille se sont rassemblés autour de moi et ont commencé à me prendre en photo en criant: c’est une Marocaine, c’est une Marocaine! Cette attitude m’a choquée et je leur avais demandé d’arrêter de me prendre en photo. Les femmes m’ont demandé pourquoi j’ai la peau blanche et l’épouse de mon employeur m’a demandé de lui montrer mes mollets. Je me suis exécutée. Après, elle m’a demandé de mettre des habits très longs pour cacher mes mollets».
«J’étais recrutée pour cuisiner, mais je me suis retrouvée en train de faire le ménage et de m’occuper de deux jumeaux. Je travaillais durement et durant de longues heures. J’avais beaucoup de tâches ménagères, alors que je ne percevais que 3.500 DH par mois. Mes mains sont devenues très abimées. Je ne mangeais pas bien au point de devenir maigrichonne. Et la mère de mon patron était d’un caractère très difficile et insupportable. J’ai dû rester chez cette famille 2 mois et 4 jours: c’était infernal. En plus de mon travail qui était dur, je devais subir la pression de la mère», explique-t-elle. «À la fin, j’ai décidé de partir. Mon employeur a refusé que je parte. Mais comme ma décision était irrévocable, il s’est résigné mais, au lieu de me rendre mon passeport et mes habits pour que je parte, il m’a conduite au commissariat où il m’a laissée pendant quatre jours. J’ai été gardée dans une chambre très sale. Comme conséquence, je suis tombée malade. Après, la police a convoqué mon employeur pour trouver une solution à mon cas. Ce dernier m’a donc accompagnée chez une association de bienfaisance s’occupant des cas comme le mien. J’y suis restée 15 jours et j’ai pu contacter quelques Marocains et Saoudiens qui sont venus à mon aide», souligne Rabéa.
«Ces personnes sont parties le voir pour arranger les choses. Mais il leur a demandé de lui donner la somme de 330.000 DH + 4.000DH, le prix du billet retour pour le Maroc. Effectivement, ces personnes lui ont donné cette somme et il m’a acheté mon billet d’avion. Il m’a rendu mon passeport et ma valise qui était dans un état délabré et où il manquait beaucoup de choses. Actuellement, je suis au Maroc. Mon état de santé s’est nettement amélioré et je ne suis plus la maigrichonne que j’étais. Je cherche une association des droits de l’homme pour m’aider à défendre mes droits», indique-t-elle.

Badia Dref
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L’exploitation, on la sent partout où on va


Fatima Ezzahra, elle, travaille dans le secteur touristique. Elle occupe un poste de réceptionniste dans un hôtel aux Emirats Arabes Unis. «J’avais affaire à un cabinet de recrutement qui m’a trouvé du boulot dans un hôtel cinq étoiles. Comme je maîtrise plusieurs langues, j’ai travaillé à la réception. Arrivée à destination, je me suis vue privée de mon document de voyage, on m’a remis par la suite un papier banal pour circuler», relate Fatima Ezzahra. Et d’ajouter: «Comme je travaillais dans une zone touristique, j’ai habité dans un quartier situé à une heure de route de mon travail. J’étais obligée de me réveiller très tôt pour arriver à mon boulot à temps. Le soir, je revenais exténuée… et rebelote! Le loyer est très cher; on est obligé de chercher des colocataires. Les salaires ne sont pas très élevés. Personnellement, je touche 1.500 dollars. L’exploitation, on la sent partout où on va. En général, le contrat de travail est payé à un prix très élevé et c’est ce qu’il m’est arrivé. J’ai payé une partie au moment de la signature du contrat, mais j’ai travaillé plusieurs mois pour payer la totalité de la somme. C’était très dur!».
«Plus que cela, quand les gens savent que tu es marocaine, tu es exposée à un harcèlement sexuel et on te colle plusieurs étiquettes, telle que  »prostituée »,  »voleuse de maris » et «sorcière», alors qu’un nombre important de Marocaines gagnent dignement leur vie». «Je viens de démissionner de mon boulot, je ne compte plus y retourner. Quand j’ai voulu rentrer chez moi, mes employeurs m’ont rendu mon passeport et ont demandé à un des employés de me conduire à l’aéroport de peur que je reste dans leur pays. J’ai trouvé cela très drôle», relève Fatima Ezzahra.

Exposition : «Migration, récit et mouvements» à Rabat

BD
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Oui, mais les Marocaines ne le sont pas toutes…


Aux yeux des habitants des pays du Golfe, les Marocaines sont des prostituées et des sorcières. Certaines filles marocaines émigrent au Golfe sur la base de contrats de travail qui les introduisent dans des réseaux de trafic. Ces réseaux mafieux troquent ces contrats contre des services de nuit que sont contraintes d’accepter, une fois sur place, les jeunes filles qui se retrouvent endettées et dépendantes de ces réseaux. Impuissantes et vulnérables, elles se plient à leur demande et deviennent des prostituées. Cependant, d’autres partent dans les pays du Golfe pour se livrer à la prostitution et traquer les richards de ces pays. Elles sont également victimes de pauvreté. Depuis plus de quatre années, le ministère de l’Emploi refuse de valider les contrats de travail de migrantes marocaines assortis de la mention «arts et culture». Les médias marocains, qui se focalisent sur ce phénomène, donnent aussi une idée fausse de la réalité. Parce qu’un grand nombre de migrantes marocaines dans les pays du Golfe occupent des postes de très haut niveau et ne sont pas des prostituées.

BD
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Entretien avec Abdessamad Dialmy, sociologue

Abdessamad dialmy

«Les femmes sont attirées par ces pays parce que les offres d’emplois féminins sont nombreuses et tentantes»

En tant que travailleuses étrangères provenant d’un pays économiquement inférieur, il est normal que les émigrées marocaines souffrent de discrimination et de despotisme. Elles souffrent aussi de stéréotypes qui ne sont ni totalement faux ni totalement vrais.

Que peut-on dire de l’émigration féminine marocaine vers les pays du Golfe?

On peut en dire que c’est une émigration pour le travail. Les femmes y vont pour travailler principalement dans les services domestiques, esthétiques et artistiques. Tous ces services peuvent basculer vers des services sexuels. Certaines y vont sciemment, dès le départ, pour vendre des services sexuels.

Comment peut-on la qualifier?

C’est une émigration de main-d’œuvre dictée principalement par des raisons économiques. Les femmes sont attirées par ces pays parce que les offres d’emplois féminins sont nombreuses et tentantes.

Quel est son impact sur la société marocaine?

L’impact est d’abord économique. C’est une source de devises. L’argent transféré permet une certaine promotion sociale à certaines familles de condition modeste. Ces familles changent de quartier, accèdent à la propriété, mènent un train de vie supérieur et acquièrent une honorabilité sociale. Elles deviennent ainsi des modèles à imiter, des exemples de réussite sociale.

«Prostituées», «sorcières», «voleuses de mari»… sont -entre autres- des étiquettes attribuées aux femmes marocaines vivant dans les pays du Golfe. Que pensez-vous de cette situation?

Les femmes marocaines sont devenues, pour les femmes khalijies, des concurrentes dangereuses dans «la chasse» à l’homme. En tant que prostituées volontaires (dans certains cas), en tant qu’épouses potentielles demandant des dots modiques ou en tant que maîtresses ayant un savoir-faire sexuel libéral (et sexuellement prêtes à tout), ces femmes sont devenues une source de jalousie, de colère et de mépris au féminin chez les autochtones; jalousie, colère et mépris qui s’expriment -dans le stéréotype de la femme marocaine- par «prostituée, sorcière et voleuse de mari». Le stéréotype amplifie certains éléments de la réalité. Il n’est ni totalement faux ni totalement vrai. Il est créé pour avertir et mettre en garde. Il sert à produire une distance sociale avec l’autre, avec l’étrangère, ici la femme marocaine.

Les immigrées marocaines dans les pays du Golfe souffrent de discrimination, de racisme, de préjugés et du despotisme des «kafils». Pourquoi ces derniers agissent-ils de la sorte?

En tant que travailleuses étrangères provenant d’un pays économiquement inférieur, il est normal que les immigrées marocaines souffrent de discrimination et de despotisme. D’une part, le Khaliji se sent supérieur en tant que Khaliji et employeur (kafil). D’autre part, le fait que les pays du Golfe ne soient pas des Etats de droit encourage les kafils à violer les droits de tous les travailleurs immigrés. Les femmes marocaines travaillant dans les pays du Golfe font partie des victimes de ces Etats de non droit, surtout quand elles sont prisonnières d’un réseau de prostitution déjà illégal en soi.

Propos recueillis par BD

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